
UNIVERSITÉ DE LA FAMILLE : PACIFIER, TRANSMETTRE, PARTAGER
« Il n'y a pas de famille modèle, il n'y a qu'une famille qui se transforme, qui évolue ». C'est sous cette déclaration forte d'Anne Fercoq-Le Guen, Présidente de la Chambre des notaires de la Cour d'appel de Rennes, qu'a été lancée la deuxième édition de l'Université de la Famille, les 20 et 21 mars 2025 au Couvent des Jacobins. Organisé par la Chambre des notaires de la Cour d'appel de Rennes, en partenariat avec l'Institut national de formation notariale, cet événement a réuni plus de 500 professionnels du droit autour du thème : « Pacifier, transmettre, partager ».
Adélaïde Gerbaud, Présidente de la commission Famille, a souligné que cette thématique permettait de réfléchir aux défis rencontrés dans les études notariales. Les membres de la commission Famille ont rappelé que les relations familiales sont de plus en plus complexes et fragiles, nécessitant une adaptation constante du droit afin d'accompagner au mieux les évolutions des structures familiales qui sont aujourd'hui plus diverses et mouvantes que jamais : familles recomposées, homoparentales, monoparentales, etc. Cette réalité impose aux professionnels du droit une constante adaptation pour garantir sécurité juridique et équité.
Pacifier, c'est avant tout écouter, prévenir les conflits, permettre à chacun de s'exprimer et éviter les non-dits. C'est une dimension importante du métier de notaire. La table ronde dédiée à la médiation a mis en lumière l'importance croissante de cette pratique dans le règlement des différends en droit patrimonial. La médiation peut être définie comme un « processus de communication éthique reposant sur la responsabilité et l'autonomie des participants, dans lequel un tiers - impartial, indépendant et neutre (sans pouvoir décisionnel ou consultatif) avec la seule autorité que lui reconnaissent les médiés, - favorise par des entretiens confidentiels l'établissement, le rétablissement du lien social, la prévention ou le règlement de la situation en cause » (Guillaume-Hofnung M., La médiation, PUF, coll. Que sais-je ?, 4e éd., 2007). Contrairement au conciliateur, le médiateur ne propose pas de solution, mais accompagne les parties dans un processus structuré visant à rétablir le dialogue et à les amener à trouver un accord mutuel.
Transmettre, c'est l'essence même du métier de notaire. Il doit garantir la sécurité juridique des successions tout en tenant compte des réalités familiales diverses, notamment des couples non mariés. Par exemple, il peut s'agir de rendre les dispositifs de transmission efficaces, en anticipant et évaluant notamment l'impact des donations sur la liquidation successorale.
Partager, enfin, c'est veiller à la juste répartition des biens, à l'équilibre des opérations. Le notaire agit ici comme le gardien de l'équité, s'assurant que chaque héritier voit ses intérêts préservés. Il permet d'assurer une répartition juste et conforme aux volontés des membres de la famille.
Retour sur la table ronde : créances conjugales et acquisitions immobilières
Parmi les temps forts de ces journées, une table ronde animée par Virginie Bloas, notaire, et Véronique Bouchard, Professeur de droit privé à l'Université de Rennes, a permis de revenir sur l'existence d'une créance dans un couple lors de l'acquisition d'un bien immobilier.
Peut-on considérer que la dépense d'acquisition d'un bien immobilier relève des charges du ménage ? Dit autrement, l'époux qui aura contribué au-delà de sa part dans l'acquisition d'un bien immeuble ou lors de travaux pourra-t-il se prémunir d'une créance ?
De manière générale, l'acquisition d'un logement résulte d'une obligation légale ou conventionnelle entre conjoints. Il n'y a, en ce cas, pas lieu à récompense, sauf s'il est rapporté la preuve que l'un des deux a excédé son obligation légale. Pour qu'une créance soit reconnue, la dépense ne doit donc pas être considérée comme une charge du mariage. Traditionnellement, les charges du mariage désignent les dépenses du couple qui relèvent de son train de vie. C'est-à-dire les dépenses d'entretien, de consommation et de la vie courante.
La jurisprudence a progressivement étendu cette notion à certaines dépenses d'investissement relatives à la résidence principale du couple ; à une résidence secondaire (Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, nº 12-17.420, Bull. civ. I, nº 249, RJPF 2014-2/20, note Égéa V.) ; voire à tout immeuble « destiné à l'usage de la famille » (Cass. 1re civ., 3 oct. 2018, nº 17-25.858, D), à l'exclusion d'investissements locatifs (Cass. 1re civ., 5 oct. 2016, nº 15-25.944, Bull. civ. I, nº 186, RJPF 2017-1/31, obs. Fragu E.). Les intervenantes n'ont pas manqué de rappeler que le raisonnement est similaire pour les partenaires de pactes civils de solidarité (Pacs ; C. civ., art. 515-4) et les concubins. En effet, pour ces derniers, la jurisprudence reconnaît une obligation de contribution aux charges de la vie commune (Cass. 1re civ., 9 févr. 2022, nº 20-22.533, D, RJPF 2022-4/20, obs. Dubarry J.).
Afin d'éviter que la dépense ne « tombe » dans les charges du mariage il pourrait être envisagé de déterminer une définition conventionnelle des charges du mariage au sein même du contrat de mariage ou de Pacs, ou encore envisager un aménagement du régime matrimonial. Il est également possible d'établir une convention en dehors du contrat de mariage. En effet, la jurisprudence reconnaît l'existence de conventions tacites entre les époux ou partenaires visant à neutraliser les créances sur acquisitions immobilières. Elle considère donc comme valable l'engagement librement pris par un époux et accepté par l'autre en dehors du contrat de mariage pour déterminer la contribution aux charges du ménage.
Quid alors en cas de sur-contribution aux charges du mariage ? Est-il possible de faire valoir une créance ? Les articles 214 et 515-4 du Code civil posent le principe de la contribution à proportion des facultés respectives des époux et des partenaires. L'époux ou le partenaire ne peut donc pas automatiquement se prévaloir d'une créance. En effet, il est possible de considérer que s'il a contribué plus, c'est qu'il disposait de ressources supérieures et que la règle de proportionnalité est donc respectée.
Il est important de souligner que l'appréciation de cette proportionnalité ne peut s'en tenir à l'examen de la seule opération d'acquisition immobilière. Il est essentiel de prendre en considération l'ensemble des dépenses de la vie courante du couple (voir, Cass. 1re civ., 5 févr. 2025, nº 22-12.829, D : la Cour de cassation censure la décision de la cour d'appel qui avait considéré que l'époux était titulaire d'une créance contre son épouse car il avait contribué plus que ses facultés - qu'elle avait estimées à un tiers -, aux motifs que l'appréciation aurait dû être faite au niveau global et non seulement au niveau de l'acquisition immobilière).
Enfin, revenons sur une troisième question soulevée par les intervenantes. La créance alléguée peut-elle être prouvée ? L'article 815-13 du Code civil prévoit qu'il doit être tenu compte des dépenses nécessaires qu'un indivisaire a faites de ses deniers personnels. Il suffit alors de démontrer que l'indivisaire a pris seul en charge les remboursements. Les exigences probatoires sont néanmoins importantes et doivent être anticipées. Il convient donc, avant toute chose, de conseiller à l'époux, au partenaire ou au concubin qui avance les fonds à l'autre et qui a l'intention d'en être un jour remboursé de rédiger un écrit en ce sens, conformément aux exigences des articles 1359 et 1376 du Code civil.
Focus sur une profession
Ces deux jours ont également été l'occasion de présenter des professions comme celle de family officer, qui assure la transmission durable des entreprises familiales. Yuna Marquis, a par son intervention voulu donner une idée plus claire de son quotidien en tant que family officer. Elle a ainsi expliqué que le family office est une structure spécialisée dans la gestion globale et sur mesure du patrimoine d'une ou plusieurs familles sur plusieurs générations. Grâce à des experts, il accompagne les familles dans la préservation, la croissance et la transmission de leur patrimoine en adoptant une approche personnalisée, indépendante et stratégique. Contrairement au gestionnaire de patrimoine ou au gérant de fortune (qui se concentrent sur la gestion d'actifs ou d'investissements immobiliers), le family officer a une compétence plus large. Il peut traiter des problématiques financières et immobilières, mais intervient également dans des domaines extra-patrimoniaux comme la planification successorale, la philanthropie, etc. (v. Family officer, plus qu'un métier, une mission, Dr. & patr. 2025, nº 356, p. 10).
Avec ses quinze conférences et tables rondes, cette deuxième édition de l'Université de la Famille s'impose comme un événement incontournable pour les notaires et autres professionnels du droit. Elle a permis une réflexion approfondie sur les grands enjeux du droit patrimonial, portée par l'expertise d'intervenants de renom tels que les Professeurs Nadège Jullian, Michel Grimaldi, Jean Aulagnier ou encore Jean Gasté.
Chambre des notaires de la Cour d'appel de Rennes, Pacifier, transmettre, partager, Université de la Famille, 2e éd., 20 et 21 mars 2025