« Il est nécessaire que les avocats adaptent de plus en plus leur offre à la demande »
Le grenoblois Pascal Eydoux a été élu président du Conseil national des barreaux (CNB), le 17 janvier, pour la mandature 2015-2017. L’occasion d’effectuer un tour d’horizon de l’actualité de la profession mais aussi des projets législatifs et de sa vision de sa présidence.
Droit & patrimoine : Quelle tonalité souhaitez-vous donner à votre présidence ?
Pascal Eydoux : Je souhaite que ma présidence soit énergique et prospective. Nous devons ouvrir de nouveaux domaines de compétences et réfléchir à de nouveaux modes d’exercice des compétences déjà acquises, notamment par le développement du numérique. Par exemple, les communications avec les juridictions sont électroniques et si nous les étendons davantage, nous pouvons envisager que l’exercice de la profession se déconnecte des localisations des juridictions. L’avenir devrait nous amener à développer des plates-formes de conseils et de consultations électroniques et pas seulement à offrir ces prestations en cabinet. Ce mouvement existe déjà et il va s’amplifier. Je crois en effet que tous les confrères sont convaincus que ces prestations dématérialisées sont nécessaires même s’ils ont encore des craintes.
D&P : Comment envisagez-vous la place de vos vice-présidents de droit, à savoir le président de la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier de Paris ?
> Mes vice-présidents de droit ont une place tout à fait légitime. Ils apportent une vision de leurs institutions sur les sujets abordés par le CNB. Pour autant, leur présence les conduit à une nécessaire solidarité avec le CNB. Il n’existe pas de concurrence entre le CNB, la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris, tout le monde est complémentaire.
« Il est indispensable d’élaborer un nouveau mode d’exercice de la profession d’avocat »
D&P : Votre bureau compte cinq hommes et trois femmes. Les avocates sont-elles moins nombreuses à vouloir exercer ce type de mission ?
> Je ne crois pas. Notre profession, comme tant d’autres, a des progrès à faire pour la parité mais je peux espérer que dans les prochaines mandatures, cette parité existe.
D&P : Quelles sont vos priorités ?
> Tout d’abord, en lien avec le projet de loi croissance et activité, nous devons nous pencher sur la localisation des avocats par rapport à la localisation des juridictions. En effet, nous devons faire de la pédagogie et travailler sur la remise en cause de la territorialité de la postulation.
Ensuite, il est nécessaire que les avocats adaptent de plus en plus leur offre à la demande et en ce sens, ils doivent devancer la démarche de leurs clients. Cela passe par les plates-formes que j’évoquais précédemment mais aussi par l’extension du champ d’activité de l’avocat. En outre, nous devons multiplier nos efforts pour que le grand public et les entreprises ne nous considèrent plus uniquement comme l’homme du judiciaire. Nous comptons ainsi sur le développement des modes alternatifs de règlement des litiges qui vont permettre une contractualisation du contentieux avec un juge qui devient une autorité d’homologation.
Enfin, l’avocat en entreprise est un sujet qui fâche mais que nous ne pouvons pas laisser sur le bord du chemin. Il est indispensable d’élaborer un nouveau mode d’exercice de la profession d’avocat qui soit compatible avec l’exercice exclusif dans une entreprise et l’adhésion à un barreau. Ceci implique que la solution consistant à permettre à un avocat de devenir salarié d’une entreprise est complexe car se pose alors un problème d’indépendance et de même, la solution consistant à créer une deuxième profession en octroyant le secret professionnel aux juristes d’entreprises n’est pas concevable car cette nouvelle profession viendrait en concurrence des avocats.
« Je ne suis pas sûr qu’il y ait un vrai clivage Paris-province »
D&P : Quel est le pouls de la profession, en particulier en province, vis-à-vis du projet de loi Activité ?
> Nous savons qu’une grande part de la profession en province n’y est pas favorable. Je ne suis pas sûr en revanche qu’il y ait un vrai clivage Paris-province et que les positions varient selon le mode d’exercice de l’avocat. Toutefois, nous savons depuis des années que nous devons trouver des solutions aux questions de la territorialité de la postulation, de l’interprofessionnalité et de l’avocat en entreprise. Ce projet de loi a été présenté avec beaucoup de précipitation et nous impose de travailler avec des services, ceux du ministère de l’Économie, avec lesquels nous n’avons pas l’habitude de travailler. Nous n’avons pas une même idée de la régulation des rapports sociaux et économiques quand on est juriste ou économiste.
D&P : Quelle est votre lecture de l’étude d’impact réalisée par Ernst & Young à la demande du CNB sur les conséquences « concrètes » du projet de loi Activité ?
> Cette étude révèle qu’une application brutale la réforme de la territorialité de la postulation est de nature à coûter, en terme de chiffres d’affaires, à la profession d’où la nécessité d’adaptation et de délais.
D&P : Comment sont vos relations avec les autres professions du droit et les experts-comptables, notamment au regard des dispositions sur l’interprofessionnalité prévues dans le projet de loi Activité ?
> La position des avocats est claire : nous sommes d’accord pour une évolution vers des structures capitalistiques entre professionnels du droit mais nous ne voulons pas de structures dans lesquelles les experts-comptables prendraient des parts. En effet, nous ne pouvons pas mélanger les activités de comptabilité et de conseil juridique. Ceci étant dit, il n’y a aucune raison pour que les avocats soient les adversaires des experts-comptables car ils travaillent ensemble quotidiennement. Nous devons simplement veiller à ce que chacun conserve ses prérogatives. Je veux bien poursuivre la discussion sur l’exercice du droit à titre accessoire par les experts-comptables mais dans ce cas, il faudra ouvrir l’exercice comptable à titre accessoire pour les professionnels du droit.
« Le secret professionnel n’est pas un privilège de l’avocat »
D&P : Avez-vous des projets communs avec les autres professions du droit ?
> Oui, l’interprofessionnalité de capitaux, c’est bien, mais nous devons aussi travailler sur l’interprofessionnalité d’exercice car nous vivons dans un monde où les monopoles ne sont plus une fin en soi.
D&P : Où en sont les travaux visant à renforcer le secret professionnel des avocats ?
> Nous avons fait des propositions à la Chancellerie et nous espérons qu’il y aura un texte de loi cette année. Le secret professionnel en général et le secret des communications sont indispensables.
D&P : Des clients ont-ils déjà émis des craintes sur la confidentialité des échanges qu’ils ont avec leur avocat ?
> Il est légitime que les citoyens se préoccupent de cette question. Le secret professionnel n’est pas un privilège de l’avocat mais une obligation qui est pénalement sanctionnée. Si les clients se rendent compte qu’il n’y a plus de confidentialité des échanges avec leur avocat, c’est un facteur de déstabilisation de la société.
D&P : Où en sont les travaux sur l’aide juridictionnelle ?
> Nous avons reçu communication du rapport Le Bouillonnec et quatre groupes de travail, auxquels participe le CNB, ont été mis en place par la Chancellerie. Ils doivent rendre leurs travaux fin mars.
Propos recueillis par Clémentine Delzanno
Composition du bureau du Conseil national des barreaux 2015-2017
- Vice-présidents élus : Jean-Bernard Thomas et Roland Rodriguez
- Trésorier : François-Marie Cros
- Secrétaire : Marie-Aimée Peyron
- Membres non affectés : Jérôme Gavaudan, William Feugère, Nathalie Roret et Régine Barthélémy
Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 244, p. 10 (Févr. 2015)