Trois questions à Martin Le Touzé
Le 24 juin dernier, l’AMF a sanctionné une société de gestion qui n’avait pas respecté les critères ESG qu’elle s’était elle-même fixés. Une première. Les explications de Martin Le Touzé.
Quel était le contexte de cette affaire ?
Les agents de l’AMF avaient mené un contrôle sur une société de gestion d’actifs immobiliers, Primonial REIM, qui proposait aux investisseurs de souscrire à un fonds OPCI PREIM ISR. Le prospectus du fonds prévoyait que les actifs immobiliers devaient avoir une note ESG supérieure à 70/100, en fonction d’une grille d’évaluation développée en interne par Primonial REIM. Or, dans ce fonds ISR, deux immeubles ne respectaient pas ces critères. S’agissant du premier des deux manquements constatés, sur l’immeuble Shift à Issy-Les-Moulineaux, la société de gestion n’a pas été en mesure de prouver qu’il y avait bien eu une analyse des critères ESG avant l’investissement. S’agissant de l’immeuble Gambetta à Paris, le comité d’investissement savait, avant d’acquérir l’immeuble, que la note ESG était inférieure aux critères fixés par le prospectus. En l’espèce, l’AMF ne reprochait pas à la société de gestion une contravention à la réglementation ESG, mais plutôt de ne pas avoir respecté les critères ESG qu’elles s’était elle-même fixés et qu’elle avait annoncés aux investisseurs dans le prospectus du fonds.
Dans cette affaire, le fonds de gestion a pu bénéficier d’une composition administrative, de quoi s’agit-il ?
C’est une forme d’accord amiable avec l’AMF, proposée par l’Autorité lorsqu’elle considère que les manquements ne présentent pas une gravité nécessitant absolument une procédure de sanction. On observera que la somme payée au Trésor public, d’un montant de 40 000 €, est en l’occurrence très modeste. En revanche, la composition administrative fait toujours l’objet d’une publicité. Ces compositions administratives nourrissent la doctrine de l’AMF, qui en fait un moyen de communication externe. Avec cette affaire, elle a voulu faire passer un message à la place et avertir les sociétés de gestion sur le fait qu’elle serait désormais vigilante en ce qui concerne le greenwashing.
Quel recours des investisseurs face à de tels manquements ?
Il est vrai qu’en lisant la décision, on reste un peu sur sa faim s’agissant des investisseurs. Certes, la société de gestion a payé une modeste amende et s’est engagée pour le futur à améliorer la formalisation et la traçabilité de ses analyses ESG. Toutefois, on a l’impression de l’Autorité n’est pas allée jusqu’au bout de son raisonnement, notamment sur l’effet utile de ces critères ESG pour les investisseurs. Existe-t-il, pour ces investisseurs, un préjudice financier causé par ces manquements ? L’AMF n’aborde pas cette question. Or, dans une précédente composition administrative visant BNP Paribas AM, la société de gestion avait dû rembourser aux investisseurs des frais de gestion à hauteur de plus de 7 M€.
Les investisseurs pourront éventuellement engager la responsabilité de la société de gestion devant le juge judiciaire, mais le problème de l’évaluation du préjudice et du lien de causalité va se poser.
On pourrait aussi imaginer que les investisseurs demandent la nullité de la souscription pour dol, mais ce serait inédit et très difficile à mettre en œuvre. En tout état de cause, il faut s’attendre prochainement à un foisonnement de ce type de contentieux fondés sur des critères environnementaux.