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L’ÉTHIQUE D’ENTREPRISE, UNE GRAMMAIRE DU POUVOIR

Par PAR KRISTINA RASOLONOROMALAZA, MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN DROIT PRIVÉ ET SCIENCES CRIMINELLES À L’UNIVERSITÉ BOURGOGNE FRANCHE-COMTÉ, CENTRE DE RECHERCHES JURIDIQUES DE L’UNIVERSITÉ DE FRANCHE-COMTÉ (CRJFC), UNITÉ DE RECHERCHE N° 3225

Prévention et compliance. – Depuis la fin du XIXe siècle, au gré des crises, le droit de l’entreprise s’est vu attribuer la fonction d’amortir puis de prévenir les risques induits par l’activité économique : ainsi, la « question sociale » – avec notamment la recrudescence des accidents du travail auxquels Émile Zola sensibilise l’opinion publique avec son oeuvre majeure Germinal (1885) – a donné lieu à l’adoption de la loi de 1898 sur les accidents du travail ; la Seconde Guerre mondiale a rendu nécessaire la création de la Sécurité sociale ; la catastrophe de Seveso en Italie en 1976 et l’explosion de l’usine AZF en 2001 ont conduit à l’adoption de textes européens et nationaux sur la prévention des risques liés aux activités industrielles ; l’affaire du sang contaminé en 1991 et la crise de la vache folle en 1996 ont introduit le principe de précaution face aux incertitudes scientifiques dans le champ sanitaire ; les marées noires, la destruction de la couche d’ozone et les conséquences du réchauffement climatique et de la pollution ont entraîné le développement du droit de l’environnement ainsi que son innervation dans les autres branches du droit.

Plus récemment, la crise financière de 2008 puis l’effondrement du Rana Plaza (1) en 2013 ont accéléré ce mouvement : régulation du système bancaire et financier (2008-2013), reporting extra-financier (2014), loi Sapin 2 traitant de la prévention de la corruption et de la protection des lanceurs d’alerte (2016), devoir de vigilance (2017) (2)… La compliance est née de ces diverses injonctions faites aux entreprises de mettre en place des dispositifs de prévention des risques sous peine de sanction. Ici, la responsabilité est dite ex ante puisqu’elle est établie du simple fait d’un manquement à l’obligation de prévention, même sans dommage (3). La RSE, une éthique « appliquée ». – Pour désigner l’ensemble de ces obligations légales, on parle, en sciences sociales, d’« institutionnalisation de la responsabilité sociale (ou sociétale) de l’entreprise » (4) (RSE), ou encore de RSE « contraignante ». En effet, à l’origine, la RSE se distingue de la loi par son caractère volontaire : dans son livret vert « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises » du 18 juillet 2001, la Commission définit d’ailleurs la RSE comme « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. Être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir “davantage” dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes. » Même si plusieurs affaires – comme récemment le scandale Orpea – ont conduit à mettre en doute la sincérité et l’efficacité de cette approche (5), et même si certains ont pu regretter que la RSE devienne vectrice du transfert depuis l’État vers l’entreprise de la charge de dompter le capitalisme (notamment au moyen d’incitations fiscales), la « véritable » RSE, volontaire, n’en est pas moins l’éthique des entreprises. Dans la même veine que le fameux « responsable, mais pas coupable » prononcé par la malheureuse ministre de la Santé Georgina Dufoix, en exercice au moment de l’affaire du sang contaminé, l’entreprise engagée dans une démarche de RSE facultative se tient elle-même pour moralement responsable dès lors qu’elle avait le pouvoir d’agir pour éviter un danger et, par conséquent, estime devoir prévenir les risques inhérents à son activité, quand bien même elle n’y serait pas tenue par la loi (6). Avec ses chartes éthiques, ses codes de conduite et ses process (procédés ou processus), la RSE applique ainsi le projet de l’entreprise éthique, institution « juste et bonne, avec et pour autrui », pour paraphraser la définition de l’éthique selon Paul Ricoeur (in Soi-même comme un autre, 1990).

On peut donc dire que la RSE est une « éthique appliquée » de l’entreprise selon Ricoeur, par opposition à l’« éthique fondamentale » qui est, objectivement, le domaine de ce qui est moralement permis ou défendu et, subjectivement, le sentiment d’être obligé qui fait tenir le rôle à la fois de législateur et de sujet (7).

Problématique. – La loi dite « PACTE » (2019), avec notamment sa révision de l’article 1833 du code civil obligeant désormais toutes les sociétés à prendre « en considération les enjeux sociaux et environnementaux de [leur] activité », ne généralisera pas pour autant l’entreprise éthique, pas plus que nous n’entrerions dans une ère « post-RSE » (8) où la RSE ne serait plus un ensemble de mesures correctives, mais s’inscrirait désormais au coeur de la stratégie d’entreprise, et ce, tant qu’il reste cette crainte, en sciences de gestion, que la performance sociale et environnementale obère la performance financière et, par là, la pérennité et la capacité d’innover de l’entreprise. Mais inscrire l’éthique au coeur de la stratégie, qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce qui caractérise l’entreprise véritablement éthique ? Comment la dist ingue-t-on du green, social et maintenant purpose washing ? S’inscrit-elle dans la mouvance du « capitalisme responsable » ? Quels sont ses rapports avec ses parties prenantes ? Quels liens maintient-elle, rompt-elle ou crée-t-elle avec les entreprises qui portent une autre vision de l’économie (entreprises capitalistes hors RSE, entreprises de l’économie sociale et solidaire) ? Que permet-elle d’accomplir de différent ? Existe-t-elle ou est-ce une utopie ?

Plan. – L’éthique est un paradoxe. Comme nous l’avons vu, le questionnement éthique – la recherche de ce qui est juste et bon – peut uniquement surgir d’une situation sur laquelle le sujet que l’on souhaite éthique a effectivement la capacité d’agir. L’éthique est donc une question de pouvoir. Or, précisément, pour Jacques Ellul, l’éthique c’est le choix de la non-puissance, ou, à tout le moins, le refus de la toute-puissance (9). S’agissant de l’entreprise, c’est le choix de limiter son pouvoir – que nous nommerons « éthique externe » (I), et de le partager – « éthique interne » (II).

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