Condamnation par le Conseil constitutionnel du cumul de sanctions pénales et administratives en matière d’abus de marché
Le Conseil constitutionnel, saisi de la question de la conformité à la Constitution du cumul de sanctions administratives et pénales en matière d’abus de marché (Cass. crim., 17 déc. 2014, nos 14-90.042 et 14-90.043, Cass. crim., 28 janv. 2015, n° 14-90.049), et en particulier en matière d’opération d’initié, rend une décision d’une portée indéniable qui, même si elle était prévisible, ébranle le système français de répression des abus de marché. Le Conseil constitutionnel condamne en effet clairement le cumul. Après avoir soumis les dispositions contestées du Code monétaire et financier à une grille de quatre critères (identité de faits réprimés, de finalité, de sanction, d’ordre de juridiction), il retient que « les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié ne peuvent (…) être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ». Il en conclut que les articles L. 465-1 et L. 621-15 du Code monétaire et financier, ainsi que les dispositions qui leur sont liées, méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines consacré à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et doivent donc être déclarées contraires à la Constitution (consid. 28). Le Conseil constitutionnel reporte au 1er septembre 2016 la date de l’abrogation des dispositions affectées par la déclaration d’inconstitutionnalité (consid. 35). Une abrogation immédiate reviendrait en effet à empêcher toute poursuite sur le fondement d’une opération d’initiés. Le Conseil constitutionnel précise toutefois, qu’afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de sa décision, des poursuites ne pourront être engagées ou continuées dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l’encontre de la même personne devant le juge judiciaire ou devant la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (consid. 36).
Observations : Si le Conseil constitutionnel ne vise pas expressément la décision de la Cour européenne des droits de l’homme rendue le 4 mars 2014 dans l’affaire Grande Stevens, qui se fondait sur le principe « ne bis in idem » (CEDH, 4 mars 2014, aff. 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, Grande Stevens c/ Italie), sa décision s’inscrit incontestablement dans sa continuité. Toute la question est désormais de savoir comment le législateur, qui devra prendre position avant le 1er septembre 2016, organisera la répression des abus de marché.
Cons. const. QPC, 18 mars 2015, nos 2014/453-454 et 2015-462
Par Pauline Pailler, Professeur à l’université de Reims
Publié in Droit & Patrimoine l’hebdo 2015, n° 1004 (30 mars 2015)