DES AMBIVALENCES DU REFUS DE LA CONVERSION PAR RÉDUCTION EN MATIÈRE TESTAMENTAIRE
Le testament étant un acte solennel, le non-respect du formalisme imposé par la loi est classiquement sanctionné par la nullité (1). Il est cependant des hypothèses dans lesquelles une telle sanction peut être évitée par l’intervention du juge (2). Le droit des instruments de crédit en fournit de nombreux exemples (3).
Le droit des libéralités également. Ainsi l’article 979 alinéa 2 du code civil prévoit- il que le testament mystique nul pourra valoir en tant que testament olographe. Aussi est-il bien établi en jurisprudence qu’un testament authentique nul pour non-respect du formalisme n’est pas dénué d’effet, notamment si l’on peut découvrir parmi ses « débris épars » un testament international (4). Ce sauvetage de l’acte vicié est opéré par le mécanisme de la conversion par réduction. Celui-ci permet qu’un acte juridique nul puisse produire effet sous une autre qualification, dès lors que l’on est en mesure d’identifier les éléments constitutifs d’un autre acte (5). Elle présuppose une hiérarchie entre les actes, la nouvelle qualification donnée devant être moins rigoureuse que celle qui est inefficace (6). Pour marquer cette hiérarchie et la transition dans l’acte, les termes d’acte majeur et d’acte mineur sont souvent employés (7). L’acte majeur désigne l’acte auquel a manqué le respect de conditions de forme exigées pour sa validité, et l’acte mineur, celui qui est issu du mécanisme de la conversion par réduction et qui permet à l’acte d’être efficace sous une nouvelle qualification (8). En faisant échapper l’acte à la nullité théoriquement encourue, la conversion par réduction fait triompher la volonté sur le formalisme, triomphe déterminant lorsqu’il s’agit de dernières volontés. Le mécanisme de la conversion par réduction met au jour le fait que la volonté de l’auteur d’un acte ou des parties – interprétée par le juge – s’attache moins à la qualification juridique d’un acte qu’à la production par ce dernier d’un but économique (9). Elle suppose cependant que certaines conditions soient respectées. L’arrêt rendu par la première chambre civile le 2 mars 2022 (10) fournit l’occasion de s’interroger sur les limites du jeu de la conversion par réduction. En l’espèce, une de cujus de nationalité italienne, ayant institué ses trois filles légataires de la quotité disponible par un testament reçu par un notaire et deux témoins et avec le concours d’un interprète de langue italienne, décède en laissant pour lui succéder quatre enfants, ainsi qu’un petit-fils venant en représentation de sa mère prédécédée. Ce dernier, après avoir assigné ses tantes en nullité du testament et vu la cour d’appel le valider comme testament international, forme un pourvoi. Il soutient que si le testament authentique nul en la forme peut valoir en tant que testament international, l’acte doit alors respecter les formalités posées par la Convention de Washington. Or, celle-ci exclurait le recours à un interprète en ce qu’il peut être rédigé en une langue quelconque. La question était donc de savoir si la conversion par réduction pouvait sauver un testament authentique de la nullité en le qualifiant de testament international, alors même que le recours à un interprète avait manifesté que l’acte avait été rédigé dans une langue que le testateur ne comprenait pas. La Cour de cassation casse l’arrêt au visa des articles 3, § 3, et 4, § 1, de la loi uniforme sur la forme d’un testament international annexée à la convention de Washington du 26 octobre 1973. La Cour de cassation rappelle : « 5. Selon le premier de ces textes, le testament international peut être écrit en une langue quelconque à la main ou par un autre procédé. 6. Aux termes du second, le testateur déclare en présence de deux témoins et d’une personne habilitée à instrumenter à cet effet que le document est son testament et qu’il en connaît le contenu ».
Elle juge alors que : « 7. S’il résulte de ces textes qu’un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l’expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l’être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l’aide d’un interprète ». Ainsi, viole ces textes la cour d’appel qui valide comme testament international un testament rédigé en langue française après avoir constaté que le de cujus ne s’exprimait pas dans cette langue (11).
Le constat depuis longtemps dressé de la « renaissance du formalisme dans la loi » et de sa « décadence dans la jurisprudence » a pu être expliqué par la différence de rôle de chacun : la loi imposant le formalisme pour ses vertus préventives et parfois de célérité ; le juge lui, intervenant à titre de sanction (12). Dès lors, on peut comprendre que la sanction du non-respect du formalisme ne soit pas prononcée, s’il apparaît que l’omission d’une forme ne procède pas d’une irréflexion ou d’une fraude (13). Ce qui est moins fréquent, c’est que ce même juge puisse adopter à l’égard de cette même question de la sanction du respect du formalisme une position ambivalente. Cette ambivalence est perceptible tant en ce qui concerne la solution (I) que sa motivation (II).