L'expert fiscal : le panorama de la fiscalité patrimoniale en mars 2015
Par Guillaume Hublot, Docteur en droit, Diplôme supérieur de notariat, associé KMH gestion privée, Annabelle Pando et Frédérique Perrotin, Journalistes
Focus
Dotation minimale exigée pour les fonds de dotation
Conformément à la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (JO 1er août), un décret est venu préciser le montant de dotation minimale exigé en cas de création d’un fonds de dotation, le fixant à 15 000 euros (D. n° 2015-49, 22 janv. 2015, JO 24 janv.). Cette nouvelle obligation est applicable aux fonds de dotation créés à compter du 25 janvier 2015. Le décret n’a pas d’effet rétroactif et les fonds de dotation créés avant cette date ne sont donc pas concernés. Le chiffre de 15 000 euros, très inférieur au plafond de 30 000 euros fixé par le texte de loi, a été retenu afin de ne pas décourager les initiatives de création de fonds par un montant de dotation trop élevé tout en respectant l’objectif initial du législateur : lutter contre les fonds « coquilles vides ». Ce minimum est exigé à la création du fonds. Durant la vie du fonds, la dotation initiale pourra être consommée en totalité pour la réalisation de la mission d’intérêt général, à la condition que les statuts du fonds précisent que la dotation est consomptible. Des sanctions sont prévues en cas de manquement à cette obligation qui correspond à un dysfonctionnement grave du fonds, à savoir la suspension du fonds de dotation, voire sa dissolution judiciaire.
Analyse : Depuis sa création (L. n° 2008-776, 4 août 2008, JO 5 août, de modernisation de l’économie), ce nouvel outil mécénal remporte un vif succès. Au 31 janvier 2015, ce sont plus de 2 000 fonds de dotation qui ont déjà été créés au 31 janvier 2015. En fixant un minimum de dotation, le législateur a entendu lutter contre les fonds sans activité ne remplissant pas leurs obligations légales, de communication des comptes annuels ou du rapport d’activité, notamment. Dans les faits, cette mesure devrait réduire très significativement le nombre de créations de fonds puisque, selon les chiffres de la préfecture de Paris, qui concentre un tiers des fonds de dotation français, près de 70 % d’entre eux affichent une dotation nulle ou inférieure à 10 000 euros.
Mesures anti-paradis fiscaux : le « oui, mais… » du Conseil constitutionnel
Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionalité relative aux dispositions de durcissement du régime d’imposition des plus-values de cession de titres de sociétés implantées dans un État ou territoire non coopératif (ETNC) à l’exclusion du régime des sociétés mères de la quote-part de revenus provenant de l’activité d’un établissement stable situé dans un ETNC, le Conseil constitutionnel a conclu à la constitutionalité de ces dispositions (Cons. const., 20 janv. 2015, n° 2014-437 QPC). En adoptant ces textes, le législateur a entendu lutter contre les paradis fiscaux et contrer la fraude fiscale (L. fin. rect. n° 2009-1674, 30 déc. 2009, JO 31 déc.). Ce but constitue un objectif de valeur constitutionnelle. La différence de traitement qui en résulte ne méconnaît donc pas le principe d’égalité devant la loi. En second lieu, conclut le Conseil constitutionnel, le niveau d’imposition susceptible de résulter, au titre de la loi fiscale française, de l’application des dispositions contestées n’est pas tel qu’il en résulterait une imposition confiscatoire. Le Conseil constitutionnel assortit sa réponse d’une réserve d’importance. En effet, ces règles ne sauraient faire obstacle à ce que le contribuable puisse être admis à apporter la preuve de ce que la prise de participation dans une société établie dans tel État ou tel territoire correspond à une opération réelle qui n’a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation de bénéfices dans un tel État ou territoire. À défaut, elles constitueraient une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques.
Analyse : Cette réserve posée par le Conseil constitutionnel met à mal les dispositifs « anti-abus » du Code général des impôts qui prévoient une présomption irréfragable au profit de l’administration fiscale. Le législateur devrait revoir sa copie et introduire des clauses de sauvegarde. Cette décision a donc une portée très significative, ne serait-ce qu’au regard de la multiplication des mesures « anti-abus » que le législateur met en place.
Les infos du mois
- Le Conseil des prélèvements obligatoires préconise une voie alternative à la fusion IR-CSG
Chargé d’étudier la faisabilité technique et juridique d’une fusion des assiettes de l’impôt sur le revenu (IR) et de la CSG, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) préconise une voie médiane (CPO, Impôt sur le revenu, CSG : quelles réformes ?, févr. 2015). Pour le CPO, au regard des différences actuelles d’assiette et de barème entre l’IR et la CSG, la fusion entraînerait inéluctablement des transferts de charge importants entre contribuables. Ce projet soulève en outre des difficultés techniques comme la nécessité de généraliser la retenue à la source comme modalité de prélèvement mais aussi des difficultés de fond comme l’impossibilité, au regard de la Constitution, de réduire trop fortement la progressivité de l’impôt sur le revenu ou son rendement comme d’augmenter trop fortement le taux proportionnel de la CSG. Le CPO préconise d’opter pour un rapprochement progressif des règles et de l’assiette de ces deux prélèvements. Premier axe de réforme : élargir la base de l’IR, avec un objectif chiffré et programmé dans le temps de la dépense fiscale, supprimer le décalage dans le temps de l’IR, réfléchir à une imposition individuelle optionnelle à l’impôt, un éventuel plafonnement du quotient conjugal à l’instar du quotient familial, et réexaminer le bien-fondé de certaines demi-parts. Second axe de réformes : instaurer un taux minimal de CSG pour les retraités et chômeurs aux faibles revenus en augmentant à due concurrence leurs allocations, faire bénéficier du taux réduit de CSG les revenus modestes des salariés, fusionner les taxes additionnelles à la CSG pour gagner en simplification et en cohérence et généraliser la non-déduction de la CSG.
- Bruxelles entame ses travaux contre l’évasion fiscale
Le 18 février, la Commission européenne a entamé ses travaux sur son programme de lutte contre l’évasion fiscale et la planification fiscale agressive, priorité politique absolue de la Commission, selon son président Jean-Claude Juncker. L’un des objectifs est de veiller à ce que les entreprises soient imposées là où sont exercées les activités économiques générant leurs bénéfices et qu’elles ne puissent éviter de payer leur juste contribution grâce à une planification fiscale agressive. Parmi les mesures les plus urgentes à prendre dans ce domaine, la nécessité de se concentrer sur l’augmentation de la transparence fiscale dans le domaine de la fiscalité des entreprises fait l’objet d’un consensus. « Il n’est pas acceptable que les autorités fiscales doivent compter sur des “fuites” pour faire respecter la législation fiscale », a déclaré le vice-président Valdis Dombrovskis, responsable de l’euro et du dialogue social. Pierre Moscovici, commissaire pour les affaires économiques et financières, la fiscalité et les douanes, a déclaré à ce sujet : « (…) L’heure d’une nouvelle ère a sonné, celle d’une ouverture entre les administrations fiscales, celle d’une solidarité entre les gouvernements afin de garantir une fiscalité équitable pour tous. La Commission est absolument déterminée à veiller au plus haut niveau de transparence fiscale en Europe ». Pour respecter ses engagements pris en décembre dernier, Bruxelles présentera une première série de mesures en mars, parmi lesquelles une proposition législative destinée à étendre l’échange automatique d’informations sur les rulings fiscaux (Communiqué Comm. UE n° IP/ 15/4436, 18 févr. 2015).
- Appartement de fonction détenu en SCI et bien professionnel
Dans un arrêt du 3 février 2015, la Cour de cassation s’est penchée sur la qualification de biens professionnels au regard de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) de parts de société civile immobilière (SCI) détenant une villa louée à une société par actions simplifiée dont le redevable est aussi le président et dont il détient plus de 25 % du capital (Cass. com., 3 févr. 2015, n° 13-25.263). La société avait établi son siège social dans cette villa et les redevables y étaient également domiciliés. L’administration fiscale avait refusé l’exonération au titre des biens professionnels des parts de la SCI sur les années 2004 et 2005 et avait rectifié l’ISF correspondant (Cass. com, 3 févr. 2015, n° 13-25.263).
La Cour de cassation suit les juges d’appel. Elle énonce que « la SCI avait pour objet la propriété et la gestion du bien immobilier (…), que cet l’immeuble permettait seulement le logement de fonction du dirigeant de la société, sans être le lieu de l’activité de cette dernière, et que le seul argument invoqué, pris de l’utilisation professionnelle comme lieu d’accueil et de réception privilégié pour les contacts et relations professionnels, n’était étayé d’aucune pièce », pour en déduire que « les parts de la SCI ne pouvaient être considérées comme des biens professionnels ».
- Le projet de loi « Macron » assouplit le régime fiscal des impatriés…
Le projet de loi (n° 2447) pour la croissance et l’activité, dit projet de loi « Macron », qui a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, prévoit d’assouplir le régime fiscal des impatriés (CGI, art. 155 B), lorsque le contribuable change d’employeur ou d’entreprise avant le 31 décembre de la cinquième année suivant son installation en France. Son article 86 prévoit en effet que le bénéfice du régime fiscal des impatriés est maintenu lorsque le contribuable change de fonctions au sein de l’entreprise ou au sein d’une autre entreprise établie en France appartenant au même groupe – la notion de groupe s’entendant de l’ensemble formé par une entreprise établie en France ou hors de France, et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-3 du Code de commerce. Cette mesure vise donc à permettre aux personnes venues s’installer en France de conserver le bénéfice du régime fiscal dérogatoire lorsqu’elles effectuent une mobilité au sein du groupe auquel appartient leur entreprise – la durée du bénéfice du régime fiscal dérogatoire restant bien évidemment de cinq années, à compter de l’installation du contribuable en France. Le texte a été transmis au Sénat le 19 février.
… et le régime de déduction ISF « PME/Madelin »
Les contribuables peuvent bénéficier d’une réduction d’ISF pour souscription au capital de PME (CGI, art. 885-0 V bis). Le délai de conservation des titres initialement prévu était fixé à dix ans. Le projet de loi « Macron » prévoyait de le ramener à sept ans, prévoyant toutefois une obligation pour les cessions forcées de titres d’une société ayant moins de sept ans d’existence. Dans ce cas, pour ne pas perdre l’avantage fiscal dont le contribuable avait bénéficié, la loi prévoyait une obligation de réinvestissement dans les douze mois de la cession.
L’amendement n° 2542 adopté assouplit ces mesures en proposant que la réduction d’impôt soit maintenue dès lors que le contribuable remploie le prix de vente, et ce quelles que soient les conditions d’existence de la société ou les conditions de la cession.
- Alignement de la désindexation des exonérations d’assiettes des biens ruraux en matière d’ISF et de droit des successions
Certains biens ruraux font l’objet d’exonération de droits de mutation et d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), à concurrence de 75 % puis de 50 %, au-delà de 101 897 euros. La loi de finances pour 2012 (L. fin. 2012, n° 2011-1977, 28 déc. 2011, JO 29 déc.) avait abandonné l’indexation de ce seuil, mais seulement pour les droits de mutation à titre gratuit. L’indexation avait été conservée pour l’ISF, créant des seuils d’application différents. La loi de finances pour 2015 (L. fin. 2015, n° 2014-1654, 29 déc. 2014, JO 30 déc.) a aligné les deux barèmes en retenant le seuil commun de 101 897 euros, et en abandonnant l’indexation de ce seuil en matière d’ISF.
Par Guillaume Hublot, Docteur en droit, Diplôme supérieur de notariat, associé KMH gestion privée, Annabelle Pando et Frédérique Perrotin, Journalistes
Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 245, p. 104