Trois questions à Catherine Nelken, associée du cabinet BMH Avocats
Une décision du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a ordonnée la main levée d’une saisie exécutoire réalisée par un bailleur pour des loyers commerciaux pendant la période du premier confinement. Le JEX a estimé que le locataire, tant qu’il ne peut exploiter les lieux, est libéré de l’obligation de payer le loyer. Explications.
Quel était le contexte de cet affaire ?
Le contexte général est celui du premier confinement sanitaire, très strict, accompagné de mesures d’interdiction de recevoir du public pour de nombreux commerces jugés « non essentiels ». Pour ces établissements, le fonds ne pouvait subitement plus être exploité, seules les activités de livraison et de retrait des commandes étant autorisées. Mon client exploite une enseigne de supermarchés à dominante non-alimentaire et tous ses magasins ont été concernés par ces mesures. Il a immédiatement engagé des démarches avec l’ensemble de ses bailleurs, souvent avec succès. Pour l’établissement dont les loyers ont été saisis, le bailleur refusait toute discussion, estimant que le magasin pouvait être exploité en « click and collect » alors que mon client n’a pas loué un entrepôt mais bien un magasin ouvert au public. Conclu sur la base d’un acte notarié, le bail permettait au bailleur de pratiquer une saisie exécutoire sans obtenir de jugement préalable, ce qu’il a fait. Mon client a saisi le JEX pour obtenir la mainlevée de la saisie pour la période du 16 mars au 11 mai 2020.
Quels arguments ont été invoqués ?
Trois arguments principaux ont été développés, le gouvernement, en édictant ces mesures, ne s’étant pas prononcé sur l’exigibilité des loyers. Le premier concerne la force majeure, mais il est souvent opposé par les bailleurs – voire les juges – que les obligations de paiement de sommes d’argent ne sont pas affectées. Le deuxième est celui de l’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance. Il n’est pas nécessairement le plus pertinent, car, bien que le bailleur ait une obligation de résultat, les juges hésitent à retenir ce moyen en l’absence de faute du bailleur. Le troisième est celui de la perte temporaire de la chose louée sur le fondement de l’article 1722 du Code civil. Traditionnellement, ces dispositions sont invoquées en cas de sinistre du local mais le retrait d’une autorisation d’ouverture au public emporte les mêmes conséquences, le local n’étant plus exploitable. Nous avons retrouvé une décision ancienne, de 1965, qui considérait comme équivalente à la perte du local loué le retrait d’une autorisation administrative. Le juge de l’exécution nous a suivi et a retenu l’impossibilité juridique d’exploiter le local, assimilable à la perte de la chose louée. Comme conséquence de cette perte, il a jugé que les loyer n’étaient pas dus pendant toute la période d’interdiction d’ouverture au public.
En quoi cette décision est-elle intéressante ?
C’est la première fois qu’un juge du fond se prononce aussi nettement sur ces questions. Une décision d’octobre 2020, également du JEX, avait également ordonné une mainlevée, sur une saisie conservatoire, mais n’allait pas aussi loin dans le raisonnement. Plus généralement, et concernant le premier confinement, qui a frappé tout le monde avec la même sidération, on peut regretter la position de certains bailleurs institutionnels envoyant à leurs locataires des commandements de payer visant la clause résolutoire, procédant à des saisies exécutoires ou faisant jouer les garanties à première demande. D’autres, majoritaires, ont trouvé des accords avec leurs locataires, dans un esprit de solidarité et ont anticipé l’éventualité de nouveaux confinements. Par exemple, beaucoup ont convenu que les locataires ne pourraient pas, pendant la période de pandémie, se prévaloir des clauses de révision judiciaire en cas de changement de circonstances. Il sera d’ailleurs intéressant de voir quelles conséquences a eu la crise sanitaire sur la pratique.
Réf : JEX Paris, 20 janv. 2021, RG 20/80923