Trois questions à Hugues Bouthinon-Dumas et Antoine Masson
Paru dans Droit&Patrimoine Hebdo n°1177 du 04 février 2019
Dans l’ouvrage collectif « L’innovation juridique et judiciaire » qu’ils ont dirigé, le professeur Hugues Bouthinon-Dumas et Antoine Masson, coordinateurs du programme de recherche de l’ESSEC sur le droit, le management et les stratégies, pointent les opportunités offertes par la mise en place de stratégies innovantes, mais aussi les problèmes qu’elle soulève. Trois questions à Hugues Bouthinon-Dumas et Antoine Masson, co-directeurs d’un ouvrage collectif sur l’innovation en matière juridique et judiciaire.
Pourquoi cet ouvrage ?
Ce livre ambitionne de présenter une première synthèse des innovations qui bouleversent le monde du droit, notamment, mais pas seulement, autour de la legaltech. Il se situe dans le prolongement logique des ouvrages de la collection « Droit, management et stratégies de l’ESSEC » qui cherchent à analyser comment le doit détermine les performances des acteurs économiques. Les innovations juridiques donneront un avantage à ceux qui sauront mieux les exploiter. C’est d’abord l’industrie du droit qui est impactée par le mouvement d’innovations inédit par son ampleur. C’est dans les périodes de turbulences et de bourgeonnements qu’il est important d’essayer d’y voir plus clair, ce que nous avons essayé de faire en donnant la parole à des acteurs et à des observateurs avisés de l’innovation juridique.
L’innovation est-elle forcément liée à des outils technologiques ?
Les innovations fondées sur l’application des nouvelles technologies aux processus et services juridiques (recherche juridique, élaboration d’actes, plateforme de résolution des litiges, etc.) constituent les innovations les plus visibles. Mais il ne faut pas oublier que certaines innovations s’appuient sur des techniques proprement juridiques (comme les montages en droit des sociétés) ou organisationnelles (comme la collaboration libérale) ou sur des technologies anciennes (comme la visioconférence). La combinaison des différents outils et des techniques donne à l’innovation actuelle une dimension plus radicale. Par exemple, dans le domaine de la justice prédictive, la mise à disposition des bases de données, qui existent depuis des années, combinée avec les capacités de traitement de l’information liées à de nouveaux algorithmes permet d’obtenir des résultats beaucoup plus fiables et pertinents et des services juridiques qui ne sont pas seulement perfectionnés, mais vraiment nouveaux. L’innovation n’est pas forcément liée aux nouvelles technologies. Nous parlons par exemple dans l’ouvrage du design thinking appliqué au droit (legal design et droit visuel) qui n’est pas nouveau, ou de la rationalisation du knowledge management. Au fond, nous constatons la pénétration de la culture entrepreneuriale dans le monde du droit et l’appropriation de ces outils par les juristes, alors que le monde de la finance, par exemple, s’y est converti depuis longtemps.
Que reste-t-il alors aux juristes ?
Beaucoup de choses ! On entend cependant çà et là que les innovations technologiques vont libérer les juristes des tâches répétitives et ennuyeuses et que leur restera le travail noble, comme la stratégie juridique. Mais il faut être très prudent avec cette idée et nous ne passons pas cet aspect sous silence dans l’ouvrage, les implications des innovations sur les conditions d’exercice (ubérisation du droit, etc.). Il faudra surveiller de près les outils et surtout être capable d’anticiper des changements.
« L’innovation juridique et judiciaire », collectif, sous la direction de Hugues Bouthinon-Dumas et Antoine Masson, Ed. Larcier, 394 p., 75 €.