Redéfinir l'objet social de l'entreprise
Paru dans Droit & Patrimoine Magazine n°278 - Mars 2018
Par Ondine Delaunay - Rédactrice en chef
Emmanuel Macron avait annoncé, dès le mois d’octobre, son souhait de « redéfinir l’entreprise qui ne serait plus seulement une association d’actionnaires, mais verrait son but élargi aux intérêts des partenaires que sont les salariés ». Son ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, a enfoncé le clou devant le Medef, à la fin de l’année 2017, en se déclarant favorable à « faire évoluer l’objet social de l’entreprise, qui ne peut plus être le simple profit, sans considération aucune pour les femmes et les hommes qui y travaillent, sans regard sur les dégâts environnementaux ».
Bien sûr, sur le principe, de tels propos ne peuvent qu’emporter les convictions. Cette politique en faveur d’une gestion sociale et environnementale de l’entreprise constituerait une réforme historique, rompant avec la conception selon laquelle l’entreprise se réduit à un investissement des actionnaires. On est très loin de l’approche américaine selon laquelle l’entreprise a pour objet de maximiser les profits de ces derniers (cf. affaire Dodge vs Ford Motor Co, Mich. 1919). La récente réforme fiscale initiée par le président Trump, se situe d’ailleurs dans la même lignée.
« Les espoirs se portent sur le rapport de Nicole Notat et de Jean-Dominique Senard »
Par-delà les bonnes intentions françaises, ce changement de l’objet social emporte cependant la réécriture du code civil français, notamment de ses articles 1832 et 1833 stipulant que l’entreprise doit « avoir un objet licite » et être « constituée dans l’intérêt commun des associés ». Et c’est bien là que le bât blesse. La proposition de loi, discutée le 18 janvier, vise à compléter l’article 1833 par la phrase : « La société est gérée conformément à l’intérêt de l’entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de son activité ». Depuis, les commentaires foisonnent dans la presse et le débat sur le rôle de l’entreprise est passionnant. Car le Medef et l’Afep sont vent debout contre cette réforme du code civil. « En mettant sur le même plan les actionnaires, les collaborateurs, les fournisseurs, les clients ou toute autre communauté affectée par l’activité de l’entreprise, on introduit une notion de conflit d’intérêts internes à l’entreprise et l’on ouvre la porte à toute une série de contentieux. On donne les clés de l’entreprise au juge », dénonçait récemment un responsable patronal dans les pages des Échos. Or les magistrats sont-ils véritablement outillés pour prendre des décisions en lieu et place des actionnaires et mandataires sociaux ? Est-ce d’ailleurs leur rôle ?
Le patronat a lancé le 1er mars une consultation publique visant à faire évoluer les codes de gouvernance, permettant de passer par la soft law pour introduire les dimensions sociale, sociétale et environnementale dans la conduite de l’action des entreprises. De son côté, le think tank Terra Nova a riposté en proposant une réécriture de l’article 1833, dans la lignée de la proposition de loi débattue à l’Assemblée nationale. « Cette réécriture serait un signal fort vers l’opinion publique pour réhabiliter l’entreprise qui traverse une véritable crise de légitimité, et pour rapprocher le droit français, très favorable à la protection des actionnaires, des normes européennes », a soutenu Martin Richer, auteur du rapport.
La mission gouvernementale sur l’entreprise et l’intérêt général permettra-t-elle d’apaiser les débats ? Tous les espoirs se portent désormais sur le rapport de Nicole Notat et de Jean-Dominique Senard.