Edito : Moderniser ou harmoniser ?
Le 17 juin dernier, la Commission européenne a présenté un plan d’action visant à établir une fiscalité d’entreprises « juste et efficace » au sein de l’Union. Les 5 propositions se situent, en partie, dans le prolongement des travaux de l’OCDE relatifs à l’érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices. Elles visent à moderniser le système de taxation des entreprises, afin d’assurer l’imposition des bénéfices dans l’État où la valeur est générée, notamment pour les formes modernes, voire numériques, de l’exploitation (axe 2) et à accroître la transparence fiscale (axe 4). D’autres mesures sont propres à l’Union européenne et se veulent adaptées à la protection du marché unique. Il en est ainsi des mesures visant à développer la coordination entre les États membres en matière fiscale (axe 5) ou de celles qui visent à créer un environnement fiscal favorable au développement d’activités transfrontalières par des sociétés européennes (axe 3). Ces dernières mesures comprennent, d’une part, l’introduction de la possibilité de compenser les profits et les pertes réalisés dans les différents États membres (actuellement impossible en France) et, d’autre part, l’amélioration des mécanismes de procédures amiables mis en œuvre dans le cadre des conventions fiscales.
Mais la mesure phare de ce projet, dont les effets sont censés affecter les cinq axes, est celle de l’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés (axe 1). Pourtant le concept de l’harmonisation fiscale est contesté d’une façon quasi unanime par les économistes qui considèrent qu’une concurrence, notamment fiscale, entre les États est aussi bénéfique qu’une concurrence sur le marché entre les opérateurs économiques. Elle conduit les États à limiter leurs prélèvements obligatoires et à améliorer l’efficacité de leurs dépenses, ce qui est plus bénéfique pour leur économie qu’une augmentation des prélèvements obligatoires. Or si officiellement l’Union européenne (ainsi que l’OCDE) vise à protéger la concurrence fiscale dite « saine », le recours de ces institutions à l’harmonisation des législations fiscales pourrait davantage être comparé à une entente tarifaire entre les opérateurs sur un marché, pratique anticoncurrentielle par excellence.
Cependant, l’ampleur en pratique très limitée de ces projets réduit les risques économiques qu’ils comportent, autant qu’elle en réduit l’efficacité par rapport aux objectifs affichés. La proposition d’une directive prévoyant une base commune de l’impôt sur les sociétés a été déposée par la Commission en mars 2011 et n’a jamais abouti. Même si elle devait aboutir, elle n’harmoniserait au mieux que l’assiette de l’impôt, laissant son champ d’application (voir les travaux du Congrès de 2013 de l’Association européenne des professeurs de droit fiscal sur ce sujet), mais surtout les taux d’imposition, à la libre appréciation des États(alors même que le rapport de la Commission précise que la concurrence fiscale se joue entre les États surtout au niveau des taux d’imposition). En revanche, cette harmonisation pourrait en effet permettre de simplifier les formalités déclaratives des entreprises et ainsi réduire les coûts du développement transfrontalier de leurs activités.
D’autres mesures pourraient être envisagées pour préserver le respect des obligations fiscales, telles que la fixation des critères clairs et harmonisés au niveau européen des comportements fiscaux jugés répréhensibles. Cette harmonisation – plus simple à réaliser – préserverait davantage la souveraineté fiscale des États et renforcerait la sécurité juridique des entreprises.
En attendant, le Parlement européen a soutenu le plan d’action de la Commission lors des débats du 24 juin dernier en lui demandant de formuler au plus vite des propositions législatives.
Par Polina Kouraleva-Cazals, Maître de conférences à l’Université Paris X, membre du Centre de Recherches sur le Droit public (CRDP)
Publié in Dr. & Patr. 2015, n° 249, p. 3 (juillet-août 2015)