Pour une transmission créatrice de valeur à l’heure post-industrielle
Aujourd’hui, la réussite d’une transmission d’entreprise ne doit plus dépendre seulement de son impact patrimonial ou financier mais également de sa capacité à tenir compte de la nouvelle économie dans laquelle l’entreprise s’inscrit et à répondre aux besoins de toutes les parties prenantes de son écosystème.
Une nouvelle vision de la transmission
La conception de la transmission d’entreprise évolue avec les nouvelles générations d’entrepreneurs, confrontées ou influencées par les nouveaux enjeux auxquels elles doivent faire face.
À côté des dirigeants pour qui la transmission de l’entreprise est l’aboutissement du projet professionnel d’une vie, émerge une nouvelle génération de cédants pour qui transmettre n’est qu’une étape d’un cycle professionnel.
Cette dernière échappe au constat actuel selon lequel les dirigeants tardent à transmettre leur entreprise, parfois malgré eux, comme le relève une récente étude de BPCE, l’Observatoire soulignant « la menace du vieillissement des dirigeants des PME et la nécessité de traiter cette urgence économique pour préserver le tissu productif français » 1. La transmission de l’entreprise initiée par la nouvelle génération d’entrepreneurs intervient de plus en plus tôt, selon des cycles économiques toujours plus courts et rapides.
Cette évolution de la vision de la transmission induit mécaniquement une évolution du choix du repreneur. Ces dernières décennies, la France a mis en avant une vision patrimoniale de la transmission d’entreprise en favorisant principalement la transmission familiale. Le législateur n’a toutefois pas réussi à mettre en place les cadres législatifs et règlementaires qui auraient permis à la transmission familiale de s’appliquer à une majorité d’entreprises ou d’« assurer la pérennité d’un capitalisme familial » 2, à la différence de l’Allemagne ou de l’Italie. Le récent assouplissement du pacte Dutreil par la loi du 22 mai 2019 n°2019-486 dite « loi Pacte » pour faciliter la reprise familiale ne permettra pas de rattraper le retard pris en la matière. Mais les entrepreneurs n’en sont plus là, d’autant que la difficulté à identifier un repreneur familial en mesure d’assumer ses fonctions est de plus en plus grande, pour différentes raisons : les enfants naissent plus tard et ne sont pas nécessairement en capacité de reprendre l’entreprise au moment où la transmission doit être envisagée, ce d’autant plus avec l’accélération des cycles économiques, ou ils n’en ont pas l’envie, etc.
Comment, face à ce profond changement de paradigme, identifier un repreneur légitime qui ne fasse pas l’objet d’une contestation susceptible de mettre à mal la performance de l’entreprise ?
Il ne convient plus seulement de favoriser la transmission familiale d’entreprises, mais de favoriser la transmission d’entreprises quelle que soit la typologie du repreneur comme en témoignent les récentes études.
La nouvelle dynamique de l’entreprise
La vision de l’entreprise est également en pleine mutation et fait émerger une nouvelle dynamique que tout projet de transmission d’entreprise doit intégrer.
La vision actionnariale de l’entreprise principalement fondée sur une logique de financiarisation a montré ses limites en étant trop souvent déconnectée ou indifférente aux enjeux de ses parties prenantes, à commencer par les salariés.
Aujourd’hui, un rééquilibrage du rôle des différentes parties prenantes est en train de s’opérer : toute entreprise doit incarner sa vocation économique avec sens. Autrement dit, une entreprise est considérée comme rentable si elle est utile à l’ensemble de ses parties prenantes.
C’est ce que met notamment en avant la loi Pacte en inscrivant dans notre corpus législatif la finalité sociétale des entreprises (chapitre 3, section 2 « repenser la place des entreprises dans la société »). Elle élargit la notion d’intérêt social aux principes sociaux et environnementaux et introduit la notion d’entreprise « à mission ».
Quelle que soit la typologie de cédants et de repreneurs, il est de la responsabilité des dirigeants d’entreprise actuels et futurs de projeter l’entreprise dans un développement durable pour l’ensemble des parties prenantes.
Anticiper la transmission de son entreprise, c’est avant tout faire en sorte que l’entreprise reste en phase avec les exigences de la nouvelle économie et des nouvelles générations. Elle doit notamment apprendre à gérer de nouvelles normes comportementales telles que la gestion des risques de mauvaise réputation ou l’anticipation des nouveaux comportements de consommateurs. Intégrer la vision managériale en fait également pleinement partie. C’est la performance globale de l’entreprise qui doit être préparée, non seulement économique et financière mais également sociale et environnementale.
Dans ce contexte, l’association du capital humain à la création de valeur pour mieux stabiliser et vendre l’entreprise est un enjeu majeur.
Une meilleure association du capital humain à la transmission
La loi Pacte pose un nouveau socle à l’association des salariés à la transmission de l’entreprise, mais les enjeux actuels imposent d’aller plus loin dans la convergence des intérêts du capital humain avec ceux du capital financier.
En amont de la transmission de l’entreprise, les entrepreneurs doivent être accompagnés pour commencer à en poser les jalons, notamment au travers de la transmission de la gouvernance.
Dans la très grande majorité des cas, la transmission de la gouvernance nécessite de faire évoluer la gouvernance de l’entreprise, voire de l’organisation qui la sous-tend, (e.g. refonte des statuts, pacte d’actionnaires, charte de gouvernance ou charte éthique, etc.) pour mieux mettre en avant le rôle de chacune de ses parties prenantes et intégrer des schémas intergénérationnels, en composant notamment avec :
■ le souci des dirigeants actuels de conserver le contrôle, pendant un certain temps, notamment pour gérer leur responsabilité quand la prise de décision est déléguée ;
■ des équipes issues de générations beaucoup plus volatiles que les précédentes, dont les mouvements peuvent déstabiliser l’organisation, voire être un risque de déperdition de valeur pour l’entreprise s’il va jusqu’à entraîner la perte de son avantage concurrentiel.
La montée de certains salariés dans la gouvernance pour amorcer sa transmission et/ou la montée de salariés au capital social en amont de la transmission de l’entreprise favorise ses chances de succès. Elle permet la stabilisation des talents dans l’entreprise et l’identification d’un potentiel repreneur dont l’acceptation par l’ensemble des parties prenantes sera ensuite facilitée (succéder n’est pas plus simple que transmettre…). Elle limite également les risques d’un blocage de l’entreprise au moment de la transmission ou d’un détournement de sa gouvernance au service des intérêts individuels, lorsque le projet d’entreprise est mal incarné.
Cette association du capital humain à la création de valeur trouve un écho particulier dans les opérations de LBO : l’effet de levier est notamment créé par l’association des talents de l’entreprise et du capital financier (investisseurs). Les Management Packages mis en place favorisent la transmission de l’entreprise en facilitant l’adhésion à son projet et la stabilisation du capital humain. Intégrant pleinement les visions actionnariales et managériales de l’entreprise telle qu’elle doit aujourd’hui être pensée, il serait opportun d’améliorer le cadre législatif des Management Packages, notamment au plan fiscal, pour en libérer la mise en œuvre.
La France n’a pas su prendre le tournant de la transmission familiale aussi bien que ses voisins européens. Ne prenons pas le risque de passer à côté des enjeux suscités par la nouvelle économie, notamment au-delà de nos propres frontières, sous peine de mettre en péril la pérennité de notre tissu économique. Les instances de décisions des entreprises en place ont un rôle majeur à jouer et doivent percevoir la nécessité de cette évolution.
Notes :
(1) Communiqué de presse du Groupe BPCE du 14 mai 2019.
(2) Communiqué de presse du Groupe BPCE du 14 mai 2019.