Edito : L’Arbitrage, pourquoi un tel opprobre ?
Dans le cadre des négociations menées par l’Union européenne relatives à l’Accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les États-Unis, le choix de l’arbitrage pour la résolution des différends entre États et investisseurs suscite un débat politique et médiatique agité. Certains contestent l’idée même d’y recourir pour des litiges entre États et investisseurs. Pourtant, l’arbitrage est déjà prévu dans la plupart des traités d’investissements conclus par les États de l’Union Européenne. On lit cependant qu’il serait inutile pour un traité entre l’Union et les États-Unis dont les juges sont parfaitement compétents et indépendants. Mais comment expliquer, sans être accusé d’arrogance européenne, lors de négociations futures avec d’autres États, que, dans leur cas, compte tenu de leur système judiciaire « défaillant », le recours à l’arbitrage est cette fois essentiel ? Plus généralement, la recherche d’un juge neutre paraît légitime pour un litige entre un investisseur et un État, le juge local, soumis à diverses pressions, politiques ou médiatiques, pouvant manquer d’objectivité.
D’autres critiques concernent le fonctionnement actuel du système arbitral en matière de règlement des litiges d’investissements. Certaines ne sont pas sans fondement mais ont engendré une prise de conscience, notamment de la Commission Européenne, sur la nécessité d’améliorer le système. Ainsi, si on dénonce le défaut de transparence des procédures arbitrales, la tendance actuelle est à l’instauration d’un plus grand accès du public aux procédures. L’adoption récente du règlement de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI, dont la Commission souhaite la mention dans le futur Accord) et de la Convention des Nations Unies sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités peut même faire penser que la transparence est en passe de devenir un principe fondamental de l’arbitrage d’investissement. L’idée selon laquelle les arbitres favoriseraient les investisseurs est, quant à elle, démentie par les statistiques, puisque plus de la moitié des procédures conduisent à un rejet des demandes des investisseurs. De plus, les décisions des arbitres ne peuvent être guère meilleures que les règles qu’ils sont chargés d’appliquer. La rédaction parfois « défaillante » de certains traités est d’abord l’œuvre des États. Aussi, la Commission a clairement affiché sa volonté, dans le cadre du futur Accord, de clarifier certaines dispositions fondamentales en matière de protection des investissements afin de rééquilibrer les choses et de laisser moins de marge de manœuvre aux arbitres dans leur interprétation : réaffirmation du droit des États de légiférer et de prendre des mesures non discriminatoires poursuivant un but légitime de protection du bien-être public, précision des notions « d’expropriation indirecte » ou de « traitement juste et équitable ». Ces précisions devraient apaiser la crainte de certains de voir les États, sous la menace d’arbitrages, s’autolimiter dans leur envie de légiférer. Au demeurant, cette prétendue autolimitation n’a pas jamais été démontrée.
Quant à l’accusation de conflit d’intérêts et de défaut d’indépendance des quelques arbitres qui « font l’arbitrage d’investissement », il faut rappeler que le système de nomination des arbitres est largement aux mains des parties et ne favorise pas plus les investisseurs que les États. Néanmoins, la Commission entend créer de nouvelles règles de désignation et instaurer un système de listes d’arbitres qui, quoi qu’on pense de ses mérites, favoriserait les États qui auront alors la main sur l’élaboration de ces listes. Au demeurant, l’indépendance des arbitres est déjà une exigence fondamentale de l’arbitrage qui a ses mécanismes de vérification et de sanction et que la proposition de la Commission de soumettre les arbitres aux Lignes directrices de l’International Bar Association (IBA) sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international et d’établir d’un code de déontologie des arbitres ne pourra que renforcer.
Ainsi, les légitimes inquiétudes sur certains défauts du mécanisme actuel ont été prises en compte par la Commission. Plutôt que de s’opposer, certains devraient plutôt aider la Commission à obtenir l’incorporation des avancées qu’elle propose dans le futur Accord.
Par Christophe Seraglini, Professeur à l'Université Paris-Sud et Avocat Associé, Betto Seraglini
Publié in Dr. & Patr. 2015, n° 248, p. 3 (juin 2015)