Édito : La frousse fiscale revient-elle chez les conseils ?
Dans leur lutte contre la fraude fiscale, les pouvoirs publics accroissent leur pression sur les conseils des fraudeurs fiscaux : notaires, avocats, auditeurs, banquiers, etc.
Par Patrick Michaud, Avocat, Ancien membre du conseil de l’Ordre de Paris (1992-1995, 2011-2013)
Dans leur lutte contre la fraude fiscale, les pouvoirs publics accroissent leur pression sur les conseils des fraudeurs fiscaux présumés : notaires, avocats, auditeurs, banquiers, etc. L’affaire Ricci actuellement en délibéré s’insère dans ce cadre, étant précisé que des contribuables, listés HSBC, ont déjà été condamnés le 18 décembre 2013 à des peines de huit et dix mois de prison avec sursis pour avoir fraudé le fisc français à hauteur d’environ 100 000 euros en impôts sur le revenu et sur la fortune.
Les premiers à avoir subi cette redoutable épreuve sont les conseils – un avocat et un notaire des Wildenstein mis en examen en 2012 avec deux banques non établies en France, pour complicité de fraude fiscale (Cass. crim., 11 déc. 2012, n° 12-86.570). Ces professionnels ont alors eu la chance de ne pas avoir été mis sur la sellette médiatique.
Mais depuis la loi n° 1117-2013 du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, la mise en cause des conseils dans les affaires pénales fiscales s’est accélérée – une bonne dizaine de professionnels serait concernée. Leur risque n’est pas seulement pénal mais aussi financier, l’Administration suivie par les tribunaux demandant que le conseil soit solidairement responsable des impôts. La garde des Sceaux n’a-t-elle pas ainsi confirmé que cette loi « permettra de neutraliser ceux qui fragilisent notre démocratie en prenant une part active à la fraude fiscale, et contribuera à dissuader les professionnels du droit de participer à des montages frauduleux » (Rép. min. à QE n° 40181, JOAN Q. 30 sept. 2014, p. 8276).
Initiée par Valérie Pécresse, alors ministre du Budget, en février 2012, cette politique de responsabiliser les conseils participant à des schémas de fraude fiscale n’est pas l’apanage de la France. Le Tribunal de première instance de l’Union européenne a jugé qu’une entreprise de conseil ayant contribué à la mise en œuvre d’une entente peut se voir infliger une amende pour complicité (TPIUE, 8 juill. 2008, aff. T-99/04, AC-Treuhand/Commission). L’OCDE, dans le cadre du forum du CAP (2008), a recommandé à ses membres de responsabiliser les conseils sur la prévention de la fraude et l’évasion fiscale visant en particulier le rôle des fiscalistes (libéraux ou salariés) et des banques dans la planification fiscale dite agressive.
Au moins, les exemples en cours de procédure ont un caractère pédagogique pour l’avenir en incitant les conseils à une vaste et sage réflexion sur le pouvoir de dire non. D’autant que nos confrères se retrouvent seuls dans ces difficiles moments, de nombreux déontologues ordinaux préférant proser sur la déontologique « confusion d’intérêt » (sic). Rappelons que la jurisprudence est particulièrement sévère pour les avocats : « La connaissance du caractère illégal des activités exercées est déduit de la compétence professionnelle des avocats, spécialistes du droit des sociétés et des montages juridiques et fiscaux » (Cass. crim., 2 déc. 2009, n° 09-81.088). Et que le règlement intérieur national, en son article 1er, est d’une clarté d’eau de source en ayant créé une obligation de dissuader les personnes qui pourraient frauder le fisc.
Par Patrick Michaud, Avocat, Ancien membre du conseil de l’Ordre de Paris (1992-1995, 2011-2013)
Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 245, p. 3 (mars 2015)