I –
PROPRIÉTÉ
Force de la présomption de propriété du dessous. – L’article 552 du Code civil dispose que «
la propriété du sol emporte la propriété (…)
du dessous ». Tous les auteurs soulignent que cette présomption est limitée par la loi qui attribue parfois le tréfonds à un autre que le propriétaire du sol (mines, fouilles archéologiques, etc.) et par l’œuvre des volontés qui peuvent rompre le lien existant entre la propriété du sol et celle du sous-sol
(1). Dans ce dernier cas, la singularité de l’hypothèse où sol et sous-sol n’appartiennent pas au même maître justifie qu’il soit dérogé au principe selon lequel la propriété d’un bien se prouve par tous moyens et qu’il soit préféré un système probatoire rendant indiscutable la division de propriété. C’est la raison pour laquelle un fort courant jurisprudentiel retient que la présomption de
l’article 552 du Code civil n’est «
susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription acquisitive »
(2). Thierry Revet explique ainsi : «
L’unité matérielle de l’immeuble étant ce qu’elle est, la division de ce bien en autant d’assiettes de droits de propriété distincts (…)
suppose au moins l’établissement suffisamment certain du droit de propriété instauré sur le sous-sol au profit d’un autre que le maître du sol : d’où la nécessité d’un titre ou d’une prescription digne de ce nom »
(3). De fait, on retient que celui qui revendique la propriété d’un sous-sol appartenant à autrui doit assoir ses prétentions sur un titre ou sur l’usucapion. À défaut, le sous-sol appartient au maître du sol. Cette solution se trouve, par l’arrêt commenté du 13 mai 2015, subrepticement amendée (
001).
EXTRAITS
« Mais attendu que la présomption de propriété du dessous au profit des consorts X…, propriétaires du sol n’est susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre, quel qu’en soit le titulaire, ou de la prescription acquisitive ; que la cour d’appel, qui a confronté les divers titres produits aux débats, en a souverainement déduit que les consorts Y… Z… étaient propriétaires de la cave litigieuse ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi »
En l’espèce, les propriétaires d’une parcelle sous laquelle se trouvait une cave accessible uniquement par un fonds voisin avaient assigné leurs voisins afin que soit constatée leur occupation sans droit ni titre de ladite cave. Ils avaient été déboutés par la cour d’appel, qui avait même attribué la propriété de la cave litigieuse aux voisins en se fondant, non sur leurs propres titres de propriété, mais sur ceux des demandeurs. Ces derniers estimaient dans leur pourvoi qu’il y avait là une violation de
l’article 552 du Code civil dès lors que, selon eux, celui qui se prétend propriétaire du dessous doit établir non seulement que celui-ci n’appartient pas au propriétaire du sol, mais qu’il en est lui-même propriétaire, soit pour l’avoir prescrit, soit pour en avoir acquis la propriété en vertu d’un titre translatif. La question posée était donc de savoir si, pour anéantir la présomption de
l’article 552 du Code civil, les juges devaient seulement se fonder sur les titres du revendicant, ou s’ils pouvaient également prendre en considération ceux du propriétaire du sol. La Cour retient : « Mais
attendu que la présomption de propriété du dessous au profit des consorts X…, propriétaires du sol n’est susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre, quel qu’en soit le titulaire, ou de la prescription acquisitive ; que la cour d’appel, qui a confronté les divers titres produits aux débats, en a souverainement déduit que les consorts Y… Z… étaient propriétaires de la cave litigieuse »
(4). L’apport essentiel de l’arrêt tient à la précision que le renversement de la présomption légale peut résulter d’un titre de propriété «
quel qu’en soit le titulaire », y compris donc les titres du propriétaire du sol.
Sans être un revirement de jurisprudence, la solution affine le droit préexistant. Comme auparavant, la preuve de la propriété du sous-sol par une autre personne que le propriétaire du sol reste enfermée dans un strict carcan, puisqu’elle ne peut reposer que sur des titres ou une prescription acquisitive. C’est donc dire que les indices sur lesquels repose parfois la propriété (occupation, cadastre, paiement de l’impôt, etc.) restent, en la matière, irrecevables. Mais, désormais, les juges n’auront plus à exiger que celui qui se prétend propriétaire du sous-sol dispose d’un titre ; ils pourront lui accorder la propriété du tréfonds en constatant que les titres du propriétaire du sol ne lui attribuent pas le sous-sol. La solution conduit nécessairement à l’affaiblissement de la présomption, car elle impose au propriétaire du sol de prouver qu’il est également propriétaire du sous-sol. Pour mesurer l’ampleur du changement, il suffit de revenir sur l’arrêt précité rendu le 12 juillet 2000. La Cour de cassation avait censuré un arrêt d’appel ayant admis, en preuve de l’appartenance du sous-sol à d’autres qu’au propriétaire du sol, «
un faisceau de présomptions concordantes (résultant de)
la combinaison de leur titre, de la configuration des lieux (…)
et de la possession qu’ils avaient de l’ensemble du local, préalablement à l’édification ». C’est pourtant bien à une telle combinaison et à une telle comparaison des titres que s’étaient livrés les juges du fond dans l’arrêt commenté, sans que la Cour régulatrice n’y trouve cette fois rien à redire. On peut donc penser que, comme dans le contentieux de la propriété de surface, le juge pourra désormais comparer les titres de chaque plaideur, afin de dire quelle propriété est la probable, sans exiger que celui qui se prétend propriétaire du dessous ne prouve sa prétention par un titre ou une prescription. La force de la présomption s’estompe puisque celui qui est propriétaire du sol, mais qui ne peut démontrer par des titres sa propriété du sous-sol, verra peut-être la propriété du sous-sol attribuée à un tiers, alors même que ce tiers ne disposera pas d’un titre la lui octroyant. La présomption de
l’article 552 du Code civil en sort singulièrement diminuée.
Les effets du bornage. – L’actualité jurisprudentielle conduit à revenir sur les effets du bornage, même si la solution apportée est des plus classiques.
En l’espèce, dans le cadre d’une procédure de bornage, un expert avait proposé au tribunal une alternative pour délimiter les parcelles : soit tenir compte des limites résultant d’actes de vente conclus en 1926 et en 1947, soit tenir compte de celles indiquées dans un procès-verbal de bornage de 1927. Le tribunal ayant retenu les limites résultant du bornage, des propriétaires avaient assigné leurs voisins en revendication des portions de terrain. La cour d’appel avait fait droit à cette demande en estimant que, par la signature du procès-verbal de bornage qui définissait de nouvelles limites de propriété avec une plus grande précision, l’auteur commun des plaideurs avait accepté d’abandonner une portion de la propriété restant lui appartenir, de sorte que, ne pouvant céder plus de droits qu’il n’en avait, il n’avait pu vendre en 1947 une portion de terre abandonnée à l’occasion du bornage. L’arrêt est cassé : «
en statuant ainsi, alors qu’un procès-verbal de bornage ne constitue pas un acte translatif de propriété, la cour d’appel a violé l’article544 du Code civil »
(5).
La solution est fréquemment rappelée
(6). Le fait qu’elle le soit encore dans un arrêt publié au
Bulletinreflète sans doute la difficulté qu’ont parfois les juges du fond et les plaideurs à bien cerner les effets du bornage. Il est en effet délicat de comprendre pourquoi une action, dont l’objet est de fixer une ligne séparative entre deux fonds, n’a aucune incidence sur la propriété. La distinction entre l’action en bornage et l’action en revendication est pourtant essentielle : parce que les plans et les cadastres ne proposent qu’une représentation théorique et abstraite de l’immeuble, les propriétaires ont parfois besoin de savoir quelles sont, « physiquement », les limites de leurs biens. Tel est l’objet du bornage, qu’il soit amiable ou judiciaire : déterminer les frontières concrètes de l’immeuble. Le bornage n’est donc qu’une opération matérielle consistant, ainsi que son nom l’indique, à placer des bornes entre les fonds, afin de concrétiser l’emplacement exact de leur ligne divisoire. Mais il n’a aucune incidence sur la propriété des fonds.
Le tiers de l’article 555 du Code civil. – L’article 555 du Code civil recèle encore quelques mystères. Alors qu’on pouvait croire que les débats liés à l’interprétation du mot « tiers » étaient clos, après que la Cour avait précisé que les dispositions du texte n’étaient applicables ni au copropriétaire, ni à l’indivisaire, ni aux époux communs en biens ou séparés de biens
(7), voici que se pose une question, inédite selon nous, relative à l’éventuelle application de
l’article 555 du Code civil aux ayants droit du constructeur et du propriétaire du fonds dans lequel se sont incorporées les constructions.
En l’espèce, les propriétaires d’une parcelle acquise en 1976 entourée de terrains appartenant à un groupement forestier depuis 2006 s’étaient aperçus, après un bornage amiable réalisé en 2010, que des arbres avaient été plantés en 1968 sur leur parcelle par les auteurs du groupement forestier. Ayant procédé à l’enlèvement de quatre arbres, ils avaient assigné le groupement, sur le fondement de l’article 555, alinéa 2, en réparation du préjudice lié au coût de cet abattage et à la dégradation de leur terrain du fait du passage d’engins d’exploitation, pour un montant de 1 638 euros. Reconventionnellement, le groupement forestier avait alors demandé, sur le fondement de l’article 555, alinéa 3, le paiement d’une indemnité de 2 330 euros correspondant à la valeur des plantations subsistant sur la parcelle des demandeurs. Statuant en premier et dernier ressort, un tribunal d’instance fit droit aux deux demandes et ordonna la compensation entre les sommes réclamées de part et d’autre. Pour cela, il considéra que les auteurs du groupement forestier lui avaient transmis, en même temps que leurs parcelles, les droits et actions qui y étaient attachés et notamment la qualité de « tiers » prévue à
l’article 555 du Code civil. Il condamna donc les propriétaires à verser au groupement la somme de 691,40 euros. Sur le pourvoi des seuls propriétaires, l’arrêt est cassé au double visa des articles 551 et 555 : «
en statuant ainsi, alors que le droit à indemnisation du tiers évincé n’est pas attaché à la propriété d’un fonds mais à la personne qui a accompli l’acte de planter, le tribunal a violé les textes susvisés »
(8). La Cour statue sans renvoi et, déboutant le groupement de ses demandes reconventionnelles, le condamne à payer la somme de 1 638 euros aux demandeurs (
002). Le résultat auquel aboutit l’arrêt est de faire du groupement forestier le débiteur des sommes dues au titre de l’article 555, alinéa 2, tout en l’empêchant de pouvoir être créancier des sommes dues en application de l’article 555, alinéa 3. Cette distinction est liée, nous semble-t-il, au fait que le groupement forestier n’a pas formé de pourvoi contre la partie du jugement mettant à sa charge les indemnités dues au titre de l’article 555, alinéa 2. Saisie d’un seul pourvoi des propriétaires du fonds auquel s’étaient incorporées les plantations sur l’application de l’article 555, alinéa 3, la Cour ne s’est prononcée que sur cette question. Il convient donc, puisqu’il y avait en l’espèce cession du fonds auquel s’étaient incorporées les plantations et cession du fonds du constructeur, d’aborder tour à tour la situation de l’acquéreur du fonds où se sont incorporées les plantations et celle de l’acquéreur du fonds du constructeur.
EXTRAITS
« Vu les articles 551 et 555 du Code civil ; Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal d’instance de Limoges, 8 juillet 2013), rendu en dernier ressort, que les consorts X… sont propriétaires d’une parcelle entourée de terrains appartenant au groupement forestier Les Trois Étangs (le groupement forestier) ; qu’après un bornage amiable établi entre les parties le 31 août 2010, il est apparu que des arbres avaient été plantés par les auteurs du groupement forestier sur le fonds des consorts X… ; que ces derniers ont assigné le groupement forestier en réparation du préjudice causé par l’abattage de quatre arbres et le passage d’engins d’exploitation dégradant leur terrain ; que le groupement forestier a demandé reconventionnellement, sur le fondement de l’article 555 du Code civil, le paiement d’une indemnité correspondant à la valeur des plantations subsistant sur la parcelle des consorts X… ;
Attendu que pour accueillir ces demandes et ordonner la compensation, le jugement retient que les arbres plantés par les auteurs du groupement forestier au cours des années 1968-1969 ont été incorporés dès leur plantation à la parcelle acquise le 25 septembre 1976 par les consorts X… et qu’ultérieurement, la propriété forestière avoisinante a été cédée le 28 décembre 2006 au groupement forestier et ce, avec tous les droits et actions qui y sont attachés, et notamment la qualité de “tiers” prévue à l’article 555 du Code civil ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le droit à indemnisation du tiers évincé n’est pas attaché à la propriété d’un fonds mais à la personne qui a accompli l’acte de planter, le tribunal a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné les consorts X… à payer au groupement forestier Les Trois Étangs la somme de 691,40 euros, le jugement rendu entre les parties le 8 juillet 2013 par le tribunal d’instance de Limoges. Dit n’y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE la demande reconventionnelle du groupement forestier Les Trois Étangs ;
Condamne le groupement forestier Les Trois Étangs à payer aux consorts X… la somme de 1 638,60 euros »
L’acquéreur du fonds dans lequel se sont incorporées les plantations devient créancier des sommes dues en application de l’article 555, alinéa 2 (coût de la suppression des constructions et indemnisation éventuelle) et débiteur des sommes en application de l’article 555, alinéa 3 (indemnisation de valeur des constructions qu’il décide de conserver). La Cour de cassation a en effet déjà jugé que le constructeur devait intenter l’action en indemnisation contre le propriétaire actuel du sol et non contre le vendeur
(9). La solution pourrait être critiquée en relevant que le vendeur, qui s’est enrichi en vendant plus cher le terrain du fait des constructions et des plantations, devrait être tenu à indemnisation. Elle est pourtant justifiée si l’on considère que le fondement de l’indemnité n’est pas l’enrichissement sans cause, mais repose sur l’idée de revendication. Dans cette conception, le constructeur exerce une action en revendication des constructions qu’il a érigées. Puisque leur restitution en nature est impossible, celle-ci n’intervient qu’en valeur. Comme l’écrit W. Dross, «
la valeur n’est pas tant l’objet même de la revendication qu’un mode de libération pour le maître du principal : tenu de rendre l’accessoire en nature, le droit considère comme libératoire le seul paiement de sa valeur. En d’autres termes, la valeur n’est ici que l’interface assurant l’équivalence entre l’obligation mise à la charge du propriétaire du principal et le paiement qu’il accomplit pour s’en libérer »
(10). C’est donc bien la qualité de propriétaire du fonds sur lequel s’élèvent les plantations ou les constructions qui permet, selon l’option exercée, d’être créancier de l’indemnité de suppression ou débiteur de celle de maintien des ouvrages. Ce schéma était cependant compliqué en l’espèce, car le constructeur, qui était aussi le propriétaire du fonds voisin, avait cédé son fonds à un acquéreur.
L’acquéreur du fonds ayant appartenu au constructeur ne bénéficie pas du même « transfert ». En jugeant que «
le droit à indemnisation du tiers évincé n’est pas attaché à la propriété d’un fonds mais à la personne qui a accompli l’acte de planter », la Cour rattache le droit à indemnisation à la personne du constructeur et le déconnecte de la propriété du fonds. C’est donc dire que la qualité de créancier de l’indemnité due en cas d’accession ne peut être rattachée à un quelconque droit de propriété ; l’hésitation peut seulement exister entre le possesseur des ouvrages (ici le groupement forestier) et celui qui les a réalisés (ici son vendeur). La Cour opte pour la seconde solution, retenant que l’action en indemnisation ne s’était pas transmise en même temps que la propriété du fonds. La solution peut être différemment appréciée, selon le fondement que l’on retient pour l’action en indemnisation. Si l’on estime que l’indemnisation est due au titre de l’enrichissement sans cause, cette solution peut être critiquée en considérant que l’ayant droit de celui qui a planté les arbres est bien le tiers évincé : c’est lui qui est dépossédé, et non son vendeur. Mais si l’on estime que l’indemnisation repose sur une revendication en valeur, la solution est fondée tant que l’ayant droit de celui qui a planté les arbres ne démontre pas être devenu propriétaire des constructions ou s’être fait céder le bénéfice de l’action en indemnisation. La simple vente de la parcelle de terre ne l’institue pas propriétaire des plantations réalisées sur le fonds voisin ni donc titulaire de l’action en indemnisation de l’article 555, alinéa 3. La solution est donc, en droit, parfaitement fondée. On regrettera seulement que des considérations factuelles, liées aux choix procéduraux des plaideurs, aient empêché la Cour de cassation de retenir des solutions cohérentes pour l’application des alinéas 2
et 3 de l’article 555 du Code civil.
Acte conservatoire et indivision. – Même si la solution qu’il porte n’est pas nouvelle, l’arrêt commenté doit être signalé en raison du moyen relevé d’office qui le fonde. En l’espèce, une commune avait concédé à quatre personnes l’exploitation de marchés publics communaux pour une durée de trente ans. Le contrat n’ayant pas été renouvelé à son terme, deux indivisaires poursuivaient la commune en paiement de la somme prévue par la clause d’indemnisation qui avait été stipulée. Ils avaient précisé, dans leur assignation, agir tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de représentant des deux autres indivisaires. La cour d’appel, après avoir étudié les différentes procurations ou mandats qui avaient été conclus, avait débouté les demandeurs en remarquant que rien ne démontrait qu’ils étaient seuls titulaires de l’intégralité des droits indivis. Le pourvoi portait essentiellement sur l’étendue du mandat que les deux demandeurs auraient reçu. En application de
l’article 1015 du Code de procédure civile, la Cour de cassation relève un moyen d’office. Elle juge : «
en statuant ainsi, alors que l’action en paiement d’une indemnité de résiliation, consécutive à la décision d’une commune de ne pas reconduire un contrat de concession, entre dans la catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé (l’article 815-2 du Code civil) »
(11). La chose ne semble guère discutable : une action en indemnisation tend à conserver la chose indivise et ne compromet en rien le droit des autres indivisaires. La chose avait déjà été retenue pour l’action tendant à demander le relèvement de l’indemnité d’expropriation pour cause d’utilité publique
(12). Toutefois, l’incise «
consécutive à la décision d’une commune de ne pas reconduire un contrat de concession » intrigue : elle pourrait signifier que d’autres actions en paiement d’une indemnité de résiliation n’entrent pas nécessairement dans la catégorie des actes conservatoires. Affaire à suivre…
II –
DROITS RÉELS
Inapplication du droit des servitudes aux chemins d’exploitation. – Les chemins d’exploitation bénéficient d’un régime juridique spécial, dessiné par les
articles L. 162-1 et suivants du Code rural(13). Ce régime étant embryonnaire, les riverains ont parfois tendance à vouloir lui transposer, par intérêt ou ignorance, les règles relatives aux servitudes, et notamment aux servitudes de passage
(14). Cette tentation est sévèrement condamnée par la Cour de cassation.
En l’espèce, un propriétaire dont la parcelle était desservie par un chemin d’exploitation empruntant la limite de parcelles voisines avait assigné leurs propriétaires afin d’être autorisé à faire goudronner la partie du chemin passant par leur fonds ou, subsidiairement, à la faire aménager par la pose d’un empierrement. La lecture des moyens annexés à l’arrêt semble indiquer que le demandeur craignait la disparition du chemin qui était « fondu » dans les jardins herbeux et arborés des propriétaires riverains. Il espérait sans doute matérialiser le chemin par la réalisation des aménagements demandés, qu’il était prêt à réaliser à ses frais. Sa demande s’inspirait de
l’article 697 du Code civil, qui, propre aux servitudes, confère le droit à celui auquel la servitude est due de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user. Les juges du fond avaient estimé qu’il ne pouvait être fait d’analogie entre le régime d’une servitude de passage et celui des chemins d’exploitation. Dans son pourvoi, le demandeur soulignait que les aménagements demandés étaient justifiés, d’une part, par la préservation de la viabilité du terrain et, d’autre part, par la menace de sa disparition. La Cour de cassation le rejette : «
Mais attendu qu’ayant constaté que les parties s’accordaient à reconnaître que la parcelle n° 855 était desservie par un chemin d’exploitation d’une largeur d’un mètre soixante empruntant notamment la limite nord des parcelles n° 2466 et 268, la cour d’appel, devant laquelle il n’était pas invoqué un défaut de viabilité de ce chemin, a retenu à bon droit que le régime des servitudes n’était pas applicable aux chemins d’exploitation et que M. X ne pouvait imposer aux riverains un nouvel aménagement »
(15).
L’apport essentiel de l’arrêt tient à la délimitation très stricte qu’il opère entre le droit des servitudes et celui des chemins d’exploitation. Ce refus d’extension du droit des servitudes aux chemins d’exploitation n’est pas nouveau, la Cour ayant par exemple déjà jugé que «
l’article 701 du Code civil, relatif aux servitudes, n’est pas applicable aux chemins d’exploitation »
(16). De telles solutions sont parfaitement fondées. D’abord, si les textes du Code rural instituent des règles particulières pour les chemins d’exploitation, ce n’est pas pour que leur soient appliquées les dispositions relatives aux servitudes. Ce n’est rien d’autre que l’application de l’adage «
Specialia generalibus derogant ». D’autre part, les droits des riverains d’un chemin d’exploitation ne sauraient être comparés aux droits des propriétaires des fonds servant et dominant dans la mesure où est opérée une dissociation entre la propriété du chemin (censée appartenir, en l’absence de titre, à chacun des riverains au droit de sa parcelle) et l’usage qui en est fait (commun à tous les riverains)
(17). De fait, c’est à juste titre que la Cour de cassation a estimé que les règles relatives à l’entretien des chemins d’exploitation
(C. rur., art. L. 162-2) ou à leur disparition
(C. rur., art. L. 162-3) n’avaient pas à être « polluées » par le droit des servitudes. Le demandeur ne pouvait donc pas imposer aux riverains du chemin la réalisation d’un goudronnage ou d’un empierrement.
Mais cette solution doit immédiatement être nuancée par le fait que la Cour de cassation a, en l’espèce, relevé qu’il n’existait aucun débat sur l’existence du chemin d’exploitation («
ayant constaté que les parties s’accordaient à reconnaître que la parcelle n° 855 était desservie par un chemin d’exploitation d’une largeur d’un mètre soixante ») et que la question de la viabilité n’avait pas été invoquée devant les juges du fond. C’est donc dire,
a contrario, et avec toute la prudence que ce mode de raisonnement requiert, que la solution n’aurait peut-être pas été la même si les travaux requis se justifiaient par la menace que les propriétaires riverains faisaient peser sur l’existence même du chemin ou par la nécessaire viabilisation de ce dernier. Si tel avait été le cas, le demandeur aurait pu invoquer le bénéfice des
articles L. 162-2 (« Tous les propriétaires dont les chemins et L. 162-3 (« Les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être supprimés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir ») du Code rural pour assurer la pérennité de l’existence et de l’utilisation du chemin. Reste qu’il existait à ces fins d’autres voies que le goudronnage ou l’empierrement.