Trois questions à Gilles Riou, Président et Fondateur du cabinet Egidio
Les barreaux de Marseille et d’Aix-en-Provence ont présenté, jeudi 17 octobre 2024, une étude sur les freins psychologiques au développement de l’amiable confiée au cabinet Egidio, avec le soutien de l’université d’Aix-Marseille.
Comment avez-vous travaillé ?
Le cabinet, spécialisé dans les enquêtes internes en entreprise, a travaillé selon la méthode de la recherche-action, éprouvée en sciences sociales, qui a mobilisé plus de 100 acteurs dans le ressort de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et a recueilli les réponses de plus de 300 professionnels. Le fait que le barreau d’Aix nous ait rejoint alors que l’étude était déjà lancée est assez typique de cette méthode de recherche, qui a pour but de fédérer et de créer un engagement de la part des acteurs du secteur.
Le premier enseignement de l’étude, et peut-être le plus important, est que l’amiable est aujourd’hui porté par l’engagement individuel, qui peut s’essouffler en l’absence de relais institutionnel, mais que quand une institution s’engage, elle facilite l’engagement des autres, pourvu qu’il y ait un projet de travail commun et concret, qui mobilise. Donc même si, en la matière, le ratio coût/bénéfices est important, il n’est pas pour autant essentiel.
Le rapport souligne également un enjeu de confiance entre magistrats et avocats qui pourrait constituer un frein à l’amiable. Pouvez-vous expliquer ?
L’enjeu de confiance entre avocats et magistrats est consubstantiel de leurs positions respectives et se double d’une autre difficulté. Le fondement de l’amiable est, en effet, de traiter le besoin avant la demande. Or, le contentieux est une demande, une demande de droit qui peut masquer des besoins plus profonds. L’aspect positif c’est qu’il est beaucoup plus facile de répondre à un besoin qu’à une demande, dans le sens où il existe toujours plusieurs manières de satisfaire un besoin, là où la demande appelle une réponse unique. Mais ce n’est est possible qu’à condition de comprendre d’abord et d’exprimer clairement son besoin ensuite. C’est souvent délicat, car le besoin relève de la sphère de l’intime, et montre notre vulnérabilité. Cette réticence existe entre les parties, mais aussi entre avocats et magistrats. Les avocats peuvent ainsi craindre d’exprimer trop clairement le besoin réel du client, de peur qu’une partie n’en abuse et à l’inverse, les magistrats craignent d’exprimer clairement leur sentiment sur le conflit et de risquer le préjugé. Pourtant, lorsque ces réticences sont surmontées, à l’aide d’une posture et d’une maîtrise méthodologique des outils, une estime profonde naît entre les parties. Des témoignages venant du ressort du tribunal judiciaire de Grasse, où une véritable culture de l’amiable entre magistrats et avocats nourrit une confiance réciproque le montrent. Cette confiance est institutionnalisée auprès de la juridiction. Ainsi, le succès de l’amiable repose à la fois sur les individus et sur les institutions. Ce qui manque, c’est la possibilité de déployer la confiance de manière plus large, au niveau du ressort d’une cour d’appel, car elle existe bel et bien au niveau local. Il y a bien entendu une question de moyens dans la justice, mais je pense qu’une partie de l’équation peut être résolue, dans un investissement maîtrisé par les parties prenantes, en mettant en place une forme d’expérimentation à un échelon comme celui d’une cour d’appel.
Quelles suites pour cette étude ?
Nous verrons quelles suites seront données du côté judiciaire. Du côté universitaire, Aix-Marseille université (AMU) a d’ores et déjà réagi et un projet de partenariat est en cours avec la faculté de droit et de psychologie. Pour le reste, l’enjeu est que cette recherche action suscite suffisamment d’intérêt pour basculer dans une phase d’expérimentation soutenue et mobilise des moyens qui acteront ainsi l’engagement des parties prenantes.