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Édito : La dictature de la carte

Par DROIT&PATRIMOINE

Le projet de loi Macron peut susciter l’inquiétude : il fait de l’ex-Conseil de la concurrence l’autorité de régulation des offices ministériels de notaires, d’huissiers et de commissaires-priseurs judiciaires, de même qu’il donne à cette autorité de régulation du marché la haute main sur la confection des tarifs réglementés.

Par Laurent Aynès, Professeur à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Les notaires, comme les autres officiers publics nommés par le garde des Sceaux (huissiers, commissaires-priseurs judiciaires), participent à l’exercice de l’autorité publique et exercent une profession réglementée dans un cadre libéral.

Le Conseil constitutionnel ne pouvait mieux décrire, dans son avis du 21 novembre 2014, l’originalité de leur statut, qui n’est pas le produit de l’imagination d’un politique, mais le fruit d’un long cheminement historique. L’administration non contentieuse de la règle de droit est confiée depuis plus de huit siècles à des juristes qu’investit de sa puissance et que contrôle le prince, mais qui ont l’indépendance d’un entrepreneur. On comprend que ce modèle ne puisse être facilement admis des cerveaux simplement binaires pour qui l’on est fonctionnaire si l’on participe à l’exercice de l’autorité publique ; ou professionnel libéral, si l’on exploite une clientèle dont on peut réclamer le prix à son successeur.

Le statut des officiers publics, souvent aussi ministériels, a traversé les régimes politiques, placé sous l’autorité du garde des Sceaux, car ces professionnels contribuent puissamment à l’administration de la justice et à la sécurité juridique.

Il a suscité le développement d’une solidarité financière et disciplinaire dont bénéficie le public ; cette solidarité au sein des Chambres professionnelles a permis la modernisation de leur mode d’exercice et l’approfondissement de la science juridique. La qualité du service rendu aux usagers du droit est unanimement reconnue.

Mais cette organisation, à bien des égards liée à la conception continentale de la règle de droit, du jugement et de l’acte juridique… qui se refuse à voir en ceux-ci de banals produits, risque de disparaître sous la pression d’une conception marchande de la prestation juridique ; comme si la confection d’un acte de vente ou d’un contrat de mariage ou l’exécution d’un jugement relevaient principalement du marché des services et de ses lois.

À cet égard, le projet de loi Macron adopté en Conseil des ministres le 11 décembre dernier peut susciter l’inquiétude. Porté par le ministre de l’Économie, il fait de l’ex- Conseil de la concurrence l’autorité de régulation des offices ministériels de notaires, d’huissiers et de commissaires-priseurs judiciaires, de même qu’il donne à cette autorité de régulation du marché la haute main sur la confection des tarifs réglementés. C’est un projet blessant, en ce qu’il ne ménage à aucun moment l’intervention des professionnels eux-mêmes, via leurs organismes pourtant si présents dans leur exercice quotidien. Le projet prend enfin le risque de détruire la solidarité qui existe entre les membres, pourtant très divers, de ces professions, en introduisant une voie d’accès par nomination directe, parallèlement à l’accès régulé par les professionnels eux-mêmes.

Et ceci au nom d’une répartition géographique résultant d’une cartographie proposée par l’Autorité de la concurrence, laquelle « inclut une montée en charge progressive du nombre de zones où l’implantation est libre, de manière à ne pas causer de préjudice anormal aux offices installés » (Projet de loi AN n° 2447, art. 17) !!

Il est bien possible qu’il faille augmenter le nombre de notaires, d’huissiers ou de commissaires-priseurs judiciaires. Mais le faire de manière autoritaire, sur les seuls conseils d’une Administration vouée corps et âme au Marché, sans le concours des professions elles-mêmes, et en prenant le parti de dissoudre, sans le dire et surtout sans en tirer les conséquences financières, leur droit de présentation, afin de sacrifier à la théorie économique, ne semble guère prometteur. En attendant, le corps social aura été fragilisé, en pure perte.

Espérons qu’à la faveur du débat parlementaire, le bon sens finira par l’emporter.

Paris, le 19 décembre 2014

Par Laurent Aynès, Professeur à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 243, p. 3

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