Dissocier le foncier du bâti : la naissance d’un nouveau marché de l’immobilier
La Ville de Paris vient d’annoncer la création d’un organisme foncier solidaire (OFS), la Foncière de la Ville de Paris, qui fera l’acquisition de terrains et proposera aux ménages d’acquérir la propriété des logements édifiés dessus via un bail réel solidaire (BRS), à un prix inférieur de moitié à celui du marché. Explications.
L’outil n’est pas nouveau, puisque les OFS ont été mis en place par l’article 164 de la loi du 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR). Le dispositif est une adaptation des Community Land Trust (CLT), traditionnels en droit anglo-saxon. Les OFS ont pour objet d’acquérir des terrains sur lesquels sont implantés ou seront implantés des immeubles bâtis, neufs ou anciens. Cela permet d’extraire la valeur foncière du prix de l’acquisition d’un logement. Depuis 2014, et selon les chiffres du Ministère du Logement, une vingtaine d’OFS, dont la création est soumise à une autorisation préfectorale, ont vu le jour en France, principalement dans le giron d’organismes HLM, l’objectif premier ayant été, la vente de logements du parc HLM. Mais la création récemment annoncée de la Foncière de la Ville de Paris ouvre d’autres perspectives à l’application de ce dispositif, car la municipalité a choisi, sur les terrains acquis par l’OFS, d’édifier des logements neufs qui seront proposés aux parisiens, à des prix défiant toute concurrence, autour de 5 000 € le m2, alors que les prix moyens dans la capitale atteignent le double.
« Nous sommes partis du constat que la propriété, à Paris, est devenue inaccessible même pour les classes moyennes et supérieures, explique Ian Brossat, l’adjoint au logement (PCF) à la Mairie de Paris. La dissociation du foncier et du bâti nous permet de rendre la propriété abordable, puisque le foncier représente environ 50 % du prix d’un logement parisien ».
Xavier Lièvre, associé au sein de l’étude 14 Pyramides notaires, ne cache pas son intérêt pour ce dispositif qu’il estime vertueux, car il permet de conserver les aides publiques sur la valeur du foncier de manière durable. « Ce système est plus intéressant que la vente simple de logement HLM ou un système de démembrement classique dans lesquels, soit les droits de propriété finissent par se retrouver dans le marché classique, soit le droit de propriété n’est que provisoire. Ce système a vocation à ouvrir l’accès à la propriété à des catégories de revenus qui n’y ont pas ou plus accès », estime-t-il, constatant que beaucoup d’opérateurs s’y intéressent et en premier lieu des collectivités locales. Il est intéressant de voir comment ce dispositif sera concrètement mis en place à Paris.
Des droits « rechargeables »
Pour devenir propriétaires du bâti, les ménages doivent remplir des critères de ressources. « La loi prévoit actuellement que les acquéreurs doivent avoir des ressources inférieures aux plafonds PLSA (prêt social location accession), mais compte-tenu de la situation à Paris, nous souhaiterions relever les plafonds à ceux du PLI (prêt locatif intermédiaire) », précise Ian Brossat. Moyennant une redevance de 2 € mensuels, payés à l’OFS, les ménages sélectionnés pourront conclure un bail réel solidaire (BRS) d’une durée de 99 ans, qui leur confère la pleine propriété du logement édifié sur le terrain dont la Ville est propriétaire. La loi prévoit en effet que les BRS conclus par les offices fonciers ont une durée minimale de 18 ans, jusqu’à 99 ans, mais Paris a choisi la durée maximale pour que cela aboutisse, en réalité, à créer un droit de propriété perpétuel sur le logement. Les ménages pourront revendre leurs droits de propriété sur le logement, mais le prix sera plafonné et bien entendu, l’acheteur devra être agréé par l’OFS et remplir les conditions de ressources. Lors de la revente, la durée du bail recommencera à courir de zéro. « Ce rechargement de la durée initiale du BRS à chaque cession ou transmission rend le système perpétuel, comme un véritable droit de propriété », observe Xavier Lièvre. Cela aboutit donc à la création d’un nouveau marché.
« L’avantage du dispositif, c’est qu’il est anti-spéculatif. Le prix de vente sera évalué par la Mairie de Paris », se félicite Ian Brossat qui a entendu pour la première fois parler de ce système par les Américains, lorsque les équipes de Bernie Sanders sont venues visiter la Mairie de Paris. Il précise d’emblée que la Ville de Paris, qui ne vendra pas ses logements sociaux, préfère utiliser le système pour acquérir des terrains et édifier des immeubles accessibles en BRS dessus. Dans la capitale, la Ville de Paris sera également le constructeur, mais les opérations de construction peuvent, dans le dispositif, être confiées à un opérateur privé. Quelque 500 logements seront proposés en 2022, sur 5 sites parisiens qui viennent d’être dévoilés : la ZAC Bédier-Oudiné (13e), la ZAC Saint-Vincent-de-Paul (14e), l’îlot Croisset (18e), la ZAC Gare des Mines (18e) et la ZAC Python-Duvernois (20e). Deux autres sites, qui accueilleraient 150 logements supplémentaires, sont actuellement à l’étude. « 25 % des accédants seront des locataires HLM », promet l’élu, indiquant être « très impressionné » par le succès que rencontre la formule. « Je pense que c’est un outil qui a vocation à se développer », augure-t-il.
Demain, de nouveaux opérateurs ?
Chargé par le premier ministre d’une mission sur la maîtrise du coût du foncier dans les opérations de construction, qui a donné lieu à un rapport, le député Modem Jean-Luc Lagleize a récemment présenté une proposition de loi à l’Assemblée nationale, votée en première lecture, qui prévoit, entre autres solutions, un recours accru à ce système dissociant le foncier du bâti qui commence à émerger. Le texte propose de permettre la création d’offices fonciers libres (OFL) qui auraient la capacité d’acquérir du foncier et de proposer la propriété du bâti via des baux réels solidaires. Bien sûr, le rapport parlementaire propose que ces OFL fassent l’objet d’un encadrement, moindre qu’un OFS toutefois, en imposant que les BRS qu’ils délivrent portent sur des biens à usage de résidence principale lors de l’entrée dans les lieux et que l’acquéreur ne puisse bénéficier que d’un seul BRS. « Par exemple, si l’acquéreur est muté dans une autre ville et doit déménager, il pourra conserver le bail, mais ne pourra pas être titulaire d’un autre BRS à l’endroit où il a été muté », explique le député. Le capital des OFL, s’il constitué en SEM, serait majoritairement public afin d’éviter toute dérive spéculative qui pourrait réduire à néant le marché créé par cet outil.
Ces OFL permettraient également d’étendre le dispositif, non seulement à d’autres catégories de population, mais aussi, à terme, à des biens immobiliers autres que les logements résidentiels comme les commerces ou les bureaux, ce qui pourrait en faciliter l’accession. « La nécessité de créer un outil moins contraint, pour d’autres catégories de populations s’est fait sentir après le succès des OFS », observe le député, qui constate que cette proposition fait consensus tant sur le plan politique que sur le plan économique. « Les acteurs du secteur immobilier y voient un nouveau vecteur d’offre pour une clientèle qui ne peut plus accéder au marché classique » estime-t-il, observant que les OFL n’auraient pas un objectif social au sens classique du terme, mais seraient des outils complémentaires à destination des populations intermédiaires. La Mairie de Paris pourrait également voir un intérêt à la création de ces OFL en plus de l’OFS dont elle vient d’annoncer la naissance.
En attendant que ces dispositions soient adoptées et que ce « nouveau droit de propriété » étende son champ d’application à une catégorie de clientèle intermédiaire qui n’a plus les moyens d’accéder au marché classique, le réseau des organismes de foncier solidaire a annoncé, il y a quelques semaines, la création d’un observatoire afin de garantir la pérennité des valeurs fondatrices du dispositif.