Aspects procéduraux de l’action de groupe : entre efficacité et complexité
L’actualité révèle que les associations qualifiées pour agir ont déjà mis en pratique l’action de groupe, entrée en vigueur le 1er octobre 2014. Le dispositif procédural est complexe, parce qu’il s’agit de garantir une indemnisation effective des consommateurs, tout en ménageant les droits de la défense du professionnel !
Par Natalie Fricero, Professeur à l’Université de Nice, Directeur de l’Institut d’études judiciaires
Grâce au décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 (JO 26 sept.), l’action de groupe prévue aux articles L. 423-1 et suivants du Code de la consommation, issus de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (JO 18 mars) relative à la consommation[1], a pu entrer en vigueur le 1er octobre 2014[2]. Elle s’insère dans le cadre procédural de droit commun : l’article R. 423-1 du Code de la consommation précise à cet égard que l’action de groupe prévue par l’article L. 423-1 est exercée conformément aux dispositions du Code de procédure civile, sous réserve des dispositions spécifiques. En conséquence, sauf dérogation spécifique, la référence au droit commun permet de régler les éventuelles difficultés procédurales. À l’analyse, la procédure de l’action de groupe conduit à une application successive de divers mécanismes procéduraux, l’instance unique étant scindée en plusieurs phases distinctes jusqu’à l’indemnisation effective des consommateurs : ainsi, l’association agit initialement par substitution dans l’action, puis, après adhésion des consommateurs, en tant que mandataire de ces derniers. En outre, l’autorité de la chose jugée du jugement est conditionnée par l’adhésion du consommateur : à défaut d’acceptation, le consommateur retrouve son droit d’agir en justice pour obtenir réparation. Ces deux exemples démontrent que l’action de groupe « à la française » a conduit le législateur à de nouvelles acceptions du droit commun procédural à toutes les phases de l’instance.
I – L’obtention d’un jugement sur la responsabilité
A – La formation de la demande
Selon l’article R. 423-4 du Code de la consommation, la demande est formée, instruite et jugée selon les règles applicables à la procédure ordinaire en matière contentieuse devant le tribunal de grande instance (TGI), ce qui renvoie à titre de droit commun aux articles 750 et suivants du Code de procédure civile. La représentation par avocat de l’association demanderesse est donc obligatoire, à peine de nullité de l’assignation (CPC, art. 751). L’association peut aussi s’adjoindre un avocat ou un huissier de justice pour l’assister (C. consom., art. L. 423-9 et R. 423-5) au cours des différentes phases de la procédure (notamment pour recueillir les adhésions).
Conformément à l’article L. 211-15 du Code de l’organisation judiciaire, la demande doit être formée devant un TGI, quel que soit le montant du préjudice. Les textes ne précisent aucun montant minimal ou maximal pour obtenir réparation, il suffit que les conditions relatives au préjudice allégué soient remplies (dans les îles Wallis et Futuna, la compétence est attribuée au TGI). En cas de pluralité de saisines de TGI fondées sur les mêmes manquements, le droit commun de la procédure s’applique pour éviter les contrariétés de décisions à l’égard du même professionnel défendeur. Le défendeur peut demander, en tout état de cause, à l’un des TGI de se dessaisir et de renvoyer l’affaire à un autre TGI (CPC, art. 102 et 103, exception de connexité). La circulaire du 26 septembre 2014 indique que l’un des juges saisis peut aussi surseoir à statuer (CPC, art. 378) dans l’attente de l’issue de l’autre procédure. Si le même TGI est saisi de plusieurs actions de groupe, une jonction des deux instances peut être ordonnée (CPC, art. 367), si le président n’a pas déjà distribué les affaires à la même chambre (CPC, art. 758).
S’agissant de la compétence territoriale, l’article R. 423-2 du Code de la consommation précise que le TGI compétent est celui du lieu où demeure le défendeur (il n’y a pas d’option de compétence). Ceci correspond à la règle traditionnelle prévue à l’article 42 du Code de procédure civile. Si le défendeur est une personne morale, ce lieu correspond à celui où elle est établie (CPC, art. 43). Lorsque le défendeur demeure à l’étranger ou n’a ni domicile ni résidence connus, le TGI territorialement compétent est celui de Paris (sous réserve de l’application du règlement « Bruxelles I bis » n° 1215/2012/UE du 12 décembre 2012, JOUE 20 déc., n° L 351, si le défendeur est domicilié dans un autre État de l’Union européenne).
Seules les associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées pour agir en justice pour la défense des intérêts individuels de consommateurs ont qualité pour agir en justice (C. consom., art. L. 423-1 ; actuellement quinze associations, v. la liste dans la circulaire du 26 septembre 2014 relative à l’action de groupe). Une copie de l’arrêté d’agrément pris en application des dispositions de l’article R. 411-2 du Code de la consommation est jointe à l’assignation (C. consom., art. R. 423-3 : le texte ne prévoit pas de sanction). La particularité de l’action de groupe de droit commun est que les consommateurs bénéficiaires de l’action ne sont pas connus lors de l’introduction de la demande. Cette situation procédurale est analogue à celle des syndicats professionnels agissant en justice pour défendre les intérêts individuels des salariés[3], à propos de laquelle la Cour de cassation a jugé qu’il s’agit d’« une action de substitution qui lui est personnelle et non (d’)une action en représentation des salariés », alors même que les salariés sont bénéficiaires du jugement[4]. Une autre substitution dans l’action est organisée par l’article L. 423-24 du Code de la consommation : si l’association qui a pris l’initiative est défaillante, une autre association qualifiée peut demander à être substituée à la première, à tous les stades de la procédure (dans la phase de jugement, comme dans celle de sa mise en œuvre, en intervenant devant le juge de la mise en état, ou encore lors de la liquidation judiciaire devant le TGI, et même devant la cour d’appel). Cette demande d’intervention est faite comme une demande incidente (C. consom., art. R. 423-23), et si le juge la rejette, aucun recours n’est ouvert (C. consom., art. R. 423-23).
Conformément au droit commun procédural, la demande prend la forme d’une assignation (CPC, art. 56 et 752). Outre les mentions habituelles, l’assignation doit exposer expressément les cas individuels présentés par l’association au soutien de son action, à peine de nullité (C. consom., art. R. 423-3). Il s’agit d’une nullité pour vice de forme soumise au régime des articles 112 et suivants du Code de procédure civile, régularisable avant que le juge statue si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief (CPC, art. 115). L’association n’est pas tenue d’exposer un nombre défini de cas : deux situations pourraient en théorie suffire à lancer une action de groupe, mais il est évident que l’association procédera à des investigations de nature à établir un nombre significatif de consommateurs lésés répondant aux conditions prévues à l’article L. 423-1 du Code de la consommation (sauf à engager une action simplifiée). L’assignation doit permettre de préciser l’objet de la demande à travers les cas exposés, et fournir des éléments permettant de définir le groupe de consommateurs concernés, et les critères de rattachement à ce groupe (C. consom., art. L. 423-3). Seuls les litiges de la consommation sont actuellement couverts par l’action de groupe (une extension aux domaines de la santé et de l’environnement est envisagée par la loi), mais les textes n’imposent pas que les différents cas correspondent à des préjudices matériels identiques ou de même nature (remplacement du bien ; réparation du préjudice de jouissance). Il suffit qu’il s’agisse de préjudices patrimoniaux résultant d’un dommage matériel (à l’exclusion des préjudices moraux et corporels) ayant un caractère individuel. L’assignation devra préciser en quoi les préjudices ont pour cause commune le manquement du professionnel à ses obligations légales (obligation d’information ou de sécurité) ou contractuelles (délai de livraison) à l’occasion de la vente d’un bien ou de la fourniture d’un service (ou résultant d’une pratique anticoncurrentielle).
B – Le prononcé du jugement
La procédure suivie devant le TGI est celle du droit commun de la procédure contentieuse (CPC, art. 751 et s.). Elle sera mise en état selon le droit commun. Le droit de la preuve ordinaire s’applique : le juge peut ordonner toutes mesures d’instruction légalement admissibles nécessaires à la conservation des preuves et de production de pièces, y compris celles détenues par le professionnel (C. consom., art. L. 423-3). Le financement de l’expertise pose problème et impose à l’association qui agit de disposer de fonds suffisants pour garantir l’éventuelle consignation. A défaut, elle peut réclamer au juge une provision pour le procès pour couvrir les montants à consigner (CPC, art. 771, 2°, pour le juge de la mise en état devant le TGI).
Dans la même décision, le juge statue sur plusieurs questions : il vérifie et constate que les conditions de recevabilité sont réunies et s’il retient la responsabilité du professionnel, il définit le groupe de consommateurs à l’égard desquels la responsabilité du professionnel est engagée, fixe les critères de rattachement, détermine les préjudices susceptibles d’être réparés pour chaque consommateur ou chacune des catégories de consommateurs constituant le groupe qu’il a défini, ainsi que leur montant ou tous éléments permettant l’évaluation de ces préjudices ou encore, le cas échéant, précise les conditions de mise en œuvre d’une réparation en nature du préjudice lorsque celle-ci paraît plus adaptée. Un même groupe de consommateurs peut comprendre plusieurs catégories en fonction des préjudices réparables.
Le juge doit aussi ordonner des mesures adaptées pour informer les consommateurs susceptibles d’appartenir au groupe, à la charge du professionnel. Ces mesures de publicité sont effectuées une fois que le jugement n’est plus susceptible ni de recours ordinaire, ni de pourvoi en cassation (il n’est pas opportun de diffuser une condamnation qui risque d’être infirmée ou annulée, pour sauvegarder la réputation du professionnel !) ; et un délai est prévu dans lequel ces mesures doivent être mises en œuvre par le professionnel concerné et à l’expiration duquel elles le seront par l’association aux frais de ce dernier (C. consom., art. R. 423-6 ; dans ce cas, l’association peut demander une provision à valoir sur les frais non compris dans les dépens, ce qui couvre les publicités, art. L. 423-8). Ces mesures d’information doivent comporter les indications prévues à l’article R. 423-13 du Code de la consommation, à savoir : la reproduction du dispositif de la décision, les coordonnées de la personne auprès de laquelle chaque consommateur manifeste son adhésion au groupe, et éventuellement de l’association qui doit en être informée, la forme, le contenu et le délai de cette adhésion.
Contrairement au droit commun, le prononcé du jugement statuant sur la responsabilité du professionnel ne met pas fin à l’instance : une nouvelle phase permettant aux consommateurs d’adhérer au groupe afin d’obtenir la réparation de leur préjudice, puis une phase d’exécution concrète de la condamnation sont organisées. À cet effet, le jugement renvoie l’affaire à la mise en état et indique la date de l’audience à laquelle seront examinées, en application du second alinéa de l’article L. 423-12, les demandes d’indemnisation auxquelles le professionnel n’aura pas fait droit. Le TGI pourra mettre fin à l’instance après règlement des contestations éventuelles.
Le jugement sera le plus souvent susceptible d’appel, compte tenu du caractère indéterminable du montant du litige (CPC, art. 40 ; pour l’action de groupe simplifiée, les consommateurs étant connus, l’article 35 du Code de procédure civile permet d’additionner les montants réclamés pour vérifier si le taux du ressort de 4 000 euros est atteint). La procédure d’appel est celle prévue à l’article 905 du Code de procédure civile (C. consom., art. R. 423-4). Selon un avis de la Cour de cassation du 3 juin 2013[5], cette procédure dite « à bref délai » exclut l’application des articles 908 à 911 du Code de procédure civile. Mais elle n’exclut pas une mise en état (CPC, art. 905 et 762) : le conseiller de la mise en état fixera les délais nécessaires, au fur et à mesure ou selon un calendrier de la mise en état, après avoir recueilli l’accord des avocats (CPC, art. 764).
L’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu sur l’action de groupe protège le professionnel : une autre action de groupe fondée sur les mêmes faits, les mêmes manquements et la réparation des mêmes préjudices ayant fait l’objet d’un jugement ou d’un accord homologué est irrecevable (C. consom., art. L. 423-23). Il s’agit là d’une hypothèse particulière d’extension de l’autorité relative de la chose jugée à toutes les associations ayant qualité pour former une action de groupe, qui ne tient pas compte de la condition d’identité de parties prévue à l’article 1351 du Code civil.
II – La mise en œuvre du jugement
A – L’adhésion au groupe
1°/ L’adhésion consentie
Dans le considérant n° 16 d’une décision du 13 mars 2014, le Conseil constitutionnel[6] a précisé que la procédure permet au consommateur d’y consentir en pleine connaissance de cause, ce qui ne heurte pas le caractère facultatif de l’action en justice. L’action de groupe est fondée sur le système de l’« opt in » et seuls les consommateurs ayant adhéré au groupe peuvent obtenir l’exécution du jugement à leur profit. À cet égard, le consommateur susceptible d’appartenir au groupe qui n’a pas adhéré dans le délai fixé par le juge (ce délai est compris entre deux et six mois après l’achèvement des mesures de publicité, C. consom., art. L. 423-5 ; aucun relevé de forclusion n’est prévu permettant au consommateur de solliciter du juge une adhésion au groupe hors délai), et dans les conditions fixées par les textes et le jugement de condamnation, n’est plus recevable à demander son indemnisation dans le cadre de ladite action de groupe (C. consom., art. R. 423-16). Il n’est pas représenté par l’association requérante, n’ayant ni adhéré ni donné mandat subséquent.
L’adhésion se réalise par tout moyen permettant d’en accuser la réception, selon les modalités déterminées par le juge. Elle identifie le consommateur et indique le cas échéant une adresse électronique à laquelle il accepte de recevoir les informations relatives à la procédure. Elle précise le montant demandé en réparation du préjudice invoqué eu égard aux dispositions du jugement sur la responsabilité (C. consom., art. R. 423-14). Le consommateur devra justifier par les documents utiles de la réalité de son préjudice pour appuyer sa demande d’indemnisation.
L’adhésion au groupe peut être faite[7] auprès de l’association requérante, ou encore auprès du professionnel que l’association a choisi pour l’assister (C. consom., art. R. 423-15) : en effet, l’article L. 423-9 prévoit que l’association peut, avec l’autorisation du juge, s’adjoindre une personne appartenant à une profession réglementée (avocat ou huissier de justice, C. consom., art. R. 423-5) pour l’assister, notamment en vue de la réception des demandes d’indemnisation. La gestion des adhésions aura certainement un coût significatif (vérification de l’état civil des consommateurs, réception des pièces justificatives du préjudice, etc.) et suppose de disposer de ressources matérielles et humaines importantes. Lorsque l’association a été autorisée à s’adjoindre un tiers professionnel, elle peut demander que le juge condamne le professionnel responsable au paiement d’une provision à valoir sur les frais non compris dans les dépens exposés (C. consom., art. L. 423-8), notamment pour faire face à la rémunération du tiers professionnel. En cas de pluralité d’associations requérantes, le consommateur manifeste son adhésion auprès de l’association de son choix.
L’adhésion entraîne des conséquences procédurales importantes.
D’abord, l’adhésion vaut mandat aux fins d’indemnisation au profit de l’association requérante auprès de laquelle le consommateur a manifesté son adhésion au groupe ou qu’il a informée de son adhésion (C. consom., art. L. 423-5, al. 3). Selon l’article R. 423-17 du Code de la consommation, ce mandat vaut pouvoir d’accomplir au nom du consommateur tous actes de procédure et diligences en vue d’obtenir la réparation du préjudice individuel subi par lui et entrant dans le champ de l’action de groupe introduite par l’association, notamment pour l’exercice des voies de recours, mais aussi pour toute mesure d’instruction, et dans les relations avec le professionnel responsable. Après adhésion, l’association agit comme mandataire du consommateur qui devient partie à l’instance. Le consommateur peut mettre un terme au mandat à tout moment en le révoquant, ce qui emporte renonciation à l’adhésion au groupe (C. consom., art. R. 423-17). Il doit en informer l’association par tout moyen permettant d’en accuser la réception ; cette association en avise le tiers professionnel qui l’assiste sans délai. Le consommateur défaillant est parfois réputé renoncer à son adhésion. C’est le cas lorsqu’il n’a pas été indemnisé par le professionnel et qu’il n’a pas fourni les documents utiles au soutien de sa demande avant l’expiration du délai fixé par le juge pour le saisir des demandes d’indemnisation auxquelles le professionnel n’a pas fait droit (C. consom., art. R. 423-17). L’association est responsable de la mise en œuvre du mandat selon le droit commun.
Ensuite, l’adhésion interdit au consommateur d’agir individuellement à l’encontre du professionnel concerné en réparation du préjudice, sous réserve qu’il soit effectivement indemnisé dans le cadre de l’action de groupe. En effet, le jugement statuant sur la responsabilité du professionnel a autorité de la chose jugée à l’égard de chacun des membres du groupe dont le préjudice a été réparé au terme de la procédure (C. consom., art. L. 423-23). Mais le consommateur reste recevable à agir en indemnisation de ses autres préjudices (corporel, moral).
2°/ Le refus d’adhésion
À défaut d’adhésion dans le délai et selon les modalités requises, le consommateur défaillant ne sera plus recevable à obtenir une indemnisation dans le cadre de l’action de groupe (C. consom., art. R. 423-13). Il ne pourra pas profiter du bénéfice de l’autorité de la chose jugée par le jugement de condamnation. Il lui restera le recours à une action individuelle : l’article L. 423-20 du Code de la consommation précise que l’action de groupe a entraîné une suspension de la prescription extinctive de son droit, ce qui sauvegarde ses intérêts. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle le jugement rendu (C. consom., art. L. 423-3, ou L. 423-10 : action simplifiée, ou L. 423-16 : homologation de l’accord de médiation) n’est plus susceptible de recours ordinaire ou de pourvoi en cassation (ou de l’homologation).
B – La réparation
1°/ L’indemnisation sur justification du préjudice par le consommateur
Les mesures d’information contiennent « l’indication que les consommateurs doivent produire tout document utile au soutien de leur demande » (C. consom., art. R. 423-13, 6°, qui renvoie à l’article L. 423-4). Le juge détermine les documents indispensables pour que le professionnel indemnise (par exemple fournir le ticket de caisse pour l’achat d’un bien défectueux). Il ne sera pas toujours simple pour les consommateurs de retrouver des justificatifs, mais cela conditionne l’indemnisation effective ! La gestion des documents pourra être assurée par un tiers professionnel, cabinet d’avocat ou huissier de justice qui assiste l’association. Si le professionnel condamné ne conteste pas, le paiement doit s’effectuer dans le délai fixé par le jugement et selon les modalités prévues (il peut se faire directement auprès du consommateur, ou auprès de l’association ou du tiers professionnel). Chaque association doit ouvrir auprès de la Caisse des dépôts et consignations un compte spécifique au groupe des consommateurs définis par le juge dans le jugement. Toute somme reçue au titre de l’indemnisation des consommateurs lésés est immédiatement déposée par l’association sur ce compte (C. consom., art. R. 423-18 et L. 423-6). L’association est seule habilitée sous sa responsabilité à procéder aux mouvements sur chaque compte et à le clôturer, sachant que le compte ne peut faire l’objet de mouvements en débit que pour le versement des sommes dues aux intéressés.
L’article L. 423-21 du Code de la consommation précise que le jugement a autorité de la chose jugée « à l’égard des membres du groupe dont le préjudice a été réparé au terme de la procédure », instaurant une autorité de la chose jugée conditionnée par l’exécution effective du jugement (comme c’est le cas pour la transaction [8]), alors que le Code de procédure civile prévoit que l’autorité de la chose jugée est attachée au prononcé du jugement, et que l’exécution du jugement est subordonnée à la réunion préalable des conditions de la force exécutoire (CPC, art. 500 et s.). L’un des effets de l’indemnisation est de faire produire à l’autorité de la chose jugée un effet rétroactif à l’égard des consommateurs indemnisés, en ce qui concerne le préjudice objet de l’action de groupe.
2°/ Le règlement de certains différends par le juge de la mise en état
Le juge de la mise en état devant le TGI a reçu de nouvelles attributions puisqu’il lui appartient de trancher les difficultés qui s’élèvent au cours de la mise en œuvre du jugement sur la responsabilité et qui lui sont soumises avant l’expiration du délai fixé pour l’indemnisation des consommateurs (difficultés relatives à la publicité, au versement d’une provision pour le procès à l’association ; C. consom., art. R. 423-19). Le délai fixé pour l’indemnisation est suspendu jusqu’à la décision du juge de la mise en état. Son ordonnance n’est pas susceptible d’appel (C. consom., art. R. 423-19). La circulaire du 26 septembre 2014 indique que ces différends ne peuvent avoir pour objet ni une remise en cause de l’autorité de la chose jugée, ni la liquidation des préjudices individuels.
3°/ Les demandes d’indemnisation portées devant le TGI : la liquidation judiciaire
Les demandes d’indemnisation auxquelles le professionnel n’a pas fait droit doivent être portées devant le TGI et regroupées à l’audience dont la date a été indiquée dans le jugement statuant sur la responsabilité du professionnel (C. consom., art. R. 423-20, R. 423-7 et L. 423-12). Cette phase de la procédure permet notamment de rétablir les droits de la défense du professionnel face aux consommateurs adhérents : il pourra invoquer les moyens tenant à la situation particulière du consommateur (prescription ou nullité éventuelle du contrat, comportement fautif de la victime ou toute autre cause d’exonération) qu’il n’a pas pu alléguer lors de la première phase de jugement, faute d’identification des consommateurs.
Les demandes sont présentées dans les formes prévues pour les demandes incidentes et dans le délai fixé par le juge pour le saisir dans le jugement statuant sur la responsabilité du professionnel (C. consom., art. L. 423-7 : le juge fixe le délai dans lequel doit intervenir la réparation et le délai ouvert à cette échéance pour le saisir des demandes d’indemnisation auxquelles le professionnel n’a pas fait droit). Elles sont formées auprès du juge de la mise en état et jugées par le TGI. Le TGI examine la demande en conformité avec les critères fixés dans le jugement de responsabilité, avec les moyens de fait et de droit allégués.
L’association représentant les consommateurs, elle est réputée créancière au sens des articles L. 111-1 et L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution pour l’exécution forcée du jugement rendu sur le fondement de l’article L. 423-12 sur les demandes d’indemnisation auxquelles le professionnel n’a pas fait droit (C. consom., art. R. 423-21). Elle a donc la possibilité de mettre en œuvre les procédures civiles d’exécution forcée, dans les conditions de droit commun, pour obtenir l’effectivité du jugement liquidant les préjudices. Mais dans tous les actes relatifs à la liquidation judiciaire des préjudices et à l’exécution forcée du jugement, l’association doit préciser, outre les mentions prévues par la loi, l’identité des consommateurs pour le compte de qui elle agit, à peine de nullité (C. consom., art. R. 423-22 : « Nul en France ne plaide par procureur »).
L’intégralité des frais et droits proportionnels de recouvrement et d’encaissement prévus à l’article L. 111-8 du Code des procédures civiles d’exécution est automatiquement à la charge du professionnel.
4°/ Constat de l’extinction de l’instance
Si aucune demande d’indemnisation n’a été formée dans le délai fixé, l’instance s’éteint (C. consom., art. L. 423-7). La circulaire précise qu’il appartient au juge de la mise en état de constater cette extinction (CPC, art. 769), puisqu’il est toujours saisi.
III – Les régimes particuliers
A – La médiation « de substitution »
L’article L. 423-15 du Code de la consommation prévoit que l’association requérante peut participer à une médiation dans les conditions fixées par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 (JO 9 févr.) afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels. Le juge saisi peut désigner un médiateur conformément au droit commun (CPC, art. 131-1 et s.), avec l’accord de toutes les parties, à toutes les phases de l’instance. Il s’agit d’une « médiation de substitution » puisque l’association a qualité pour négocier un accord sans que les consommateurs soient représentés, alors même qu’ils vont bénéficier de l’accord. Tout accord négocié au nom du groupe est soumis à l’homologation du juge. Les pouvoirs du juge homologateur sont prévus par l’article L. 423-16 : le TGI vérifie que l’accord est conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s’appliquer et lui donne alors la force exécutoire. Il s’agit d’un contrôle « lourd » puisque le juge vérifie que les intérêts en présence ont été respectés (notamment eu égard au caractère suffisant de la réparation). L’homologation judiciaire permet d’alléger la responsabilité de l’association.
L’accord précise les mesures de publicité nécessaires pour informer les consommateurs concernés de la possibilité d’y adhérer ainsi que les délais et les modalités de cette adhésion. La médiation de groupe est protectrice des droits des consommateurs. L’intérêt essentiel pour le professionnel est d’éviter la publicité des débats devant une juridiction étatique, de bénéficier de la confidentialité des déclarations propre à la médiation, et de mieux maîtriser le temps du processus. Mais le professionnel ne pourra éviter la publicité donnée à l’accord de médiation en vue de l’adhésion des consommateurs. L’accord rendu public ne risque-t-il pas d’être perçu comme un « aveu de responsabilité » du professionnel ? En outre, la médiation présente ordinairement l’avantage de la maîtrise du coût de la solution : dans la médiation de groupe, au contraire, le professionnel ne peut pas anticiper le nombre de consommateurs qui adhéreront, et donc le coût final de l’accord. De plus, le contrôle opéré par le juge homologateur sur la protection des intérêts des consommateurs fait qu’il sera contraint de proposer une indemnisation favorable aux victimes, équivalente à celle à laquelle il aurait été condamné par le TGI en l’absence d’accord amiable !
La circulaire indique qu’une médiation conventionnelle peut toujours être tentée par l’association avant toute saisine d’un TGI d’une action de groupe. L’accord éventuel est soumis à l’homologation du TGI compétent (CPC, art. 1565 et 1566).
B – Particularisme procédural de l’action de groupe simplifiée : les consommateurs lésés sont connus
L’action de groupe dite « simplifiée » permet l’indemnisation directe et individuelle des consommateurs par le professionnel condamné : elle suppose que l’identité et le nombre des consommateurs lésés soient connus (par exemple les consommateurs victimes d’un même opérateur de téléphonie mobile, que l’on peut retrouver grâce aux fichiers dudit opérateur et grâce à des éléments objectivés, notamment parce que l’abonnement proposé comporte un élément dommageable ayant provoqué un préjudice patrimonial) et que ces derniers ont subi un préjudice d’un même montant, d’un montant identique par prestation rendue, ou d’un montant identique par référence à une période ou une durée.
Après avoir déterminé les critères d’identification des membres du groupe, le jugement doit préciser le délai et les modalités d’information d’acceptation et d’indemnisation des consommateurs concernés (C. consom., art. R. 423-8). Il fixe les modalités et délais des mesures d’information individuelle des consommateurs concernés, réalisées aux frais du professionnel. L’article R. 423-9 précise que ces mesures d’information, outre les mentions éventuellement prescrites par le jugement, contiennent la reproduction du dispositif de la décision, les coordonnées du professionnel et de l’association, la forme, le contenu et le délai de l’acceptation de l’indemnisation dans les termes du jugement. Elles sont simplifiées et limitées aux consommateurs connus. Le consommateur doit être informé du fait que s’il accepte l’indemnisation dans les termes du jugement, il ne pourra plus agir individuellement à l’encontre du professionnel concerné en réparation du préjudice indemnisé, même s’il peut toujours agir en réparation de ses autres préjudices. Il doit également être informé du fait qu’à défaut d’acceptation selon les modalités et délai requis, il n’est plus recevable à obtenir une indemnisation dans le cadre de l’action de groupe et n’est pas représenté par l’association requérante (C. consom., art. R. 423-11). Il s’agit d’une sorte « d’offre de jugement »[9].
L’acceptation du consommateur est adressée par tout moyen permettant d’en accuser la réception, auprès du professionnel et de l’association requérante, selon le délai et les modalités déterminés par le juge. Elle intervient au stade de l’exécution du jugement auquel le consommateur « connu » n’a pas participé et à l’issue d’une instance dont il n’a pas été informé et qu’il n’a donc pas pu refuser, selon un système original d’« opt in ouvert » ou d’« opt out sui generis ». L’acceptation contient les nom, prénoms et domicile du consommateur ainsi qu’une adresse électronique à laquelle les informations relatives à la procédure peuvent être envoyées ; elle mentionne expressément le montant de l’indemnisation acceptée eu égard aux termes du jugement (C. consom., art. R. 423-10). Elle vaut mandat aux fins d’indemnisation au profit de l’association auprès de laquelle le consommateur a manifesté son acceptation ou qu’il a informée de celle-ci. Mais comme les consommateurs ont été identifiés dès le début de l’instance, ils n’ont plus à justifier de documents attestant la réalité de leur préjudice, lequel a été prévu dans son montant par le jugement : le consommateur se borne à accepter le montant indiqué dans le jugement.
L’association mandatée a le pouvoir d’accomplir au nom du consommateur tous actes de procédure et diligences en vue d’obtenir la réparation du préjudice individuel subi entrant dans le champ de l’action de groupe. Les dispositions prévues à l’article R. 423-17 pour l’action de groupe ordinaire sont rendues applicables à l’action de groupe simplifiée (C. consom., art. R. 423-12). L’exécution est simplifiée puisque le professionnel verse directement les sommes dues aux consommateurs acceptants. Mais, dans l’hypothèse d’une inexécution de la réparation par le professionnel, l’acceptation de l’indemnisation dans les termes de la décision vaut mandat aux fins d’indemnisation au profit de l’association (C. consom., art. L. 423-10 dern. al., qui renvoie aux articles L. 423-12 et L. 423-13) : l’association peut agir au nom des consommateurs, par exemple pour saisir le TGI d’une demande de liquidation judiciaire (contrairement à l’action ordinaire, le TGI ne renvoie pas l’affaire à la mise en état pour la mise en œuvre du jugement et ne fixe pas d’audience finale, mais la circulaire indique que rien ne l’interdit dans le régime simplifié).
Le jugement statuant sur la responsabilité n’a pas autorité de la chose jugée à l’égard du consommateur qui n’a pas été réparé à l’issue de la procédure (C. consom., art. L. 423-21). Ce consommateur peut saisir le juge compétent d’une demande de réparation de la totalité de ses préjudices et bénéficier de la suspension de la prescription extinctive (C. consom., art. L. 423-20).
[1] Sur la loi, v. E. Jouffin, Les actions de groupe… avant les actions de groupe, Banque et droit, n° 154, mars-avr. 2014 ; E. Jouffin, Les actions de groupe à la française : un rendez-vous manqué ?, Banque et droit, n° 155, mai-juin 2014, p. 3 ; V. Rebeyrol, La nouvelle action de groupe, D. 2014, p. 940 ; N. Ligneul, L’action de groupe « à la française », de la mondialisation des procédures au projet de loi sur la consommation, Gaz. Pal. 24-25 janv. 2014, p. 11 ; K. Haeri et B. Javaux, L’action de groupe à la française, une curiosité, JCP G 2014, n° 13, 375, p. 586.
[2] Circ. 26 sept. 2014, NOR : JUSC1421594C, CIV/14/14.
[3] V. par exemple C. trav., art. L. 1144-2.
[4] Cass. soc., 1er févr. 2000, n° 98-46.201, ce qui dispense d’indiquer le nom des salariés dans la déclaration de pourvoi.
[5] Cass. avis, 3 juin 2013, n° 15011 P.
[6] Cons. const., 13 mars 2014, n° 2014-690 DC. V. également Cons. const., 25 juill. 1989, n° 89-257 DC.
[7] C. consom., art. L. 423-5, al. 2 : le jugement précise si les consommateurs s’adressent directement au professionnel ou par l’intermédiaire de l’association ou de la personne mentionnée à l’article L. 423-9.
[8] Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n° 09-11.582.
[9] L. Boré, Le projet d’action de groupe : action mort-née ou premier pas ?, Gaz. Pal. 16 mai 2013, n° 136.
Par Natalie Fricero, Professeur à l’Université de Nice, Directeur de l’Institut d’études judiciaires
Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 243, p. 36 (janv. 2015), Dossier Action de groupe