La Conférence des bâtonniers débat de l'avocat dans l'entreprise
« Ce dossier nous empoisonne la vie ». Ces mots du président de la Conférence des bâtonniers, Yves Mahiu, lâchés dès l'ouverture des discussions sur l'avocat dans l'entreprise à l'assemblée générale de la Conférence des bâtonniers résument l'état d'esprit des représentants des robes noires. Lassés d'évoquer ce serpent de mer depuis des années lors de leurs assemblées générales ou conseils de l'Ordre, ils aimeraient pouvoir en tourner définitivement la page pour se concentrer sur d'autres sujets, comme l'augmentation du périmètre d'activité des avocats. Aussi, dans le but de clore ce chapitre, le bâtonnier Olivier Fontibus a présenté un rapport d'étape intitulé « Avocats et besoins des entreprises : exercice indépendant en entreprise » réalisé par le groupe de travail Legal privilege - avocats et juristes d'entreprise du Conseil national des barreaux (CNB). Présenté lors de l'assemblée générale de ce dernier le 11 mars 2016, ce rapport a donné lieu à un avant-projet de décision à caractère normatif soumis à la concertation de la profession jusqu'au 4 mai prochain. Olivier Fontibus a précisé d'emblée que ce projet ne portait pas sur « l'avocat salarié en entreprise mais l'avocat libéral travaillant en entreprise ». Objectif : « que l'avocat de plein exercice puisse demain être le premier partenaire juridique de l'entreprise ».
Le groupe de travail du CNB a ainsi proposé la modification de l'article 15 du règlement intérieur national de la profession d'avocat de façon à ce qu'un cabinet principal ou un bureau secondaire puisse être situé dans les locaux d'une entreprise « sous condition que ceux-ci soient conformes aux usages et permettent l'exercice professionnel dans le respect des principes essentiels de la profession ». Les avocats exerçant de la sorte resteraient soumis au contrôle des Ordres et appliqueraient les mêmes règles déontologiques que leurs confrères.
Vives réactions des bâtonniers
Les bâtonniers ont été nombreux à réagir à cet avant-projet de décision. Jacques Lapalus, ancien bâtonnier de Nantes, a par exemple estimé qu'avec ce texte, les avocats « se tuent encore plus sûrement qu'avec l'avocat salarié en entreprise » car les avocats seront révocables à merci et qu'ils travailleront tant pour l'entreprise que pour ses clients.
De son côté, le bâtonnier de Nîmes, Jean-Claude Monceaux, s'est notamment inquiété du fait que « l'avocat qui ne sera pas satisfait des indemnités de rupture ira chercher le conseil des prud'hommes pour dire qu'il était salarié » de l'entreprise où était située son cabinet. Ce à quoi Yves Mahiu a consenti en précisant qu'« actuellement, en vertu du droit positif, la requalification de ce contrat en contrat de travail n'est pas possible mais ce droit positif évolue donc oui, c'est un danger et il faut l'intégrer dans vos réflexions au sein de vos conseils de l'Ordre ».
Les bâtonniers de Dax et de Clermont-Ferrand ont pour leur part redouté que « cette possibilité ne favorise pas l'avocat mais le juriste de l'entreprise qui jouera de la passerelle pour revenir dans l'entreprise en tant qu'avocat » car « ce sont les juristes d'entreprise qui auront la priorité pour développer leur structure au sein des entreprises qui les connaissent ».
Les bâtonniers n'ont pas pris de position sur cet avant-projet de décision portant réforme de l'article 15 du RIN et doivent désormais l'évoquer avec leur conseil de l'Ordre.
Clémentine Delzanno