Emmanuel Macron face aux professions réglementées
Le 10 décembre dernier aura été une journée marathon pour Emmanuel Macron, centrée sur le texte qu’il porte et qui cristallise les tensions des divers secteurs concernés. Après avoir présenté en conseil des ministres le projet de loi pour la croissance et l’activité, l’avoir défendu lors d’une conférence de presse solennelle à l’Élysée, le jeune ministre de l’Économie est allé l’expliquer le soir même à des professionnels du droit revenus fumants d’une manifestation historique contre son texte (v. notre actualité "Une manif' pour toutes"). Organisé par la Chambre nationale des huissiers de justice à la veille de ses 30es Journées de Paris dans une salle du Westin, le débat mettait essentiellement en présence le ministre avec le président des huissiers, Patrick Sannino, celui des experts-comptables, Joseph Zorgniotti, le professeur Laurent Aynès, le député Le Bouillonnec et le sénateur Bizet. Très calme bien que chahuté dès son arrivée, en particulier par des huissiers frustrés de ne pouvoir entrer dans la salle, Emmanuel Macron a maintenu le cap de sa réforme tout en faisant des ouvertures. À Patrick Sannino l’interpellant sur la compétence étendue à la cour d’appel, « c’est la mort des petites études ! », et sur le corridor tarifaire « peut-être applicable à d’autres professions mais pas à la nôtre : on ne peut pas faire un prix en fonction de la tête du justiciable », le ministre a garanti qu’il serait possible de négocier sur « des éléments de calendrier » pour voir ce qui est faisable et à quel rythme. « C’est dans cet esprit que l’on travaillera à l’Assemblée nationale », a assuré Emmanuel Macron. Concernant la cartographie des installations, il a précisé que le collège de l’Autorité de la concurrence, qui deviendrait compétent en la matière, serait composé de représentants des professions et que la régulation reviendrait au garde des Sceaux. Au sujet du corridor tarifaire, il a admis qu’il fallait faire « un distinguo entre notaires et huissiers » : « vous avez une clientèle plus contrainte, il faudra en tenir compte lors des travaux ». Emmanuel Macron a aussi invité Patrick Sannino à relever le pari de « passer un deal avec la Poste sur les petites créances », en contrepartie duquel il s’est déclaré prêt à réexaminer les actes touchés par la loi Pinel en matière de signification.
Dans son rôle de pédagogue, le ministre a cité le bon élève de la classe : les experts-comptables, « une profession qui a fait sa propre réforme (...) et ce n’est pas une profession sans risques », suscitant quelques remous dans la salle. Car la défiance de cette soirée s’est aussi portée sur les hommes du chiffre. À Joseph Zorgniotti invitant en particulier les huissiers à « être audacieux » sur l’interprofessionnalité, la salle a répondu par des sifflets. « Vous avez peur des structures d’exercice car vous avez peur de vous faire manger », a-t-il répliqué. « Sécurisons ensemble les contrats des entreprises, sécurisons ensemble le compte-clients et son recouvrement ». L’occasion d’apprendre que huissiers et experts-comptables travaillent à un projet de portail commun de recouvrement de créances. Davantage applaudi à la sortie, Emmanuel Macron a promis à l’assemblée de revenir parler de sa loi dans un an.
Par Laure Toury, rédactrice en chef
Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 243, p. 14 (janv. 2015)