IFI : de nombreux gagnants mais encore quelques pièges
Paru dans le supplément Dirigeants N°3 - Février 2018
Par Stéphane de LASSUS, Associé, Charles Russel Speechlys
La Loi de finances pour 2018 a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour le remplacer par le nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI), opérant ainsi un recentrage de la taxation du patrimoine uniquement sur l’immobilier des contribuables, que ceux-ci soient résidents français ou non-résidents (les non-résidents n’étant taxés que sur leurs biens immobiliers français). Complexe et technique, cette réforme semble cependant aller dans le bon sens, pour autant des pièges demeurent !
1. Une redéfinition de l’assiette mais un maintien du régime de l’ISF
Si l’assiette de l’impôt a été réduite uniquement à l’immobilier, le législateur a entendu appréhender cette notion d’immobilier au sens large. En effet, sont concernés, non seulement les biens et droits immobiliers appartenant au redevable, mais sont également visés les titres de sociétés ou d’organismes détenus par celui-ci et ce à hauteur de la fraction de leur valeur représentative.
Le législateur afin d’appréhender les biens immobiliers dans leur ensemble vise donc également les actifs immobiliers détenus par des sociétés directement ou indirectement et ce quel que soit le niveau d’interposition de structure. À cet égard des précisions ont été apportées s’agissant de la notion d’immobilier professionnel avec l’abandon de la prépondérance immobilière au profit d’un élargissement de la notion à celui d’immobilier affecté à une activité opérationnelle (Art 966 CGI nouveau) posant ainsi clairement les contours de l’imposition des biens immobiliers détenus par une société.
Toutefois des exonérations pour les biens affectés aux activités économiques sont possibles, en effet : « Doivent être considérées comme opérationnelles les activités mentionnées aux articles 34 et 35 du CGI visant les activités industrielles, commerciales, artisanales ».
Sont ainsi exclus les biens immobiliers inclus dans des participations de moins de 10 % par des personnes physiques, dans des sociétés ayant une activité opérationnelle tel que : activité commerciale, marchands de biens, agents immobiliers mais aussi les loueurs professionnels en meublés ou encore les holdings animatrices de groupe.
Il convient de souligner que cette exonération se conjuguera avec celle portant sur l’immobilier affecté à l’activité professionnelle notamment pour les dirigeants détenant plus de 10 % de leurs sociétés cependant l’application de cette exonération, déjà existante dans le régime de l’ISF, sera pratique beaucoup plus marginale. Si l’assiette de l’impôt sur le patrimoine a bien changé, son architecture reste identique : la décote de 30 % sur la résidence principale est maintenue, le barème reste le même, le plafonnement est maintenu, l’imposition par foyer fiscal conservée. Toutefois des mesures anti-abus ont été introduites entraînant une modification des passifs pris en considération. Par ailleurs le principe de mise en sociétés des actifs immobiliers ou encore la disparition du pacte Dutreil ISF nécessite de la part des contribuables une vigilance particulière à l’égard de ce nouvel impôt qui sous couvert d’un allégement de l’assiette, connaît une forme de complexité et quelques pièges.
2. Une complexité source de pièges
La refonte de l’impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière semble d’apparence n’avoir eu qu’un changement de base, pourtant des nouvelles dispositions doivent donner lieu à une certaine prudence.
■ Le plafonnement du passif au-delà de 5 millions de patrimoine imposable Afin de limiter la déduction du passif, il a été introduit un mécanisme de plafonnent prévoyant que pour les patrimoines dont la valeur taxable est supérieure à 5 millions d’euros et dont le montant des dettes excède 60 % de cette valeur, la fraction des dettes supérieures à cette limite ne sera déductible qu’à hauteur de 50 % de cet excédent. Cette limitation porte une limite aux modalités de financement de son patrimoine immobilier par l’emprunt, car bien que cette méthode de financement semble comporter des avantages à partir d’un certain niveau elle aura désormais un effet réduit. Il convient de noter que cette mesure n’a malheureusement pas été censurée par le Conseil constitutionnel alors que celle-ci aurait pu paraitre contraire au principe d’égalité des contribuables devant l’impôt.
■ Limitation des déductions dans le cadre dun prêt « in fine » Les prêts « in fine » ne seront désormais que partiellement déductibles, l’objet étant d’appréhender ce prêt comme si il s’agissait d’un prêt amortissable classique. Ainsi les annuités théoriques seront déterminées en divisant le montant de l’emprunt par le nombre d’années total de l’emprunt. Cette limitation aura en particulier des conséquences pour les non-résidents qui ont souvent recours à ce mode de financement pour l’achat de biens immobiliers en France.
Les prêts « in fine » ne seront désormais que partiellement déductibles, l’objet étant d’appréhender ce prêt comme si il s’agissait d’un prêt amortissable classique.
■ L’exclusion des prêts de familles Cette clause anti-abus a pour but d’exclure l’ensemble des prêts auprès du redevable ou d’un membre de sa famille : direct, indirect, par l’intermédiaire d’un groupe familial etc. Le conseil constitutionnel a cependant apporté une limite à cette exclusion dans les cas où le contribuable peut justifier du caractère normal des conditions du prêt (échéances, caractère effectif des remboursements), permettant alors d’inclure ces dettes au passif de l’IFI.
■ Les prêts familiaux contractés par l’intermédiaire d’une structure Sont également exclus les prêts contractés directement ou indirectement par une société en vue de l’acquisition d’un bien immobilier, que celui-ci soit auprès d’une société ou d’un redevable. Cette clause anti-abus pourra avoir pour effet une surévaluation de l’immobilier par les sociétés. La question de l’évaluation des titres de société de façon plus large posera probablement également des problèmes, il conviendra à cet égard d’être rigoureux dans la mesure où le contrôle des valorisations est désormais très aisé pour l’administration.
■ Les sociétés de placements immobiliers (SCI, SCPI, OPCI) / Produits financiers portant sur de l’immobilier Si certes, un amendement adopté à la dernière minute a introduit une exonération d’IFI pour les actionnaires de foncières immobilières cotées (SIIC) détenant moins de 5 % du capital, il n’en est pas de même pour les sociétés civiles (SCI), société civile de placements immobiliers (SCPI) ou encore les contrats d’assurance-vie qui seraient composés de produits portant sur des actifs immobiliers qui se trouvent dans le champ de l’IFI. Cet « immobilier papier » sera donc, sauf dans certains cas, soumis à l’IFI.
En conclusion si la suppression de l’ISF demeure une bonne nouvelle, la limitation de la base imposable du nouvel IFI à l’immobilier va entraîner une rigueur accentuée des services vérificateurs sur les valorisations immobilières retenues et selon nous une vision stricte des exonérations possibles et une attention particulière dans l’application des mesures anti-abus.