Donation (partage) de quotes-parts indivises : considérations pratiques
Par Gilles Bonnet et Delphine Vincent, Notaires à Paris, Président et Rapporteur de la 3e commission du 111e Congrès des notaires de France
Point n’est besoin de rappeler les avantages de la donation-partage consentie au profit de tous les héritiers présomptifs : le gel des valeurs au jour de l’acte comme l’absence de rapport des biens donnés aplanissent toutes les difficultés liquidatives au jour du décès du donateur. Ces atouts ont conduit parfois à prodiguer généreusement cette qualification à des actes dont le seul mérite était de constater une transmission à titre gratuit, mais en aucun cas une répartition. La jurisprudence récente de la Cour de cassation mettant un terme à ces errements (I), il convient d’en apprécier la portée pratique (II).
I – La donation « partage » de quotes-parts indivises : conséquences
Pas de donation-partage sans partage. – Par deux arrêts récents, la Cour de cassation a jugé qu’en l’absence de répartition matérielle des biens transmis, il ne pouvait y avoir partage d’ascendant, en dépit de la qualification retenue par les parties[1].
L’existence d’allotissement indivis entraînait la requalification en donation simple. Le premier arrêt, eu égard à la formulation restrictive retenue, avait néanmoins permis d’espérer que cette requalification ne fût que partielle, à l’égard des seules attributions indivises, puisqu’en l’espèce, un des donataires avait vu son lot composé d’un bien divis. Dans la seconde décision, où l’un des enfants se trouvait également dans cette situation, la Cour a disqualifié dans sa globalité l’acte, sans égard pour l’existence de cette attribution divise.
Et à dire vrai, cette solution est sans doute préférable en raison de l’indivisibilité de l’acte, car les conséquences liquidatives qui consisteraient à distinguer au sein d’une même transmission ce qui relève du partage d’ascendant et ce qui relève des donations simples conduirait de manière évidente à déjouer toutes les prévisions du disposant et à faire voler en éclats[2] l’égalité qu’il recherchait. On a pu s’interroger sur le point de savoir si, néanmoins, il aurait été possible de mêler, pour chaque héritier, des attributions divises et indivises. La prudence commande de ne rien en faire : ainsi que cela été justement remarqué, un partage d’ascendant a pour objet de procéder à une répartition, pas de créer une indivision à partir d’un bien divis appartenant au donateur[3].
Les décisions en question reviennent purement et simplement au partage d’ascendant tel que le définit le Code civil : une acte par lequel le donateur fait la « distribution et le partage de ses biens », et à ce titre elles doivent être approuvées[4]. Sans doute, en matière de partage d’ascendant transgénérationnel, est-il permis que l’attribution faite aux petits-enfants qui prennent la place de leur père soit conjointe. Mais ce texte ne peut en aucun cas être lu comme un viatique permettant des attributions indivises[5]. D’une part, il est spécifique au partage d’ascendant transgénérationnel, et sa finalité est assurément de faciliter la transmission à la troisième génération, par hypothèse très jeune, et qu’une exigence de lots divis eût gênée, dans l’impossibilité matérielle pour elle de régler des soultes par exemple. D’autre part, cette attribution issue du renoncement de leur auteur ne vaut, dans la succession de celui-ci, donation-partage que lorsque les conditions en sont réunies ; on ne peut en tirer dès lors quelconque valeur d’enseignement dans le cas qui nous occupe. Enfin, cette indivision n’est admise qu’à l’intérieur d’une souche, et non pas entre les souches elles-mêmes.
Conséquences pratiques des attributions indivises. – Ainsi faut-il admettre qu’un partage d’ascendant consenti à des héritiers doit constater des attributions divises entre les copartagés, soit à défaut de quoi, sa requalification en simple donation entraîne les conséquences suivantes : obligation au rapport des lots attribués, perte du gel des valeurs au jour de l’acte et revalorisation au jour du décès en fonction des dispositions prévues aux articles 922 et 860 du Code civil, soumission à l’action en complément de part du partage pour lésion de plus du quart du partage qui suivrait l’acte de donation[6]. À quoi s’ajoutent deux interrogations : quel sera le sort des partages d’ascendant ainsi effectués mais qui, au surplus, constataient la réincorporation d’une ou plusieurs donations antérieures, opérations dont on sait qu’elles ne peuvent être faites qu’à l’occasion d’un partage d’ascendant ? La question pourrait aussi valoir pour de telles donations intervenues entre descendants de degrés différents à partir d’un unique bien indivis. Sans doute faudra-t-il considérer dans le premier cas que la réincorporation tombe pour défaut de cause et que la donation concernée prendra rang à sa date initiale en en subissant toutes les conséquences liquidatives.
II – La donation de quotes-parts indivises : remèdes
Cerner les difficultés. – Il y a des cas, probablement majoritaires, où la jurisprudence de la Cour de cassation n’aura pas de conséquences négatives. Ce sont ceux où la donation constatait la transmission d’un ou plusieurs biens de manière indivise entre tous les héritiers. Si ce bien a été conservé par eux jusqu’au décès du donateur, la seule incidence de cette jurisprudence sera de porter ce bien pour sa valeur actuelle dans la masse de calcul, pour le plus grand avantage d’éventuels gratifiés sur le disponible, si celui-ci a enregistré dans l’intervalle une plus-value. Quant à la question du rapport, elle s’évanouit d’elle-même, chacun rapportant exactement les mêmes valeurs. La réincorporation du pseudo-partage d’ascendant dans une vraie donation de ce type qui constatera de véritables attributions divises peut également racheter le péché originel[7].
Constitution d’une société civile. – Mais on peut aussi songer à éviter dès l’origine l’indivision. Si la constatation d’une attribution privative à l’un des donataires à charge pour lui de verser une soulte aux autres n’est financièrement pas possible, le bien pourrait être, préalablement à la donation, apporté à une société civile. Les parts rémunérant la contrepartie de cet apport sont ensuite aisément réparties entre tous les donataires. L’inconvénient de la méthode peut être de générer une plus-value taxable au moment de l’apport. Dans ce cas, le bien peut être donné de manière indivise, puis ensuite apporté par chacun des indivisaires à une société civile. L’apport étant effectué pour une valeur identique à celle donnée, aucune plus-value ne sera due. L’apport de bien indivis étant rétribué par des parts divises, il est mis fin à l’indivision sans d’ailleurs qu’il soit perçu un quelconque droit de partage. S’agissant de dispositions dépendantes, il y a lieu de taxer celle qui est la plus importante dans l’esprit des parties. Or, l’affectio societatis prévaut sur la volonté de mettre fin à l’indivision. Cet apport en société pourra être fait sous l’autorité du donateur, à l’effet de respecter les dispositions de l’article 1076 du Code civil et d’obtenir ainsi la qualification de partage d’ascendant dès l’acceptation de la donation[8].
Partage du prix de vente ou quasi-usufruit. – Si la vente du bien a eu lieu, la question du rapport deviendra alors prégnante, dans la mesure où immanquablement chacun des donataires se livrera à des investissements différents dont les résultats ne seront connus qu’au jour du décès du disposant. Du vivant du donateur, il sera encore temps de procéder au partage du prix sous son autorité afin de réunir l’ensemble de l’opération sous la qualification de donation-partage et d’en tirer toutes les conséquences liquidatives qu’il sied[9]. L’inconvénient de la méthode est bien évidemment de soumettre cette répartition tardive au droit de partage de 2,5 %, droit qui n’eût pas été exigible si le partage avait été constaté dans un seul et même acte, par application de la théorie des dispositions dépendantes. Une autre solution pourrait être envisagée, dans le cas où le donateur s’est réservé un usufruit sur le bien. Il suffirait alors de prévoir dans une convention, régularisée simultanément à la vente du bien démembré, que l’usufruitier bénéficierait d’un quasi-usufruit sur le prix de vente qu’il pourrait ainsi prélever pour son seul usage, les nus-propriétaires restant chacun titulaires d’une créance équivalente au minimum à leurs droits dans ce prix. Ici encore, la question du rapport ne se poserait pas, aucun des nus-propriétaires ne pouvant récupérer les fonds et les employer avant le décès de l’usufruitier.
[1] Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21.892, Defrénois 2013, p. 463, note F. Sauvage, RTD civ. 2013, p. 424, obs. M. Grimaldi ; Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25.681, Defrénois 2013, p. 1259, obs. M. Grimaldi.
[2] M. Grimaldi, obs. précitées sous Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25.681, p. 1262.
[3] M. Grimaldi, ibid.
[4] M. Nicod, La fonction de partage de la libéralité-partage, Defrénois 2014, p. 348.
[5] C. civ., art. 1078-4, al. 2 : « Les descendants d’un degré subséquent peuvent, dans le partage anticipé, être allotis séparément ou conjointement entre eux ».
[6] M. Grimaldi, obs. précitées sous Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25.681, p. 1261.
[7] En ce sens, M. Grimaldi, Que faire au lendemain des arrêts de mars et novembre 2013 ?, Defrénois 2014, p. 355, n° 5.
[8] Rép. min. à QE n° 12895, Chauvet, JOAN Q. 27 janv. 1962 p. 159 ; Rép. min. à QE n° 25867, Thorailler, JOAN Q. 14 oct. 1972, p. 4175.
[9] M. Grimaldi, Que faire au lendemain des arrêts de mars et novembre 2013 ?, précité.
Par Gilles Bonnet et Delphine Vincent, Notaires à Paris, Président et Rapporteur de la 3e commission du 111e Congrès des notaires de France
Publié in Dr. & Patr. 2015, n° 247, p. 20 (mai 2015)