Regards croisés sur les relations investisseurs et dirigeants
Paru dans Dirigeants n°7 - Avril 2019
Le développement du secteur du Private Equity n’a pas pu éviter une certaine industrialisation des process avec des acteurs tant côté fonds que côté dirigeants qui se sont professionnalisés. Dans toute industrialisation, un élément peut se raréfier : le temps. Le temps qui fait parfois ainsi défaut alors qu’il est l’élément fondamental à la construction de la relation entre un fonds et des dirigeants pour bâtir de la confiance qui permettra l’autonomie de chacun. L’élaboration des management packages est d’ailleurs le reflet de la construction de cette relation.
Par Christophe Parier, associé, Activa Capital SAS qui accompagne des PME françaises à fort potentiel ayant une valeur d’entreprise comprise entre 20 et 100 millions d’euros, Henri Pieyre de Mandiargues, associé du cabinet international McDermott, Will & Emery, spécialisé dans les opérations de private equity et de M&A, et Carole Degonse, associée du cabinet international McDermott, Will & Emery, spécialisée dans les opérations de private equity et de M&A.Henri Pieyre de Mandiargues : Christophe, tu es présent avec Activa Capital dans le panorama du capital-investissement dans les PME françaises depuis plus de quinze ans. Quel regard portes-tu sur l’évolution des relations entre investisseurs et dirigeants ?
Christophe Parier : Mon premier constat serait celui de la professionnalisation – voire de l’institutionnalisation – des relations entre investisseurs et dirigeants sur cette période. Quand je regarde plus de quinze ans en arrière, les opérations que nous réalisions avec Activa étaient structurées avec plus de simplicité, et les relations entre investisseurs et dirigeants étaient peut-être empreintes de plus de spontanéité. On prenait le temps de se connaître, d’échanger et de bâtir un projet ensemble. On passait vraisemblablement moins de temps sur la documentation mais plus sur la construction du projet commun. Les dirigeants étaient peu nombreux à être conseillés, mais, pour autant, je crois que l’on aboutissait à des partenariats très équilibrés, fondés sur un postulat assez simple de l’alignement des intérêts et des performances.
L’évolution sur la période est d’abord marquée par l’organisation du marché et l’explosion des volumes de transactions. Et quand un marché croît et se structure, tous les acteurs sur ce marché doivent industrialiser leurs processus de décision et de connaissance pour le gérer de manière efficace et dans un temps plus contraint. C’est là que les acteurs s’équipent plus systématiquement de conseils et d’intermédiaires, bénéficient de plus de benchmarks et de retours d’expériences. Ils sont plus éclairés, plus mûrs, mieux organisés, mais peut-être un tout petit peu moins spontanés. Or, à mon sens, il est important de préserver cette spontanéité et cette fraîcheur dans l’aventure entrepreneuriale qui consiste à accompagner des dirigeants et des fondateurs de PME dans leurs développements. C’est au cœur de la stratégie d’Activa depuis le début.
Carole Degonse : Cette professionnalisation et cette maturité des managers ont-elles modifié ton approche des équipes de dirigeants que tu rencontres ?
Christophe Parier : Chez Activa, nous nous focalisons sur des opérations primaires dans lesquelles nous pensons que nous pouvons apporter aux équipes de dirigeants ou de fondateurs une sorte de « boîte à outils » qui leur permet d’accélérer leur développement, leur expansion, leur positionnement stratégique. Dans une opération primaire, comme on le disait avant, nous pouvons consacrer plus de temps à l’apprentissage et à la connaissance de l’équipe avec laquelle un partenariat peut se créer ; plus de temps à allouer au projet d’entreprise commun, à la construction de la stratégie future. Comme nous supportons des business plans de managers ambitieux et visionnaires, cela signifie une réelle autonomie de l’équipe dirigeante dans la gestion courante et une position de l’investisseur qui est plus celle d’un sparring-partner stratégique et d’un accompagnement dans les opérations de croissance externe, qui sont des fonctions souvent peu développées dans les PME. On va donc passer beaucoup de temps à construire une gouvernance équilibrée et dans ce contexte-là, je trouve que les autres sujets, dont celui du package économique, se résolvent facilement.
Je ne crois donc pas que le pouvoir ait changé de camp ; je crois qu’il y a une reconnaissance plus effective du rôle de chacun et que la maturité ainsi que la professionnalisation dont nous parlions permet d’arriver sans friction à un équilibre.
Henri Pieyre de Mandiargues : Certains acteurs du capital-investissement considèrent que le pouvoir a changé de main et appartient dorénavant aux équipes de management. Quelle est ta perception ?
Christophe Parier : Il est vraiment difficile de généraliser des situations très hétérogènes. Mais une chose est certaine, comme on le disait auparavant, au-dessus d’un certain niveau de valorisation, les processus de cession sont systématiquement intermédiés et les managers conseillés ; ils sont donc parfaitement informés des pratiques de marché et ils ne comprendraient pas une proposition de partage de la valeur créée qui ne rentrerait pas dans ce cadre. Ensuite, de quoi parle-t-on vraiment ? Pendant la durée de vie de l’opération, nous, investisseurs en capital, sommes présents pour soutenir et accompagner les dirigeants, pas nous substituer à eux. La réussite d’une opération passe donc par le succès du business plan ; un certain nombre de décisions, comme les croissances externes, les orientations stratégiques, les investissements lourds doivent être prises de concert. En revanche, je crois qu’au moment où un désinvestissement s’organise, il est nécessaire que les actionnaires financiers (souvent majoritaires) puissent s’assurer que la sortie répond à leur objectif de performance initial. C’est à ce stade qu’il est nécessaire que les relations et les pouvoirs soient équilibrés. À valorisations équivalentes ou quasi équivalentes, il est de plus en plus fréquent que le management choisisse son repreneur. C’est naturel et sain, puisque, rappelons-le, s’agit d’une aventure humaine ; il faut simplement qu’une valorisation équilibrée émerge, ce qui est quasiment systématiquement le cas. C’est que nous avons vécu dans une transaction très récente. Je ne crois donc pas que le pouvoir ait changé de camp ; je crois qu’il y a une reconnaissance plus effective du rôle de chacun et que la maturité ainsi que la professionnalisation dont nous parlions permet d’arriver sans friction à un équilibre.
Carole Degonse : Quelle est la réaction de vos LP’s étrangers aux schémas des management packages à la française et aux quantums de rétrocession ?
Christophe Parier :
Il est vrai que quelques-uns de nos LP’s anglo-saxons sont assez étonnés quand on leur explique que certains management packages permettent de déclencher de la rétrocession de plus-value des investisseurs financiers avant 15 % de TRI et que certains packages atteignent entre 15 à 20 % de la plus-value totale des investisseurs financiers. Mais nos LP’s savent que notre stratégie d’investissement consiste à sélectionner des PME qui peuvent devenir des plates-formes de croissance et se transformer en ETI via, notamment, des opérations de croissance externe sélectives. Ils comprennent donc que si le dirigeant ou le fondateur de la PME d’origine participe avec son équipe à la création d’un acteur majeur à l’échelle nationale ou européenne, il est plus que légitime que le partage de la valeur créée soit significatif.
Christophe Parier : À mon tour de poser des questions aux conseils : il nous semble, nous professionnels du capital-investissement, que les structures d’investissement des fonds et des équipes de dirigeants ne cessent de se modifier. Y a-t-il actuellement une structure simple qui limiterait l’incertitude et qui donnerait un peu de confort aux professionnels ?
Carole Degonse – Henri Pieyre de Mandiargues : Nous serions les premiers à nous féliciter si des structures simples et efficaces pouvaient être mises en place à chaque fois ! Mais, nous devons nous adapter aux contraintes fiscales et aux modifications continuelles des dispositifs. Entre les modifications des règles de déductibilité des intérêts d’une part, les évolutions des doctrines fiscales sur l’investissement des dirigeants et les risques de requalifications des gains issus de la cession en revenus d’activité, en passant par les incertitudes de positions sur l’utilisation ou non du PEA, notre rôle est de proposer le schéma le plus sécurisé possible pour tous les acteurs de la transaction (y compris les prêteurs externes !). Il faut accepter de remettre en cause des schémas et faire preuve de créativité.
Toutefois, aujourd’hui, il nous semble que la simplicité d’un schéma en sweet equity dans lequel les dirigeants prennent un risque fort en souscrivant uniquement à des actions ordinaires quand les investisseurs financiers détiennent à la fois des actions ordinaires et beaucoup d’instruments de taux, est une option relativement rassurante. Et si l’on peut apporter un peu de confort aux intervenants, cela leur permet de se concentrer sur l’essentiel qui est leur projet commun.