« Nous souhaitons lancer une grande consultation nationale auprès des avocats »
Après son mandat de bâtonnière au barreau de Paris, Julie Couturier a été élue par ses pairs à la tête de l’assemblée représentative de la profession d’avocat, le Conseil national des barreaux. Elle dresse un premier bilan de ses nouvelles fonctions. Interview.
Quels sont les sujets prioritaires sur lesquels vous souhaitez que la représentation nationale travaille ?
Le CNB s’efforce d’être réactif par rapport à l’actualité, mais le mandat des élus étant de 3 ans, plus long qu’à la tête d’un Ordre, nous avons la possibilité de porter des sujets sur le long terme. L’un des sujets principaux, c’est celui de l’IA qui est un peu l’éléphant au milieu de la pièce. C’est vraiment l’un des sujets dont la profession doit s’emparer. Nous avons mis en place un groupe de travail très transversal, car il s’agit d’un sujet qui est à la croisée des chemins pour la profession, comme pour l’ensemble de la société. Ce groupe de travail réunit des élus qui ont des compétences différentes, qu’elles viennent du numérique, de la formation, de la prospective, des libertés et des droits de l’homme, etc., pour plancher sur le sujet de l’accès des avocats aux outils d’IA. Il y a là un vrai enjeu d’égalité. On a beaucoup parlé de fracture numérique au sein de la profession, mais sur l’IA, cela est particulièrement prégnant. Selon que les avocats auront, ou non, les moyens de s’offrir un outil d’IA, leur compétitivité en sera affectée. La réflexion sur ce sujet va traverser l’ensemble de la mandature. Le 2e sujet prégnant, qui est une constante, c’est celui de l’État de droit et de la défense de la défense. Sur la question du secret professionnel, de la surveillance des lieux de privation de liberté et leur dignité, il y a beaucoup de travail. Nous parvenons à dénoncer les situations, mais pas encore complètement à faire bouger les choses et à cet égard, le CNB est favorable à une politique de régulation carcérale. Encore cette année, le CNB intervient en soutien de la Journée prisons, qui est une initiative de la Conférence des bâtonniers. Un travail de fond va également être mené sur les questions liées à l’égalité, avec un accent particulier qui sera mis sur les luttes contre les discriminations.
Il y aura aussi d’autres sujets de rassemblement, comme celui très important d’éducation au droit, crucial en ces temps de prégnance du tribunal médiatique. Nous sommes en train de mener un travail pour recenser l’état de ce qui existe en la matière et avec le soutien du personnel éducatif, nous aimerions étendre les actions menées aux sujets de harcèlement et de laïcité, entre autres. Une réflexion est aussi en cours concernant la mémoire, avec la mise en place, sur le plan national, d’une commission, chargée de dresser un état des lieux des archives des Ordres, afin de sauvegarder le souvenir des valeurs de la profession d’avocat, de son ADN. La question des relations avocats/ magistrats, qui a récemment fait l’actualité avec la première édition de la journée nationale de la relation avocats-magistrats, le 21 mars dernier, est aussi un sujet. Il faut créer ces habitudes de rencontre, ces moments de convivialité entre nos deux professions.
Vous avez également annoncé une réforme de l’institution, pouvez-vous en dire davantage ?
La réforme de l’institution est un chantier sans être un chantier. Il ne s’agit pas d’un thème de fond, mais d’une réflexion globale à plus longue échéance. La désaffection des avocats pour les questions de gouvernance de la profession et le fort taux d’abstention aux élections du CNB nous poussent à une interrogation sur les raisons de ce désinvestissement. Il faut que nous nous demandions comment nous pouvons être plus efficaces, que nous questionnions l’attractivité de l’institution. Notre légitimité auprès des pouvoirs publics est désormais acquise, mais en interne, elle doit être renforcée auprès de nos confrères afin qu’ils s’investissent davantage. Au-delà de la réforme de l’institution, nous voulons poser la question de son attractivité. Nous devons travailler sur plusieurs fronts, celui de la communication, le lien avec nos confrères et les réponses à leurs interrogations. Nous souhaitons lancer une grande consultation nationale auprès des avocats pour leur demander quelles sont leurs attentes vis-à-vis de l’institution nationale, que nous doublerons d’un tour de France, au cours duquel je me déplacerai avec des élus pour aller au contact des Ordres et des confrères. Cela pourra prendre plusieurs formes : assemblées générales, rencontres informelles entre confrères, conseils de l’Ordre… L’idée est de permettre des contacts le plus souples possibles et à des rendez-vous réguliers de s’organiser.
Dans ce contexte, comment recevrez-vous les différentes contributions sur le sujet de cette réforme de l’institution, qui vont émaner des Ordres, des syndicats etc. ?
Il y a là une question de temporalité. Le barreau de Paris a nommé le professeur Jamin pour avoir une contribution. Ce dernier va mener son travail dans les trois mois qui viennent En parallèle, de notre côté, nous allons voir comment peut être mise en place la consultation nationale déjà évoquée et ce tour de France. Il faudra définir de quelle façon tous ces travaux vont être exploités. Nous n’avons pas voulu créer de groupe de travail, car nous ne voulions pas d’un énième rapport qui ne serait suivi d’aucun effet. L’idée est de faire un pas de côté et de s’engager dans une réflexion plus profonde. Au-delà de la gouvernance, nous voulons poser plus largement la question de l’attractivité de l’institution. Une première restitution de ces réflexions pourrait avoir lieu lors de la Grande Rentrée des Avocats, au mois de septembre prochain. Mais l’idée est de créer un outil qui va permettre d’avancer sur le sujet et de rapprocher les avocats de leur institution.
Le CNB a rejeté la création de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise. Est-ce que cela signifie que l’avocat en entreprise va revenir ?
Je n’ai pas été surprise par le vote de l’assemblée générale du CNB qui n’est que la réitération du vote qui avait eu lieu il y a six mois. Même si aujourd’hui, le texte de la proposition de loi du sénateur Vogel est différent, l’esprit et les grands principes restent les mêmes : l’instauration d’une confidentialité in rem, attachée à une consultation de juriste, la nécessité d’un diplôme, la nécessité d’une formation à la déontologie, etc. Il y a peu de chances pour que la position de la profession change. Concernant l’avocat en entreprise, lors de la précédente mandature, l’assemblée générale s’était prononcée contre à 70 %. Et c’est précisément parce que tout le monde s’accordait à dire que les conditions n’étaient pas réunies pour l’avocat en entreprise que les juristes sont revenus avec la proposition de confidentialité des avis. Il n’y a pas de raison non plus pour qu’aujourd’hui le vote soit différent.
Sur le front de la formation initiale,
quelles sont vos ambitions ?
De ce côté, beaucoup a déjà été fait. Il reste toutefois à clarifier le statut de l’élève avocat, et à ce propos, la précédente mandature avait effectué un travail considérable et laissé un rapport sur l’application à l’élève avocat du contrat d’apprentissage. Moyennant quelques adaptations sur les points qui posent difficulté et qui se heurtent à la résistance du barreau d’affaires, nous espérons avancer là-dessus. Au-delà de la question de la formation, la question de la collaboration est également cruciale en termes d’attractivité de la profession. Il faut réfléchir à un nouvel équilibre, face à la demande des collaborateurs qui réclament de plus en plus de protection, tout en préservant l’essence libérale du contrat, et à la balance vie privée/vie professionnelle. Le CREA (Centre de recherche et d’études des avocats) a été chargé d’une réflexion dans l’intérêt des collaborateurs et des cabinets pour contribuer à résoudre cette crise aiguë du recrutement à l’échelon national. En effet, le problème n’est pas seulement parisien, comme en témoignent les chiffres de l’Observatoire1.
Les instances représentatives de la profession continueront-elles à avancer de façon unitaire ?
Les trois grandes instances représentatives (CNB, Conférence des bâtonniers et barreau de Paris) ont toutes changé de gouvernance au même moment, au début de cette année. Nous démarrons tous ensemble et il faut que chacun prenne sa place et que nous trouvions le moyen de fonctionner ensemble. Notre responsabilité à l’égard de nos confrères est trop grande pour que nous ne puissions pas parler ensemble d’une même voix. Par ailleurs, dans nos relations avec la Chancellerie, nous voulons nous placer dans la continuité de ce que nous avions construit lors des mandatures précédentes.
Quelle différence entre la fonction de bâtonnier
et celle de président du CNB ?
Je dois accepter la différence de positionnement entre les deux fonctions. Celle de bâtonnier était plus verticale. En tant que présidente du CNB, je prends la direction d’un Parlement et je suis épaulée par le bureau, l’aspect collectif est très fort. Cela pose davantage la question de l’intelligence collective. Fidèle à la méthode que j’ai déjà appliquée au barreau de Paris, je pense qu’il ne faut pas craindre de débattre dans le respect des opinions de chacun. C’est pour cette raison que sur la question épineuse du legal privilege, j’ai nommé deux rapporteurs aux points de vue opposés, l’un favorable à cette mesure et l’autre défavorable, ce qui a abouti à un rapport équilibré. Les assemblées générales se passent d’ailleurs bien, nous y écoutons tout le monde.
(1) Selon les chiffres de l’Observatoire, en 2022, 73 % des cabinets avaient rencontré des difficultés pour recruter des avocats et 52 % avaient rencontré des difficultés pour recruter des élèves-avocats.