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OCTOBRE 2014 – MARS 2015 : QUELQUES QUESTIONS COMPLEXES…

Par DROIT&PATRIMOINE

Les arrêts commentés dans cette chronique conserveront leur intérêt après la réforme du droit des contrats, qui mobilise actuellement l’attention des juristes. La complexité des actions ouvertes à l’acheteur déçu devra sans doute attendre une réforme du droit de la vente. La perte de chance en matière contractuelle continuera à soulever des interrogations. Quant aux groupements – de choses ou de contrats –, ils demeureront ouverts aux besoins variables de la pratique.
I –

L’ACHETEUR DÉÇU

Plusieurs décisions récentes permettent de souligner la complexité actuelle du droit français en matière de garanties dans la vente. En s’en tenant au droit commun – car la vente d’un meuble corporel par un professionnel à un consommateur comporte un régime propre qui s’ajoute au droit commun (C. consom., art. L. 211-1 et s.) –, le droit français offre à l’acheteur déçu trois actions dont le régime (conditions, conventions contraires, délais, preuve) est différent et rend ainsi nécessaires des distinctions : la nullité pour erreur (C. civ., art. 1110), la responsabilité pour défaut de délivrance (C. civ., art. 1604 et s.) et la garantie des vices cachés (C. civ., art. 1641 et s.). À quoi s’ajoutent les garanties et stipulations contractuelles, par exemple les fameuses representation and warranties dans la pratique aujourd’hui courante des cessions de droits sociaux, importée d’outre-Manche.


À l’origine, c’est-à-dire au temps du Code civil des Français, les distinctions étaient claires. L’erreur est un vice du consentement qui permet d’obtenir l’annulation du contrat lorsqu’elle tombe sur la substance de la chose vendue. L’obligation de délivrance consiste à transporter la chose vendue en « la puissance et possession » de l’acheteur et si le vendeur délivre une chose non conforme à celle qu’il a promise, l’acheteur pourra mobiliser les remèdes généraux à l’inexécution contractuelle : exécution forcée, résolution, responsabilité contractuelle. Quant aux vices cachés, suivant la tradition romaine de la garantie édilicienne, ils sont imputés au vendeur, sauf clause contraire (C. civ., art. 1643), c’est le résultat d’une décision de politique juridique : à qui attribuer le risque de leur survenance ? Car, cachés au vendeur comme à l’acheteur, ils ne relèvent pas de la responsabilité contractuelle. C’est pourquoi les actions rédhibitoire et estimatoire sont soumises à un régime particulier.


Ces claires distinctions, dont attestent les textes du Code civil qui n’ont pas changé, ont été progressivement brouillées par l’interprétation jurisprudentielle contemporaine, influencée par une idéologie systématiquement favorable à l’acquéreur, et qui aboutit à un système imprévisible dont l’acheteur déçu est la première victime. Et ceci en trois temps. Passant de la substance de la chose aux qualités substantielles, le domaine de l’erreur a pu s’étendre aux fonctions de la chose vendue. Puis l’obligation de délivrance s’est éloignée progressivement de la mise en possession de l’acheteur pour devenir une obligation de délivrer les fonctionnalités attendues de la chose. Enfin la garantie des vices cachés est devenue une source de responsabilité contractuelle, par l’attribution systématique au vendeur professionnel de la qualité de vendeur de mauvaise foi (C. civ., art. 1645) et, tout récemment, l’affirmation selon laquelle l’acheteur peut se contenter de demander réparation, sans exercer l’action rédhibitoire ni l’action estimatoire(1).



La question est toujours la même : dans quelle mesure la déception de l’acheteur doit-elle rejaillir sur le vendeur ? En son état actuel, le droit français ne permet pas de répondre simplement à cette question.

Voici par exemple l’acheteur d’un terrain à construire. Il a obtenu un certificat d’urbanisme lui révélant que la parcelle est pour partie constructible, pour partie inondable. Il sait aussi qu’une enquête publique en vue de la révision du plan de prévention des risques naturels est en cours. Peu après la vente, survient un arrêté préfectoral classant le terrain en totalité en zone inconstructible inondable ; le permis de construire lui est refusé. L’acheteur agit alors en nullité pour erreur et en « résolution » pour vices cachés. Il perd sur les deux terrains, ce qu’approuve la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 13 nov. 2014, n° 13-24.027001)(2). L’erreur est repoussée par l’addition de deux considérations, dont aucune ne convainc vraiment. Les acheteurs « ne pouvaient ignorer l’enquête publique ordonnée dans le cadre de la révision du plan de prévention des risques naturels d’inondation et avaient accepté d’acquérir en toute connaissance de cause un terrain partiellement inondable, donc partiellement inconstructible ». C’est l’idée d’acceptation en connaissance de cause du risque d’inconstructibilité que l’on trouve aussi dans de fameuses décisions relatives à la vente d’objets d’art(3). Par ailleurs, la décision de classement et le refus du permis de construire sont intervenus postérieurement à la vente, et ils n’étaient pas « inéluctables au jour de la vente ». Ce second motif signifie que l’inconstructibilité résultait d’un évènement postérieur à la vente, étranger à l’engagement du vendeur. Ce motif n’est pas tellement utile sur le terrain de l’erreur ; le premier aurait dû suffire, puisqu’il s’agit de savoir dans quel état d’esprit l’acquéreur a donné son consentement.



EXTRAITS


« Mais attendu qu’ayant relevé que M. et Mme X… ne pouvaient ignorer l’enquête publique ordonnée dans le cadre de la révision du plan de prévention des risques naturels d’inondation et avaient accepté d’acquérir en toute connaissance de cause un terrain partiellement inondable, donc partiellement inconstructible et exactement retenu qu’ils ne pouvaient invoquer une décision administrative postérieure à la vente classant le terrain intégralement en zone inconstructible pour justifier leur demande d’annulation du contrat pour erreur sur la substance, l’extension de l’inconstructibilité à toute la surface du terrain et le refus de délivrance du permis de construire n’étant pas inéluctables au jour de la vente, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Mais attendu qu’ayant constaté qu’au jour de la vente, le terrain était partiellement constructible et que la totalité de la parcelle n’avait été classée en zone inconstructible inondable que par arrêté préfectoral du 20 avril 2006, la cour d’appel a pu en déduire que les acquéreurs ne rapportaient pas la preuve que leur incombe d’un vice d’inconstructibilité antérieur à la vente ».



En revanche, il est essentiel lorsqu’on aborde la question sous l’angle des vices cachés. Car la garantie du vendeur ne s’applique qu’aux vices existant au moment de la vente, même s’ils se sont révélés plus tard. Sur ce point, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté l’action en garantie, parce que les acquéreurs « ne rapportaient pas la preuve qui leur incombe d’un vice d’inconstructibilité antérieur à la vente ». Pourtant, dans une affaire similaire, la même troisième chambre civile avait jugé le 12 juin 2014(4) que le fait que l’arrêté de retrait du permis de construire soit intervenu postérieurement à la vente n’empêchait pas le succès de l’action en nullité pour erreur parce que « le risque lié à la présence d’une cavité souterraine existait à la date de la vente ». Or, la situation géographique du terrain vendu et son caractère inondable existaient bien, dans notre affaire, au moment de la vente ; ce n’est pas l’arrêté de classement qui les a créés. Deux poids, deux mesures ? Dira-t-on que la différence s’explique par la nature des actions : ici la garantie des vices cachés ? Là la nullité pour erreur ?

Et quid alors du rapport entre la garantie des vices cachés et l’obligation de délivrance ? Des centaines de pages de doctrine, des dizaines d’arrêts n’ont pas réussi à clarifier complètement cette question. Voici deux acquéreurs d’une maison vendue comme raccordée au réseau public d’assainissement, qui, alertés par de mauvaises odeurs, découvrent que l’immeuble dispose seulement d’une fosse septique. Les juges du fond ont retenu la responsabilité contractuelle des vendeurs pour défaut de délivrance conforme. Les vendeurs prétendent que seule la garantie des vices cachés pouvait être exercée. La Cour de cassation rejette leur pourvoi, par application du critère désormais classique : « l’immeuble avait été vendu comme étant raccordé au réseau public d’assainissement (…) et le raccordement n’était pas conforme aux stipulations contractuelles » (Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, n° 13-19.945 002)(5). La responsabilité contractuelle, à raison de l’inexécution de la promesse, rendait superflue la recherche de l’existence d’un vice caché. Mais si toute non-conformité n’est pas un vice caché, lequel implique un défaut rendant la chose impropre à l’usage auquel « on » la destine, tout vice caché n’est-il pas une non-conformité, de sorte que le régime de la garantie devrait se fondre dans celui de la responsabilité pour défaut de délivrance(6) ? À quoi bon alors le régime spécial de la garantie des vices cachés ?




EXTRAITS


« Attendu que M. Z… et Mme X… font grief à l’arrêt d’accueillir la demande de M. A… et de Mme B…, alors, selon le moyen :

1°/ que la non-conformité de la chose vendue aux stipulations contractuelles qui rend la chose impropre à l’usage auquel elle est destinée est soumise au régime de la garantie des vices cachés.

Mais attendu qu’ayant relevé que l’immeuble avait été vendu comme étant raccordé au réseau public d’assainissement et constaté que le raccordement n’était pas conforme aux stipulations contractuelles, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a exactement déduit que les vendeurs avaient manqué à leur obligation de délivrance ».


La racine de la confusion se trouve, à notre avis, dans la dilatation excessive de l’obligation de délivrance.L’article 1604 du Code civil définit celle-ci comme « le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur ». Que ce transport implique des prestations variables selon la nature de l’objet vendu va de soi. Ainsi la Cour de cassation décide-t-elle, à juste titre, que « l’obligation de délivrance de machines complexes n’est pleinement exécutée qu’une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue » ; c’est-à-dire la mise en route effective, que ne suffit pas à prouver un procès-verbal de réception (Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-24.501 003)(7). Le transport en la puissance et possession de l’acheteur signifie que celui-ci doit être mis en mesure d’utiliser la chose vendue ; et non que celle-ci doit être exempte de défauts cachés. Sinon, la garantie des défauts cachés n’a pas à être maintenue, et il faut suivre l’exemple de la directive n° 1999/44/CE du 25 mai 1999 (JOCE 7 juill., n° L 171).



EXTRAITS


« Mais attendu que l’obligation de délivrance de machines complexes n’est pleinement exécutée qu’une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue ; qu’après avoir énoncé qu’il ne peut suffire que le fournisseur livre les éléments matériels commandés, visés par le procès-verbal de réception, mais qu’il importe que soit établie l’effectivité de la mise en route, ce qui en l’espèce était prévu et n’a jamais pu avoir lieu, l’arrêt retient, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté de la portée du procès-verbal de réception rendait nécessaire, que, s’agissant de matériels très sophistiqués, ce document n’avait pour objet que de permettre la mise en place du contrat de crédit-bail et d’entraîner le transfert de propriété, mais ne suffisait pas à apporter la preuve de l’exécution de l’obligation de délivrance ».


D’ailleurs, pour en revenir à l’erreur, il n’y a pas vraiment de raison pour que la représentation inexacte que s’est faite l’une des parties de l’objet du contrat rejaillisse sur son cocontractant en le privant du contrat que l’errans prétend faire annuler. On se souvient que le droit romain ne connaissait pas l’erreur. Et si le Code civil l’a admise, comme à regret, c’est en la cantonnant à la substance de l’objet du contrat, qui constitue ainsi le lieu délimité du risque pour chacune des parties. Dans un droit qui traiterait les parties comme des adultes, chacune d’elles devrait supporter seule les conséquences de ses défauts de représentation. C’est au fond la finalité des « representation and warranties », fréquentes dans les cessions de droits sociaux, que de délimiter conventionnellement ce qui entre dans le champ contractuel et fera l’objet, en cas d’inexactitude, d’une indemnisation, et ce qui, au contraire – tout le reste – est abandonné aux risques de chacun des opérateurs. Cet aménagement conventionnel du risque est en principe efficace en droit français, et c’est heureux. Il laisse évidemment subsister l’action en nullité pour dol qui sanctionne la malhonnêteté de l’une des parties (Cass. com., 3 févr. 2015, n° 13-12.483 004)(8) et ne peut être écartée par la convention. Mais laisse-t-il subsister la nullité pour erreur, la responsabilité pour non-conformité et la garantie des vices cachés ? La réponse devrait être négative… Mais peut-on en être sûr dans la confusion actuelle ?



EXTRAITS


« Vu l’article 1116 du code civil ;

Attendu que les garanties contractuelles relatives à la consistance de l’actif ou du passif social, s’ajoutant aux dispositions légales, ne privent pas l’acquéreur de droits sociaux, qui soutient que son consentement a été vicié, du droit de demander l’annulation de l’acte sur le fondement de ces dispositions ;

Attendu que pour écarter le dol invoqué par les consorts Z…, l’arrêt, après avoir relevé que ceux-ci font valoir qu’il résulte des comptes établis au 18 août 2009 que le montant des capitaux propres avait chuté entre le 31 décembre 2008 et le 18 août 2009, retient que « si cela s’avérait exact, le compromis de cession de parts prévoit une garantie de capitaux propres dans son article 6 » ; qu’il en déduit que cet élément ne peut pas justifier une annulation des actes de cession pour dol ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le rejet d’une telle demande ne pouvait être justifié par le seul constat de l’existence d’une garantie d’actif, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».



II –

LE VENDEUR DÉÇU

Le concept de perte de la chance de conclure un autre contrat que celui qui a été conclu est souvent mobilisé afin de caractériser le préjudice subi par un contractant victime d’une absence d’information ou d’une information inexacte ou incomplète (dol par réticence, violation par un professionnel de son obligation d’information ou de conseil, etc.). Quelle eût été la situation de la victime si elle avait été correctement informée ? Aurait-elle ou non conclu le contrat ? Dans des conditions plus avantageuses ? Ou un autre contrat ? Personne ne peut le dire. Le recours à la perte de chance, dans ces situations où la victime n’a pas été privée, à proprement parler, de la possibilité de courir sa chance, dissimule à peine une hésitation sur le dommage, alors que la faute est certaine. Parfois, le recours à la perte de chance est clairement artificiel, comme dans un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 28 janvier 2015 (Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, n° 13-27.397 005)(9). La loi « Carrez »(10) oblige le vendeur d’un lot de copropriété à mentionner la surface de la partie privative du lot. Si la superficie est inférieure de plus d’un vingtième à celle mentionnée, l’acquéreur peut exiger du vendeur une diminution du prix de vente proportionnelle à la moindre mesure. Dans la présente affaire, le vendeur avait eu recours à un professionnel du mesurage. Celui-ci avait mal exécuté sa mission, puisque la surface réelle s’était avérée après la vente inférieure de 5,5 % à la surface indiquée dans son certificat de mesurage. Le vendeur ayant « restitué » à l’acquéreur 5,5 % du prix agissait en responsabilité contre le mesureur professionnel à qui il demandait paiement, notamment, de la somme versée à l’acquéreur. Cette action en responsabilité était audacieuse, car la Cour de cassation avait jugé par deux fois que la restitution d’une partie du prix à laquelle le vendeur est obligé en vertu de l’article 46 de la loi de 1965 « ne constitue pas par elle-même un préjudice indemnisable permettant une action en garantie »(11). Mais bien en a pris au vendeur, car s’il n’obtient pas la condamnation du mesureur professionnel à lui rembourser ce qu’il a dû verser à l’acquéreur, il est reconnu par la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, victime « d’une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre ». Cette chance perdue est évaluée – par quelle magie ? – à une somme égale, à 500 euros près, à la somme versée par le vendeur à l’acquéreur ! Qui ne voit l’artifice(12) ?



EXTRAITS


« Mais attendu qu’ayant retenu, à bon droit, que, si la restitution, à laquelle le vendeur est tenu en vertu de la loi à la suite de la diminution du prix résultant d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue, ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable permettant une action en garantie, le vendeur peur se prévaloir à l’encontre du mesureur ayant réalisé un mesurage erroné, d’une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre, la cour d’appel a souverainement apprécié l’étendue du préjudice subi par Mme X… ».


Car ce qu’a perdu le vendeur, ce n’est pas la chance de conserver intégralement le prix convenu s’il avait connu et indiqué la surface de la partie privative du lot, mais tout simplement la différence de prix, c’est-à-dire la somme qu’il a dû verser à l’acquéreur et qui est sortie de son patrimoine sans contrepartie. On avouera ne pas bien comprendre pourquoi la réduction du prix imposée par l’article 46 de la loi de 1965 ne constitue pas, pour le vendeur, un préjudice indemnisable. Lorsque les arrêts de 2006, de 2011 et l’arrêt rapporté dans sa première partie affirment que la restitution due par le vendeur « ne constitue pas par elle-même un préjudice indemnisable », ils paraissent sous-entendre que le prix convenu était excessif et que le vendeur ne fait que rendre à l’acquéreur ce à quoi il n’avait pas droit. La loi « Carrez » aurait-elle donc encadré les prix de vente de lots de copropriété en imposant vaguement la théorie du juste prix ? Il n’en est rien. Le prix convenu constitue en totalité une créance licite pour le vendeur. Simplement, s’il n’exécute pas correctement – dans la limite de 5 % – l’obligation d’information que fait peser sur lui la loi, celle-ci décide que la réparation prendra forfaitairement la forme d’une diminution proportionnelle du prix. Elle ne dit pas pour autant que le prix convenu était excessif ou illicite. Comme M. Rouvière, mais par une voie différente, nous concluons que la « restitution » du prix n’est pas la restitution d’un indu ou d’un trop-perçu, mais une modalité d’indemnisation de l’acquéreur. Le vendeur la doit, non parce qu’il l’a perçue, mais parce qu’il a engagé sa responsabilité. Et si l’ultime responsable de ce défaut d’information est le mesureur professionnel qui a mal renseigné le vendeur, les règles de la responsabilité contractuelle permettent à celui-ci de lui demander de compenser sa perte.



III –

LA PARTIE ET LE TOUT

Dans quelle mesure l’association volontaire d’éléments par nature distincts en un tout fait-elle perdre à chacun d’eux son individualité propre ? C’est une question que rencontrent plusieurs sciences (en particulier la physique) et qui se pose en droit dans nombre de domaines : droit des personnes – où l’autonomie d’une association de personnes est susceptible de degrés (famille, indivision, communauté, société) – ; droit des biens – elle est au cœur de la théorie de l’universalité – ; droit des contrats – avec le phénomène contemporain des groupes de contrats. On conçoit que la réponse soit différente selon qu’est en cause le rapport entre les intéressés ou les effets du groupement à l’égard de tiers. Plusieurs arrêts récents montrent l’intérêt de la question.

1/Voici d’abord le propriétaire d’un immeuble dont l’un des logements est donné à bail qui, après avoir délivré au locataire un congé avec offre de vente non acceptée, vend la totalité de l’immeuble. Le locataire prétend qu’il disposait du droit de préemption subsidiaire qu’offre l’article 15, II, alinéa 4, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (JO 8 juill.) au locataire lorsque le bailleur décide de vendre à un prix plus avantageux que le prix offert. Or, le prix de l’immeuble dans sa globalité, rapporté au mètre carré, était inférieur d’un tiers à celui qui lui avait été proposé dans le congé. Une cour d’appel le déboute au motif que ce droit de préemption n’est pas ouvert lorsque la vente porte sur « l’immeuble en son entier », ce qu’approuve la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 11 mars 2015, n° 14-10.447 006)(13). Elle avait statué dans le même sens, à propos d’un droit de préemption conventionnel(14), jugeant que l’application de cette clause « ne saurait conduire à imposer aux propriétaires de diviser leur bien en vue de céder à des personnes distinctes ». Mais la vente de l’immeuble en son entier n’est-elle pas l’addition de ventes des locaux qu’il comporte ? Ou, dit d’une autre manière, le propriétaire ne devrait-il pas diviser la vente à seule fin de respecter le droit de préemption du locataire ? Une réponse négative s’impose, parce que l’indivisibilité n’est pas seulement le résultat de la volonté des parties à la vente ; elle procède aussi de données objectives, économiques et physiques : un immeuble entier est autre chose qu’une addition d’appartements ou de locaux commerciaux ; le marché, notamment, et bien sûr le processus de fixation du prix, ne sont pas les mêmes.




EXTRAITS


« Mais attendu qu’ayant exactement retenu que la vente de la totalité de l’immeuble ne donnait pas droit à l’exercice d’un droit de préemption au profit du locataire et ayant constaté que la vente du 17 mars 2004 portait sur l’immeuble en son entier, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que Mme X… n’était pas fondée à revendiquer le bénéficie d’un droit de préemption subsidiaire et que le congé du 26 décembre 2003 était valable ».


Mais alors pourquoi, dans le domaine voisin du retrait litigieux (C. civ., art. 1699), la Cour de cassation juge-t-elle de manière constante que la cession en bloc d’un portefeuille de créances laisse subsister le droit de retrait du débiteur, qui ne porte pourtant que sur un élément du bloc(15) ?

On pourrait dire que la créance, à la différence de l’immeuble, est un bien juridique à qui manque le critère physique : même regroupées en un portefeuille articulé et savamment composé, les créances demeurent des biens individuels, de même d’ailleurs que les titres constitués en un bloc. Est-ce suffisant ? Est-ce réaliste ? Les opérateurs, en tout cas, ne s’y trompent pas. Le marché des portefeuilles de créances n’est pas le même que celui de chacune des créances. Cette jurisprudence évidemment marquée du souci ancestral de protéger le débiteur cédé, et qui soulève de redoutables difficultés dans la mise en œuvre du retrait, notamment pour la détermination du « prix réel de la cession », ne devrait-elle pas être abandonnée ?



2/La constitution d’un « bloc de contrats » ou, plus élégamment, d’un groupe de contrats soulève des difficultés du même ordre : dans quelle mesure chacun des contrats s’est-il fondu dans le tout ? La question est bien connue et a fait l’objet de nombreuses thèses, depuis celle de Bernard Teyssié, en 1975(16). Trois arrêts récents montrent que la question est toujours ouverte.

Dans le premier, une promesse unilatérale de vente immobilière sous seing privé en vient à perdre son caractère unilatéral, partant échappe à la nullité pour défaut d’enregistrement dans les dix jours (C. civ. art., 1589-2), parce qu’elle est associée à la vente d’un fonds de commerce d’hôtellerie conclue le même jour entre les mêmes parties, ces deux contrats ayant une finalité commune : permettre l’exploitation de l’hôtel. Ils sont devenus interdépendants et constituent un ensemble dans lequel la promesse est dépouillée de son caractère unilatéral (Cass. 3e civ., 13 nov. 2014, n° 13-14.589 007)(17). À l’échelon du groupe de contrats, les tribunaux décèlent « des engagements réciproques interdépendants », suivant une démarche analogue à celle qu’avait suivie la Cour de cassation en Assemblée plénière, à propos d’une promesse de vente devenue l’un des éléments d’une transaction(18).




EXTRAITS


« Mais attendu qu’ayant relevé que, par l’accord du 8 décembre 2005, la société SNTH avait acquis de M. et Mme X… l’immeuble sis 22 rue de Buci et le fonds de commerce d’hôtel et de tourisme qui y était exploité et que la convention annexe du même jour comportait la promesse unilatérale de vente des locaux sis au 24 rue de Buci utilisés dans le cadre de l’exploitation de l’hôtel au bénéfice de son acquéreur et retenu souverainement que ces deux conventions étaient interdépendantes et formaient un ensemble comportant des engagements réciproques dont la promesse unilatérale de vente n’était qu’un élément, la cour d’appel, a, sans dénaturation, pu en déduire que l’enregistrement prévu par l’article 1589-2 du code civil, n’était pas exigé »


Un arrêt rendu par la première chambre civile le 4 février 2015 (Cass. 1re civ., 4 févr. 2015, n° 13-26.452 008)(19) affirme au contraire la divisibilité de deux contrats unissant trois infirmières libérales pour l’exercice de leur profession selon un schéma assez classique : une société civile de moyens et une convention d’exercice en commun, comportant une clause de non-réinstallation. Après avoir cédé leurs parts dans la société civile, les trois associées continuent d’exercer ensemble jusqu’à ce que l’une d’elles décide d’exercer seule sur le territoire de la commune limitrophe. Assignée en responsabilité par les deux autres, elle oppose la caducité de la convention d’exercice en commun, et par conséquent celle de la clause de non-réinstallation, par suite de leur retrait de la société de moyens, les deux conventions étant « nécessairement indivisibles », comme poursuivant le même objectif : la participation à la société de moyens offrait aux infirmières, par la mise en commun de moyens matériels, l’instrument de leur exercice professionnel « en groupe ». Mais une cour d’appel décide au contraire que les deux conventions ne sont pas indivisibles et que la cession des parts n’a pas entraîné la caducité de la convention d’exercice en commun. La Cour de cassation s’incline devant cette appréciation souveraine. Ce qui empêche ici l’intégration des deux relations juridiques en un groupe, ce n’est pas la différence d’objets des deux conventions, contrairement à ce que souligne la Cour de cassation, car pour former un groupe, les conventions doivent être complémentaires, par conséquent différentes. C’est plutôt l’indépendance fonctionnelle de la convention d’exercice en commun. Comme le relève l’arrêt, celle-ci n’est pas mise en péril par la cessation de l’appartenance à la société de moyens. La preuve ? L’exercice en commun s’était poursuivi après la cession des parts sociales. Manquait donc cet élément objectif nécessaire, même s’il n’est pas suffisant : la disparition de l’une des conventions prive l’autre de sa raison d’être et en empêche l’exécution (l’arrêt est cependant cassé pour avoir admis la violation de l’esprit sinon de la lettre de la clause de non-réinstallation, contrairement au principe d’interprétation stricte, découlant de la liberté d’exercice de la profession et de la liberté de choix des patients).



EXTRAITS


« Mais attendu qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que les deux conventions avaient un objet différent, que celle du 1er mars 2001, visant à organiser l’exercice de l’activité professionnelle de chacune des infirmières au sein du cabinet, n’était pas subordonnée à la détention de parts sociales dans la société, que l’achat de parts auquel s’était obligée Mme Z… était justifié par le fait que le cabinet où Mmes Y… et X… exerçaient leur profession était loué par cette société, puis que les trois associées n’avaient pas cessé d’exercer leur activité en commun dans un autre local après avoir cédé leurs parts, la cour d’appel, appréciant souverainement l’absence d’indivisibilité entre l’appartenance à la société et la convention d’exercice en commun, en a exactement déduit que la cession de parts n’avait pas entraîné la caducité de la convention litigieuse, demeurée nécessaire à l’exercice de cette activité ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ».


On se souvient que la Cour de cassation en chambre mixte a imposé de considérer comme indivisible, en dépit d’une clause contraire, le groupe de contrats comportant une location financière ; alors précisément que les critères habituels faisaient défaut, en particulier le critère objectif que l’on vient de rencontrer : la location financière a pour raison d’être la fourniture du matériel et peut parfaitement être poursuivie en dépit de la disparition du contrat de service ; la décision relève d’une politique juridique(20) Un arrêt précise les conséquences de cette indivisibilité forcée : « l’anéantissement du contrat principal est un préalable nécessaire à la caducité, par voie de conséquence, du contrat de location » (Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-24.270 009)(21). L’anéantissement : c’est en effet la disparition – et non la simple inexécution, même définitive, s’agissant en l’espèce d’une société en liquidation judiciaire – du contrat qui prive la location financière de sa cause historique. Mais le terme « anéantissement » vise aussi bien la résolution pour inexécution, judiciaire ou unilatérale, que la nullité ou la caducité. Anéantissement du contrat principal : comme dans la relation de principal à accessoire, la disparition du contrat de financement intervient « par voie de conséquence ». La dépendance n’est pas réciproque mais unilatérale ; elle va du contrat de service à la location financière du matériel. Mais en sens inverse, le contrat de service pourrait-il survivre à la résiliation de la location financière(22) ?




EXTRAITS


« Mais attendu que lorsque des contrats incluant une location financière sont interdépendants, l’anéantissement du contrat principal est un préalable nécessaire à la caducité, par voie de conséquence, du contrat de location ; que la cour d’appel, qui a rappelé à bon droit que l’ouverture d’une procédure collective n’entraîne pas la caducité des contrats en cours et que la résiliation du contrat de maintenance ne pouvait être prononcée en l’absence de la société Jidéa, a, abstraction faite des motifs surabondants justement critiqués par les trois premières branches, justifié sa décision ; que, pour partie inopérant, le moyen n’est pas fondé pour le surplus ».


Ainsi, l’intégration d’un contrat dans un groupe ne gomme pas ses caractères propres. Elle se borne à ajouter une cause de caducité. Les groupements de personnes, de biens et de contrats ne présentent en réalité qu’une analogie superficielle.

Laurent Aynès



Notes

(1)
Cass. com., 19 juin 2012, n° 11-13.176, RDC 2012, p. 1248, obs. C. Quézel-Ambrunaz, RDC 2013, p. 101, obs. J.-S. Borghetti, JCP G 2012, n° 15, 1151, obs. P. Grosser ; Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-22.399.

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(2)
Cass. 3e civ., 13 nov. 2014, n° 13-24.027, RTD civ. 2015, p. 119, obs. H. Barbier.

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(3)
H. Barbier, obs. précitées sous Cass. 3e civ., 13 nov. 2014, n° 13-24.027.

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(4)
Cass. 3e civ., 12 juin 2014, n° 13-18.446, RDC 2014, p. 597, obs. Y.-M. Laithier.

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(5)
Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, n° 13-19.945, JCP G 2015, 469, note R. Boffa, LPA 2015, n° 79, p. 10, note N. Bargue.

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(6)
N. Bargue, note précitée sous Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, n° 13-19.945.

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(7)
Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-24.501, D. 2015, p. 432.

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(8)
Cass. com., 3 févr. 2015, n° 13-12.483, JCP G 2015, 373, note M. Caffin-Moi, JCP E 2015, II, 1134, note B. Dondero.

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(9)
Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, n° 13-27.397, JCP G 2015, 216, note critique G. Viney, D. 2015, p. 657, note critique F. Rouvière.

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(10)
L. n° 96-1107, 18 déc. 1996, JO 19 déc. ; L. n° 65-557, 10 juill. 1965, JO 11 juill., art. 46.

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(11)
Cass. 3e civ., 25 oct. 2006, n° 05-17.427 ; Cass. 3e civ., 8 juin 2011, n° 10-12.004.

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(12)
G. Viney et F. Rouvière, notes précitées sous Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, n° 13-27.397.

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(13)
Cass. 3e civ., 11 mars 2015, n° 14-10.447.

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(14)
Cass. 3e civ., 9 avr. 2014, n° 13-13.949, CEDC 2014, n° 6, obs. N. Leblond.

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(15)
V. notamment Cass. com., 31 janv. 2012, n° 10-20.972, RDC 2012, p. 838, obs. R. Libchaber.

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(16)
B. Teyssié, Les groupes de contrats, préf. J.-M. Mousseron, LGDJ, 1975.

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(17)
Cass. 3e civ., 13 nov. 2014, n° 13-14.589, RTD civ. 2015, p. 130, obs. H. Barbier.

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(18)
Cass. ass. plén., 24 févr. 2006, n° 04-20.525, RTD civ. 2006, p. 301, obs. J. Mestre et B. Fages.

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(19)
Cass. 1re civ., 4 févr. 2015, n° 13-26.452.

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(20)
Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768, D. 2013, p. 1658, note D. Mazeaud, D. 2014, p. 630, obs. S. Amrani Mekki et M. Mekki, RTD civ. 2013, p. 597, obs. H. Barbier, JCP G 2013, 674, note J.-B. Seube, JCP E 2013, 1403, note D. Mainguy, Contrats, conc., consom. 2013, comm. 176, par L. Leveneur.

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(21)
Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-24.270, RTD civ. 2015, p. 128, obs. H. Barbier, Gaz. Pal. 2015, n° 95 à 99, obs. D. Houtcieff, RDC 2015, obs. J.-B. Seube.

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(22)
Cass. 1re civ., 4 avr. 2006, n° 02-18.277, Bull. civ. I, n° 190.

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