Successions - Principe de non-cumul des libéralités avec les droits successoraux du conjoint survivant et modalités d’imputation en présence de libéralités de nature différente
Un de cujus décède en laissant pour lui succéder son épouse, légataire en pleine propriété des liquidités et valeurs et en usufruit des biens meubles et immeubles composant la succession en l’état d’un testament olographe, ainsi que trois enfants dont l’un issu d’une précédente union. Ce dernier, soutenant avoir été lésé lors de la liquidation de la succession agit en responsabilité et indemnisation contre le notaire, la société notariale et leur assureur. N’ayant pas été informé de ce qu’aurait été le partage s’il avait été fait une stricte application des dispositions testamentaires, le manquement du notaire à son obligation d’information et de conseil est retenu et donne lieu à une réouverture des débats afin de recueillir les observations des parties sur le préjudice tenant à la perte de chance de négocier un partage plus avantageux et le lien de causalité. Ayant retenu un cumul des droits successoraux du conjoint survivant avec les libéralités, la cour d’appel juge l’héritier mal fondé. Ce dernier, arguant qu’il ne pouvait y avoir cumul, forme un pourvoi donnant lieu à cassation de l’arrêt au visa des articles 757 et 758-6 du code civil.
Après avoir rappelé les termes de ces textes, la Cour de cassation juge que « 11. Pour dire [l’héritier] mal fondé en son action en responsabilité, l’arrêt retient que les droits successoraux [du conjoint survivant] se cumulent avec les libéralités [que le de cujus] lui a consenties selon les dispositions de l’article 758-6 du code civil et que, par application combinée des articles 757 et 1094-1 du même code, celle-ci bénéficie, outre du quart en pleine propriété de la succession, de l’usufruit des trois quarts, au titre de la quotité disponible spéciale au profit du conjoint survivant. Il en déduit que les droits de [l’héritier] dans la succession de son père étaient de la nue-propriété du quart et qu’ayant reçu du partage des droits d’une valeur supérieure, celui-ci ne justifie d’aucune perte de chance de refuser le partage proposé et de négocier un partage plus avantageux. 12. En statuant ainsi, alors que pour la détermination des droits successoraux du conjoint survivant, en vue de faire une exacte appréciation de l’existence de la perte de chance, les legs consentis [au conjoint survivant] devaient d’abord, non pas se cumuler, mais s’imputer en intégralité sur les droits légaux de celle-ci, de sorte qu’il y avait lieu de calculer la valeur totale de ces legs, en ajoutant à la valeur des droits légués en propriété celle, convertie en capital, des droits légués en usufruit, et de comparer le montant ainsi obtenu à la valeur de la propriété du quart des biens calculée selon les modalités prévues à l’article 758-5 du code civil, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
OBSERVATIONS. La Cour de cassation applique la solution légale posée par l’article 758-6 du code civil : les droits successoraux du conjoint survivant se déterminent en imputant d’abord les libéralités consenties par le de cujus excluant donc tout cumul, revenant ainsi sur une formulation antérieure semblant l’admettre (Cass. 1re civ., 25 octobre 2017, n° 17-10.644, P). Elle précise en outre les modalités de calcul de leur valeur en présence de libéralités en pleine propriété et en usufruit, ces dernières devant être converties en capital (et sur le rapport spécial en moins prenant auquel est tenu le conjoint survivant, Cass. 1re civ., 12 janvier 2022, n° 20-12.232, P ; n° 19-25.158, P). I.T.
Réf. : Cass. 1re civ., 17 janvier 2024, n° 21-20.520, F-B