"Nous devons être convaincants à l’égard du public"
D&P : Pourquoi venez-vous de lancer le site Internet cnma.avocat.fr consacré à la médiation ?
Pascal Eydoux: Depuis plusieurs années, la profession a développé ses compétences dans les modes alternatifs de règlement des conflits. Elle est encore trop identifiée comme régulateur de contentieux. Nous voulons faire comprendre au public que le judiciaire n’est plus le cœur économique de notre métier. Les modes alternatifs sont un vecteur de nouvelle économie. Ils représentent un marché. Par conséquent, nous devons sensibiliser le public que les avocats sont des médiateurs compétents, apportant la sécurité juridique et leur déontologie.
D&P : La Convention nationale des avocats 2017 est tournée sur l’avenir de la profession. Qu’elles doivent être les nouvelles stratégies de l’avocat ?
Pascal Eydoux : Aujourd’hui, le public souhaite disposer de prestations compétentes, rapides et pertinentes en termes de coût. Nous devons donc lui offrir le moyen d’accéder à nos cabinets et à notre activité dans les conditions qu’il exige désormais. C’est notre stratégie économique. Les particuliers et les entreprises ne veulent plus de l’aléa judiciaire mais de la sécurité juridique en amont. Pour ce faire, la profession doit développer sa présence sur les réseaux numériques. C’est pourquoi nous avons créé notre plateforme d’information et de consultation qui évoluera en plateforme d’accompagnement dans les procédures afin de s’affranchir des territoires physiques. C’est une vraie révolution chez nous! Nous devons être convaincants à l’égard du public mais aussi à l’égard de l’ensemble de nos confrères pour qu’ils adoptent cette démarche de conquête d’un marché nouveau.
D&P: La société pluri-professionnelle d’exercice (SPE) fait-elle partie de cette stratégie ?
Pascal Eydoux : Naturellement. La SPE est un véritable outil de développement économique pour les professions réunies. Elle est de nature à éradiquer les questions de contentieux de monopole et de les réunir vers un intérêt général qui est celui du client et donc d’un « full service ». Aujourd’hui, le particulier ou l’entrepreneur n’a plus envie d’être obligé d’aller voir un avocat puis un notaire, un expert-comptable… Il veut un service globalisé. Le rapport Darrois avait raison de parler d’une grande profession. À l’époque, les mentalités n’étaient pas mûres. Aujourd’hui, le public nous le demande.
D&P: Ne va-t-il pas y avoir un problème d’assurance en responsabilité professionnelle au sein d’une SPE ?
Pascal Eydoux : Non. Je ne partage pas l’inquiétude du notariat. Un avocat ne peut exercer qu’à la condition d’être assuré. Sinon il n’est pas inscrit à l’Ordre. L’avocat est assuré dans des garanties largement équivalentes à celles des notaires. C’est la SPE qui engage sa responsabilité en tant que personne morale auprès du client. Après, les associés de la société s’expliqueront entre eux.
D&P: Quelle attitude doit adopter l’avocat avec la justice prédictive ?
Pascal Eydoux : La justice prédictive doit nous mobiliser sur les autres modes d’exercice de notre profession. Elle va nous conduire à devoir analyser préalablement l’opportunité de contractualiser le contentieux ou d’aller chercher un arbitrage du juge. Autrement dit, il nous faut développer les moyens qui sont à notre disposition pour éviter la démarche judiciaire et préparer les contrats de nos clients en faisant en sorte qu’ils n’aient pas de risques juridiques. De ce point de vue, la justice prédictive est un instrument d’aide à la décision stratégique.
D&P: L’avenir de la profession ne passe-t-il pas aussi par une réforme du CNB ?
Pascal Eydoux : La Conférence des Bâtonniers que j’ai présidée, et le Barreau de Paris doivent comprendre que le CNB est le seul représentant politique de l’ensemble de la profession d’avocat. Il est normal qu’il bénéficie de l’apport des syndicats et du monde associatif de la profession afin de construire une doctrine qui correspond à toutes les aspirations. De leur côté, la Conférence des Bâtonniers et le Barreau de Paris sont les représentants des barreaux qui sont les régulateurs de l’exercice. La loi de 1971 répartit parfaitement les rôles. Il n’y a donc pas de raison de réformer le CNB. Il faut simplement que la Conférence des Bâtonniers et le Barreau de Paris reconnaissent au CNB ce rôle politique unique et exclusif qui est le sien. Nous avons encore des progrès à faire sur le sujet. Car très souvent les Ordres établissent une doctrine chez eux et veulent qu’elle soit adoptée par le CNB. C’est une inversion de la démarche qui n’est pas convenable.
D&P: Et l’avocat en entreprise…
Pascal Eydoux : La question évoluera nécessairement. Nous avons voté une réforme de l’article 15 du règlement intérieur national permettant aux avocats d’avoir des implantations secondaires dans les entreprises. C’est un premier progrès.
D&P: Comment sont vos relations avec la nouvelle ministre de la Justice ?
Pascal Eydoux : Les relations avec la ministre sont a priori excellentes. Lors de nos deux premiers entretiens, j’ai senti une écoute exigeante de sa part. Elle attend de la profession des propositions efficaces et une adhésion aux réformes indispensables qu’elle prévoit. Je suis assez optimiste sur les conditions dans lesquelles nous allons pouvoir travailler avec la ministre.
D&P: Qu’attendez-vous de son intervention à la Convention nationale des avocats ?
Pascal Eydoux : J’attends qu’elle présente aux avocats une volonté de dialogue constructif et une écoute réciproque. Je pense que nous aurons satisfaction sur le sujet. Il est fort probable que la ministre précisera son programme notamment la réforme de juridictions qu’elle appelle de ses vœux.
D&P: Et l’Europe dans tout cela…
Pascal Eydoux : L’Europe impacte tous les jours notre exercice. J’ai été auditionné à Bruxelles par la Commission européenne sur les projets de directives « Notification et Proportionnalité ». Cette institution souhaite promulguer des directives tendant à contrôler les conditions dans lesquelles les professions réglementées (dont les avocats) ouvrent le marché et respectent les directives Libre établissement et Services. Toute nouvelle réforme d’exercice professionnelle ferait l’objet de notifications préalables à la Commission européenne pour vérifier si elle n’est pas de nature à fermer l’accès à la profession. Je lui ai dit qu’alourdir les procédures n’est pas forcément utile. Qu’elle interdise à un État de promulguer un texte avant qu’elle ne l’ait labellisé me semble excessif.
D&P: Que pensez-vous de son projet sur les professions de conseil faisant de l’optimisation fiscale ?
Pascal Eydoux : Tant que les avocats conseillent leurs clients en termes d’optimisation fiscale en respectant la réglementation des États, ils ne sont coupables de rien. Par conséquent, il revient aux États de prendre leur responsabilité et, le cas échéant, de remettre en question les textes qu’ils promulguent sur les possibilités de faire de l’optimisation fiscale. Il ne peut pas être reproché aux avocats d’utiliser les outils juridiques qui sont à leur disposition.
D&P : Depuis une trentaine d’années, le nombre d’avocats en France a fortement augmenté pour atteindre aujourd’hui le chiffre de 65000. La limite n’est-elle pas franchie?
Pascal Eydoux : Non. Le besoin de Droit s’accroît en raison de la multiplication et de la complexification des législations nationale et européenne. Il est donc parfaitement normal que le nombre d’avocats augmente. Nous assistons à un basculement économique entre l’activité juridictionnelle et celle de conseil. C’est un défi de la profession d’avocat. Mais ce n’est pas en réduisant le nombre d’avocats que l’on rendra compétents des acteurs juridictionnels en termes de conseil et inversement. Je ne crois pas que la régulation du nombre soit une bonne idée. Que les confrères ne craignent rien, la profession d’avocat est universelle. On a toujours besoin d’un avocat et de plus en plus dans toutes les activités du quotidien des acteurs sociaux et économiques.
Propos recueillis par Frédéric Hastings