Trois questions à Yvon Martinet, associé, DS Avocats
La Chancellerie vient de présenter son plan d’action pour mettre en place une « justice de l’environnement ». L’avis d’Yvon Martinet, spécialisé en droit de l’environnement.
Que pensez-vous de la nouvelle organisation judiciaire que la hancellerie veut mettre en place pour le droit de l’environnement ?
À l’origine, ce sont les pôles sanitaires de Paris et de Marseille, initialement dévolus à la santé, qui ont étendu leur compétence et se sont, peu à peu, saisis des dossiers en droit de l’environnement. Je constate que la Chancellerie ne veut pas vraiment bouleverser cette organisation, car ces pôles resteront compétents pour les accidents industriels et les risques technologiques majeurs, mais que l’on va un cran plus loin dans la logique de spécialisation en créant, selon les dires de la Chancellerie, « une juridiction spécialisée » par cour d’appel. En réalité, je pense que ce sera un pôle qui inclura parquet et magistrats du siège, car la Chancellerie annonce l’embauche de 100 magistrats supplémentaires pour ces fonctions et ce chiffre paraîtrait trop important s’il ne s’agissait que de magistrats du siège. Cette évolution, qui n’est pas une révolution, est une bonne chose, car la culture partagée sur les questions d’environnement permet d’appréhender plus finement les dossiers dans cette matière complexe.
Que pensez-vous de la création de la convention judiciaire écologique et des autres mesures annoncées ?
La convention judiciaire écologique n’est pas une nouveauté. En réalité, cela fait une bonne vingtaine d’années qu’en droit de l’environnement, nous utilisions la transaction en matière pénale, avant même sa validation par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une QPC de 2013. Ces transactions avaient seulement lieu sous l’égide du parquet. Désormais, et c’est encore une évolution, ce mode opératoire se généralisera et sera piloté et mis en oeuvre par le parquet. Auparavant, les différentes autorités de régulation en matière d’environnement devaient donner leur accord pour transiger, et certaines, par principe, le refusaient systématiquement. Maintenant le parquet pourra décider de l’imposer à toutes les parties. Est-ce que les ONG, qui agissaient souvent par le biais de la citation directe, accepteront ces conventions ? Pas sûr. En ce qui concerne les mesures de travail d’intérêt général en matière environnementale, elles sont pratiquées tout comme la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Il s’agit seulement d’acter leur existence.
Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 31 janvier 2020, a fait prévaloir le droit de l’environnement sur la liberté d’entreprendre. Est-ce, selon vous, un tournant ?
Concernant cette décision, le Conseil constitutionnel a toujours mis en balance les différentes libertés. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a fait prévaloir une liberté sur une autre, dans un certain contexte et en procédant à un contrôle de proportionnalité. Il ne faut cependant pas dénier la portée de cette décision, qui s’inscrit dans le droit fil des décisions déjà rendues par les Sages, notamment en ce qui concerne la Charte de l’environnement. Cette décision intervient juste après la loi Pacte et l’affirmation du rôle sociétal des entreprises et dans un contexte d’évolution des consciences sur ces questions environnementales. C’est sans doute pour cela qu’elle attire davantage l’attention.