
Trois questions à Audrey Chamouli
L’assemblée générale du Conseil national des barreaux (CNB) du 11 avril 2025 a adopté une résolution appelant les professionnels libéraux à intercéder auprès du gouvernement pour modifier le traitement fiscal de la rémunération technique des associés des sociétés d’exercice libéral (SEL).
Quel problème se pose concernant la rémunération technique des associés de SEL ?
Il s’agit d’une question importante et récurrente, qui constitue un frein considérable au développement de l’activité libérale. Le traitement fiscal de la rémunération technique des professionnels libéraux qui exercent en SEL, c’est-à-dire leur rémunération de professionnel exerçant devait, selon la doctrine fiscale « Cousin », être déclarée en traitement et salaires. Deux décisions du Conseil d’État, en 2013 et 2017, ont toutefois jugé que ces rémunérations pouvaient être taxées dans la catégorie des bénéfices non-commerciaux (BNC), ce qui pouvait être moins avantageux pour le contribuable. Les professionnels étaient donc soumis à un régime dual, qui a pris fin avec la parution, à la mi-décembre 2022, d’un Bofip rapportant la doctrine antérieurement applicable et prévoyant l’imposition des rémunérations perçues par les associés de SEL -hors gérant majoritaire- au titre de l’exercice de leur activité libérale dans cette société dans la catégorie des BNC. Les associés de SEL n’avaient plus le choix et se voyaient appliquer un régime fiscal qui ne reflète pas la réalité de leur situation fiscale, comme une sorte de « voiture balai » fiscale.
Pourquoi est-ce un frein à l’exercice d’une activité libérale en société ?
La nouvelle doctrine fiscale est indissociable de l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées, (Ord. n° 2023-7, 8 févr. 2023, JO,9 févr.) qui a pour objectif de faciliter et d’inciter à l’exercice en société des professions libérales réglementées. Elle est à mettre en parallèle avec cette nouvelle doctrine fiscale qui ramène les professionnels à un statut d’individuel. Aujourd’hui, de nombreuses questions se posent sur la nouvelle doctrine fiscale dont toutes les conséquences n’ont pas encore été mesurées. Notamment, il semblerait qu’elle impose des obligations très lourdes aux déclarants en plus de la 2035. Ainsi, lors d’un colloque organisé par l’Institut des avocats conseils fiscaux (IACF), l’administration fiscale a indiqué que le collaborateur libéral devenant associé devra constater la cessation de son activité individuelle et sera ainsi taxé sur la plus-value de la cession de son fonds libéral. C’est un frein dans nos professions qui connaissent déjà une crise des vocations.
Par ailleurs, l’administration fiscale proposait aussi une définition très restrictive de la rémunération des mandats sociaux considérant que les tâches liées à l’activité libérale de la structure, même indirectement, relèvent de la rémunération technique et n’étaient pas des activités de gestion, ce qui est totalement irréaliste, sauf peut-être pour les grandes structures.
Que vient changer l’arrêt rendu le 8 avril dernier par le Conseil d’État ?
Statuant sur le recours formé par le CNB, le Conseil d’État, s’il a validé l’essentiel de cette doctrine fiscale, en a néanmoins annulé deux éléments. D’abord, l’affirmation selon laquelle certaines tâches (facturation, prise de rendez-vous, gestion des équipes, etc.) seraient par nature toujours rattachées à l’activité libérale et non à la gérance et ensuite, le forfait de 5 % de rémunération affectée à la fonction de gérant, considérée comme une règle illégale ajoutant à la loi. Cela laisse un peu de latitude aux professionnels libéraux. Toutefois, le Conseil d’État a considéré qu’il n’y avait pas de rupture d’égalité devant l’impôt, car tous les professionnels libéraux, réglementés ou non, sont soumis au même régime réglementaire. En affirmant ceci, l’arrêt est très instructif, car il semblerait qu’il considère que peu importe la structure dont relève le professionnel, à partir du moment où il exerce une profession libérale, il est soumis à cette nouvelle doctrine. C’est pourquoi le CNB appelle à l’union de l’ensemble des professionnels libéraux afin de demander au gouvernement de modifier cette doctrine fiscale, qui pénalise leur activité.