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Dossier - L’autonomie du majeur protégé dans ses rapports de famille

Par Sophie Prétot, maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Depuis les années 2000, le législateur est particulièrement préoccupé par le respect de l’autonomie et des droits fondamentaux des majeurs protégés.

Ainsi la réforme du 5 mars 2007 (1) prévoit-elle, parmi ses principes directeurs, que la protection de ces majeurs vulnérables est « instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne » ou, encore, qu’elle « favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie » de la personne (C. civ., art. 415). Les applications de ces principes sont nombreuses et leur domaine s’accroît même, comme en témoigne par exemple la possibilité qu’a, depuis la loi du 23 mars 2019 (2), tout majeur, sans restriction, de voter ou de contracter, seul, un mariage ou un pacte civil de solidarité.

Ce mouvement de fondamentalisation de notre droit des majeurs protégés est réel et devrait prendre encore de l’ampleur. Les nombreux rapports rendus en la matière, tant par le Défenseur des droits (3) que par des parlementaires (4), des instances diverses (5) ou le rapporteur des Nations Unies (6), sont unanimes : le droit supranational, tel qu’issu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées en particulier, de même que les évolutions sociétales requerraient de considérer bien davantage l’autonomie de la personne vulnérable. Aussi, la « capacité naturelle » de tout majeur, même fragile, devrait indéniablement demeurer le principe, et tout tempérament à ce principe devrait être écarté ou, du moins, aménagé de telle sorte qu’il soit le moins signifiant possible. C’est ainsi qu’il conviendrait de réduire au maximum les cas d’assistance et, dans la mesure du possible, bannir toute forme de représentation. Dans ce processus de renforcement des droits fondamentaux du majeur protégé, le nouveau paradigme ne serait plus tant la protection des intérêts du majeur que le respect de la volonté du majeur. La mise en place du mandat de protection future, par la loi de 2007, et la possibilité de conclure seul son mariage, depuis la loi de mars 2019, en sont des illustrations probantes. Le mandat de protection future (7) permet à la personne de prévoir contractuellement la protection dont elle pourra faire l’objet dans un avenir plus ou moins proche. Le mandant est très libre quant au choix du mandataire (8), aucune priorité familiale ne s’appliquant en particulier, quant à la forme du mandat qui peut être notarié ou sous seing privé (9), mais aussi quant au contenu du mandat, le mandant définissant le champ de la protection (10) et les modalités du contrôle de celle-ci (11). Rédigée à un moment précis, parfois sans les conseils d’un professionnel avisé, cette protection prévisionnelle, largement extraite du cadre judiciaire, peut s’avérer non optimale, voire très inadaptée, à la situation future du mandant. Elle peut même aller à l’encontre des principes de nécessité et de proportionnalité. Néanmoins, parce qu’elle est le fruit de la volonté du mandant, elle est mise à l’honneur et privilégiée par le législateur par la loi de mars 2019, même devant les mécanismes du droit des régimes matrimoniaux (12). Quant à la très récente possibilité, pour le majeur en tutelle, de consentir seul à son mariage, la place accordée à la volonté est également centrale. Parce que la liberté matrimoniale est un droit fondamental, il est apparu nécessaire au législateur de ne plus subordonner la conclusion du mariage par un majeur protégé à une quelconque autorisation préalable. Le tuteur, informé du projet de mariage, peut toutefois former opposition au mariage (13). Dans ce cas, le juge veillera à contrôler la réalité du consentement du fiancé mais le juge n’aura plus à contrôler la conformité du mariage aux intérêts du conjoint (14) : finalement, le consentement du conjoint prime sur ses intérêts ou laisse nécessairement présumer l’adéquation du consentement du majeur protégé à ses intérêts.

Pourtant, l’autonomie du majeur aux facultés altérées ne va pas toujours de soi et ces difficultés apparaissent tout particulièrement dans les rapports de famille. Par définition, dans le groupe qu’est la famille, le majeur protégé n’est pas seul et doit composer avec d’autres. Or, sa volonté peut aller à l’encontre des intérêts des autres membres de la famille et ce phénomène paraît particulièrement problématique lorsque le discernement du majeur s’avère fragile. En particulier, la pleine reconnaissance de l’autonomie du parent protégé, dans l’exercice de l’autorité parentale par exemple, doit être conciliée avec le respect de l’intérêt de son enfant. En outre, parce que le majeur s’inscrit dans le groupe familial qui le dépasse, ses intérêts peuvent entrer en contradiction avec ceux d’autres membres. Or, par définition vulnérable, le majeur peut ne pas être en mesure d’identifier ce phénomène ou d’en prendre la mesure. Le mariage du majeur vulnérable peut être conforme à la volonté de celui-ci tout en portant gravement atteinte à ses intérêts, notamment patrimoniaux. Aussi, se demander si le mouvement d’autonomie du majeur protégé est pleinement abouti dans les rapports de famille, c’est aussi rechercher s’il est souhaitable qu’il le soit et dans quelle mesure il peut, en réalité, être raisonnablement mis en œuvre.

Cette réflexion connaît un intérêt singulier à l’heure où, parallèlement à ce processus de fondamentalisation du droit des majeurs protégés, le rôle de la famille dans la protection des majeurs vulnérables est renforcé. Expressément considérée comme un devoir des familles (15), la protection des majeurs est remise, de plus en plus, entre les mains de celles-ci, comme le manifestent notamment la mise en place de l’habilitation familiale en 2015 (16) et la suppression de toute une série d’autorisations judiciaires préalables à la conclusion d’actes par le tuteur, notamment familial, par la loi de mars 2019 (17). Cette place grandissante de la famille s’explique d’abord par des considérations pratiques : le nombre de personnes sous protection explose et le système judiciaire n’est plus en mesure de répondre à cette donnée. Aussi, le souci d’économies publiques et de désengorgement des tribunaux nécessiterait que les familles prennent davantage leur place dans la protection de leurs membres. Mais cet encouragement à la solidarité familiale se fonde encore sur une sorte de présomption de bons soins donnés par la famille. Cette dernière serait, aujourd’hui, considérée comme l’un des meilleurs acteurs de la protection du faible et serait, par principe, digne de confiance.

Aussi, c’est en ayant égard tant à la nécessité affichée de renforcer les droits fondamentaux du majeur protégé qu’à la spécificité des rapports familiaux qu’il nous revient de rechercher jusqu’où l’autonomie du majeur protégé peut, de lege ferenda, être ici reconnue.

Sommaire du dossier : 

L’autonomie de la personne

Par Grégoire Loiseau, professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Vers une reconnaissance du parent protégé ?

Par Sophie Prétot, maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Le mariage de la personne protégée : l’arbre qui cache la forêt

Par Anne-Marie Leroyer, professeure à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Le majeur protégé et la séparation du couple, ou quand la volonté de promouvoir l’autonomie ne suffit pas

Par Maïté Saulier, maîtresse de conférences, Université CY Cergy Paris Université.

Le majeur protégé et la transmission de ses biens : voyage au pays des faux-semblants

Par Jérémy Houssier, professeur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne

Notes :

1 Loi nº 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (JO, 7 mars 2007).
2 Loi nº 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (JO, 24 mars 2019).
3 Défenseur des droits, « Protection juridique des personnes vulnérables », 2016.
4 C. Abadie, A. Pradié, « Rapport d’information nº 2075 sur les droits fondamentaux des majeurs protégés », enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 26 juin 2019.
5 A. Caron-Déglise, « Rapport de mission interministérielle, L’évolution de la protection juridique des personnes, Reconnaître, soutenir et protéger les personnes les plus vulnérables », 2018 ; CNCPH, « Rapport relatif à la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs : assurer le respect des droits fondamentaux des personnes vulnérables », 2018.
6 C. Devandas-Aguilar, « Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées », 2019.
7 C. civ., art. 477 s.
8 C. civ., art. 477, al. 1, et 480.
9 C. civ., art. 477, al. 4.
10 C. civ., art. 425, al. 2, et 479, al. 1 et 2.
11 C. civ., art. 479, al. 3.
12 C. civ., art. 428.
13 C. civ., art. 460 et 175.
14 Sur cette appréciation des intérêts du majeur vulnérable, v. notam. CEDH, 25 oct. 2018, aff. Delecolle c/ France, nº 37646/13 ; Civ. 1re, 5 déc. 2012, nº 11-25.158, publié.
15 C. civ., art. 415, al. 4.
16 Ordonnance nº 2015-1288 du 15 oct. 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille (JO, 16 oct. 2015).
17 V. S. Prétot, « Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : une nouvelle déjudiciarisation du droit des personnes et de la famille », Droit et patrimoine, décembre 2019, p. 10-19.
 

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