L’entreprise libérale après l’ordonnance du 8 février 2023
Le 1er septembre 2024 est entrée en vigueur l’ordonnance nº 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées.
Nous consacrons dans ce numéro un dossier spécial à ce texte important qui regroupe désormais toutes les dispositions préexistantes sur les sociétés utilisées par les professions judiciaires et juridiques, en y ajoutant quelques innovations remarquables. Force est de constater que ces dispositions nouvelles impactent la notion d’entreprise libérale dans les métiers du droit. Sous cet angle en effet, ce qui frappe probablement le plus, c’est l’absence du vent de libéralisme qui avait soufflé sur les professions libérales réglementées à l’occasion de la publication de la « loi Macron » nº 2015-990 du 6 août 2015. Autant cette dernière avait fait preuve d’audace en rapprochant les sociétés utilisées par ces professions des entreprises relevant du droit commun des sociétés, autant l’ordonnance du 8 février 2023 semble avoir pris le parti inverse. Prenons trois exemples pour illustrer le propos.
Les sociétés d’exercice de droit commun
L’un des apports les plus remarqués de la « loi Macron » avait été la possibilité donnée aux professions judiciaires et juridiques, et en particulier aux avocats et aux notaires, de recourir aux sociétés d’exercice de droit commun (SEDC). Depuis, le gouvernement a, semble-t-il, beaucoup hésité sur l’orientation à prendre quant à la cohabitation de ces SEDC avec les traditionnelles sociétés d’exercice libéral (SEL). La suppression des SEL au profit des sociétés d’exercice de droit commun avait même, un temps, été envisagée. Finalement, les SEL restent les structures sociétaires de référence et leur régime juridique est (quasi) totalement étendu à celui des SEDC. Les sociétés d’exercice de droit commun ne présentant plus de spécificité, et donc plus d’intérêt, leur alignement sur les SEL revient (presque) à les supprimer.
Le droit de retrait des SEL
Il s’agit là de l’une des mesures phares de l’ordonnance du 8 février 2023. On sait qu’il n’existe pas, comme dans les SCP, de droit de retrait légal dans les SEL à capital fixe, la Cour de cassation semblant même avoir exclu un droit de retrait statutaire dans l’arrêt de sa 1re chambre civile du 12 décembre 2018. L’ordonnance autorise pourtant la stipulation d’un tel droit de retrait dans les statuts de toutes les SEL, en prévoyant des modalités spécifiques pour les officiers publics ou ministériels. Là encore, même s’il ne s’agit que d’une simple possibilité, on s’éloigne du droit commun puisqu’un tel droit de retrait capitalistique n’existe pas dans les sociétés de droit commun (à capital fixe). En réalité, on s’éloigne tout simplement de la notion d’entreprise tant il paraît difficile d’imaginer une « vraie » entreprise dont les capitaux propres pourraient fondre au gré des velléités de retrait de ses associés. Preuve, s’il en était besoin, que l’entreprise libérale n’est pas une entreprise comme les autres !
La dissolution automatique des SPFPL qui cèdent leur participation
Autre innovation qui éloigne les sociétés utilisées par les professions libérales réglementées des entreprises de droit commun : le spectre de la dissolution automatique pour les SPFPL qui n’auront pas régularisé leur situation dans le délai réglementaire (d’un an) après avoir vendu les parts ou actions de la société d’exercice qu’elles détenaient. Autrement dit, sous réserve de ce que pourrait prévoir un décret d’application spécifique aux SPFPL pluriprofessionnelles (et aux SPE) toujours attendu, l’ordonnance balaie les espoirs des praticiens qui envisageaient, lorsqu’ils prendront leur retraite, de transformer en société de patrimoine leur SPFPL ayant reçu le prix de vente de la SEL. Là encore, dans le monde des « vraies » entreprises, pourrait-on concevoir une holding de droit commun automatiquement dissoute en cas de cession des parts ou actions de sa filiale ?
L’ordonnance du 8 février 2023 a incontestablement le mérite d’avoir rendu plus lisibles les règles qu’elle a reprises à droit constant. S’agissant des nouveautés qu’elle a apportées, chacun appréciera si cet éloignement des sociétés utilisées par les professions judiciaires et juridiques des entreprises de droit commun est ou non un gage de compétitivité.