Trois questions à Christophe Pettiti, avocat et vice-président de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF)
L’avocat, spécialiste en droit social, analyse les dispositions du projet de loi sur les retraites et ses répercussionssur la profession d’avocat.
Quelle est la spécificité du système de retraite des avocats ?
Le régime de retraite des avocats, contrairement à celui des autres professions libérales, même juridiques, et à tous les autres régimes, est composé d’un régime de base autonome. Alors que toutes les autres professions cotisent, pour leur régime de base à un régime général ou interprofessionnel, les avocats versent une cotisation forfaitaire plus une cotisation proportionnelle à leurs revenus à la CNBF, qui sert, à tous les avocats, une prestation de base identique minimum de l’ordre de 17 500 € par an pour une carrière complète. À ce régime de base s’ajoute une prestation du régime complémentaire qui est un régime par points classique. C’est donc un régime solidaire puisqu’en prestation de base, quel que soit le montant cotisé, tous reçoivent la même somme. L’entrée dans le régime universel, où la prestation de retraite correspond au montant des cotisations versées, fera perdre ce caractère solidaire. Pourtant, l’une des justifications avancées par le gouvernement de l’entrée dans le régime universel est justement son caractère solidaire et égalitaire.
Le gouvernement propose pourtant de conserver l’autonomie de la CNBF…
L’enjeu n’est pas tant l’autonomie de l’organisme de gestion des retraites que celui du régime. Il ne servira à rien de conserver l’autonomie de la CNBF si elle applique les règles du régime universel. La caisse ne fera que traiter comptablement les dossiers pour les deux générations (avant 1975 et après 1974), ce qui sera plus simple, d’ailleurs que, de les faire gérer par une caisse unique qui aurait dû appliquer des règles différentes pour les générations précédentes. La caisse ne sera plus autonome pour définir les paramètres à appliquer, le montant des cotisations, la gestion des actifs. Le projet de loi est muet à ce sujet, il ne précise pas qui va gérer les actifs, mais il est peu probable que la gestion des réserves soit laissée aux administrateurs avocats.
Les cotisations vont-elles vraiment doubler ?
Pour les avocats les cotisations retraite passent de 12/14 % à 28 %. Le gouvernement qui s’est aperçu qu’il ne pouvait pas augmenter les cotisations à 28 % des revenus pour les travailleurs indépendants a dit qu’un travail serait mené sur l’assiette des cotisations, comme l’avait dit Jean-Paul Delevoye en fin de présentation de sa réforme. La réduction de l’assiette des cotisations ne figure pas dans la loi organique, ni dans le projet de loi, mais sera actée par ordonnance, ou par décret ou par la loi de financement de la sécurité sociale chaque année, ce qui n’est pas une garantie. Le gouvernement a avancé que de ce fait l’augmentation de cotisation ne serait que de 6 %, mais c’est un chiffre qui n’est pas démontré et qui en toute hypothèse n’est pas du tout neutre pour ceux qui ont des revenus modestes, et ce sont souvent ceux qui ont une activité judiciaire. Ce sera une épée de Damoclès sur la tête des avocats et ce qui est en jeu, c’est la sécurité économique des cabinets. Mathématiquement, il est probable que les avocats qui ont la capacité de cotiser plus auront une prestation plus élevée avec le système universel, si le gouvernement peut tenir les engagements financiers présentés, mais c’est une vraie incertitude. Mais ce n’est pas là qu’est l’enjeu pour notre profession. Enfin, le projet de loi contient une mesure qui figurait déjà dans le rapport Delevoye et propose aux avocats de remplacer le système de solidarité actuellement existant au sein de leur régime autonome par un nouveau mécanisme de solidarité. Mais cela impliquerait de mettre en place une augmentation supplémentaire, ce qui est impossible pour la profession qui devra déjà supporter une augmentation de cotisations du fait de l’entrée dans le régime universel.