Trois questions à Roland Poirier, associé, Lussan cabinet d’avocats
Paru dans Droit&Patrimoine n°1211
Deux rapports parlementaires successifs préconisent la réforme, via la loi de Finances pour 2020, du statut « d’aviseur fiscal ». Le point avec l’avocat fiscaliste, Roland Poirier, associé, Lussan cabinet d’avocats.
Le statut d’aviseur fiscal existe-t-il dans d’autres pays et sous quelles formes ?
Le rapport d’information de la députée Pires Beaune du 5 juin 2019 fait le point sur le système des aviseurs fiscaux qui existe chez nos voisins et relève le retard de la France en la matière comme le soulignent également les députés Cariou et Cordier dans leur rapport du 25 septembre 2019. Le système existe depuis longtemps dans d’autres pays, de manière plus ou moins protectrice des droits du contribuable. Ainsi, dans certains systèmes, la dénonciation anonyme existe, et notamment en Angleterre. Les moyens de lutte contre la fraude fiscale doivent nécessairement s’adapter aux nouvelles formes de délinquance qui évoluent rapidement. Dès lors, il serait absurde de se priver d’un moyen de lutte comme l’avis, mais il est nécessaire de l’encadrer davantage juridiquement afin que ces informations ne soient pas acquises et exploitées de manière incontrôlable par le Fisc. Certes, la loi de finances pour 2017 a déjà encadré les conditions d’utilisation des données acquises auprès d’aviseurs fiscaux, mais le fait que l’administration n’informe pas le contribuable de l’existence et du contenu de la dénonciation, et de l’identité de l’informateur, continue à poser problème au regard des droits de la défense en particulier lorsque l’administration rémunère, et ainsi encourage, le vol d’informations à caractère fiscal. La frontière est extrêmement ténue entre le recueil spontané d’avis, et le démarchage actif de personnes détentrices d’informations sensibles dans les banques ou les entreprises.
Est-il souhaitable de renforcer le statut des aviseurs fiscaux, selon vous ?
Outre l’aspect inquiétant que cela présente au plan de l’éthique, car il faut se demander si l’on veut d’une société où la collecte des renseignements serait assurée par voie de dénonciation, le système des aviseurs fiscaux peut prêter le flanc à des manipulations venant d’entreprises ou de puissances étrangères. C’est un risque dont il faut être conscient. Par ailleurs, il peut aussi y avoir des dérives au niveau médiatique qui peuvent nuire au contribuable, même si la Direction nationale des enquêtes fiscales semble assurer sérieusement son rôle de filtre puisque sur 92 « entrées », ou avis déjà enregistrés, 50 ont, semble-t-il, été classés sans suite. Il faut tout de même rester vigilant. En ce qui concerne la rémunération des aviseurs, en revanche, il n’est pas anormal d’ajuster la récompense accordée au montant des sommes recouvrées grâce au renseignement obtenu, à condition de renforcer le filtre des dénonciations dont le nombre va nécessairement augmenter à proportion.
Il est préconisé d’étendre le classement confidentiel-défense à ces avis.
Qu’en pensez-vous ?
En réalité, le problème n’est pas tant la dénonciation de la fraude commise par un contribuable que l’utilisation prudente de l’information par l’administration fiscale, de documents acquis de manière illégale, c’est à dire, en clair, des fichiers volés. L’article 10-0 AA du LPF permet à l’administration d’utiliser des pièces d’origine illégale, mais cet article a fait l’objet d’une réserve d’interprétation par le Conseil Constitutionnel et il existe par ailleurs un risque d’invalidation devant le juge judiciaire. Le classement confidentiel défense permettrait d’éviter ce risque selon les rapporteurs du projet de loi. Mais cela ne nous paraît pas souhaitable vis-à-vis des droits de la défense et notamment parce le contribuable doit toujours avoir la possibilité de contester les informations utilisées à son encontre par l’administration devant les tribunaux. Sinon qu’en saurait-on ?