Trois questions à Xenia Legendre et Carmen Nuñez-Lagos, associées d’Hogan Lovells
Paru dans Droit & Patrimoine n°1168 du 19 novembre 2018
Une vive polémique est née en Espagne sur une décision de la Cour suprême modifiant les règles de paiement des taxes sur les actes notariés liés à la signature d’un prêt immobilier. Explications.
Comment est née la polémique ?
Le 18 octobre dernier, la Cour suprême espagnole a renversé une jurisprudence, datant de vingt ans, estimant qu’il revenait désormais à la banque d’assumer l’impôt sur les actes notariés liés à la signature d’un prêt immobilier. Jusqu’alors, c’était le contribuable qui était redevable de cette taxe appelée IAJD (Impuesto sobre Actos juridicos documentados). à la suite de la publication de la décision de justice, les valeurs bancaires ont spectaculairement chuté en Bourse. L’impact du revirement jurisprudentiel était chiffré à 4 milliards d’euros pour les établissements de crédit qui allaient devoir rembourser le trop payé par leurs clients depuis 2014. Dès le lendemain, le président de la juridiction a donc annoncé vouloir réviser cet arrêt et évoquait un délai de réflexion.
La Cour suprême est-elle en droit de réviser un arrêt qu’elle a elle-même rendu ?
L’arrêt du 18 octobre a été rendu par la section du contentieux administratif. Pour la nouvelle délibération, il s’agissait de réunir l’assemblée plénière de la Cour qui est constituée de 31 juges. C’est une première dans l’histoire judiciaire espagnole. Mais la loi l’autorise car la Cour suprême, dans sa formation plénière, pose des principes pour l’avenir sans rejuger le cas d’espèce. Les débats ont duré deux jours et, le 6 novembre dernier, ils ont annoncé, par communiqué de presse, vouloir revenir à la jurisprudence précédente. Si le texte de la sentence n’est pas encore publié, on sait déjà que les magistrats souhaitent que les clients payent l’impôt. C’est un revirement de jurisprudence après un revirement de jurisprudence.
L’affaire a tout de même pris un tournant politique…
Absolument. Les partis d’opposition se sont emparés du sujet dénonçant un manque d’indépendance de la justice. Mais c’était sans compter la réaction du gouvernement qui a enfoncé le clou en annonçant la publication d’un décret réformant la loi. Les banques seront à l’avenir redevables de l’impôt, mais elles répercuteront vraisemblablement ces frais sur leurs fees. Au final c’est le client qui paiera. Le dernier mot reviendra maintenant à la Cour constitutionnelle, car le gouvernement a décrété que les banques ne pouvaient déduire l’impôt de leur compte. Une belle saga s’annonce.