Secret professionnel : petites et grandes oreilles tout ouïe pour les avocats
PSSST, Maître. C’est un secret. Un secret ? Oui, un client a le droit de se confier en toute liberté à son avocat en ayant la certitude que ses propos resteront confidentiels. En pratique, les cas d’atteinte au secret professionnel de l’avocat, par le biais d’écoutes téléphoniques et/ou la surveillance des communications électroniques, sont de plus en plus fréquents et pas uniquement en France. Dernier exemple en date aux Pays-Bas où mi-décembre, le ministre de l’Intérieur de ce pays a appris, par courrier, au cabinet d’avocats Prakken d’Oliveira, dont les locaux sont à Amsterdam, qu’il était surveillé par le service de renseignement néerlandais – l’AIVD – depuis plusieurs années. Une révélation qui a fait bondir ce cabinet et ce, d’autant plus que le ministre de l’Intérieur lui a précisé que l’AVID est autorisée à capter les conversations téléphoniques des avocats même si ceux-ci ne sont pas une menace pour la sécurité nationale, indique Prakken d’Oliveira sur son site Internet.
Les avocats européens ont également réagi vigoureusement pour dénoncer cette situation. Après avoir lancé un appel à témoins auprès de ses membres, le Conseil des barreaux européens (CCBE) a recensé des cas avérés d’atteintes au secret professionnel des avocats au Royaume-Uni, en Irlande, en République Thèque, en Lettonie et en France.
Un phénomène contagieux
Comme la grippe, les écoutes téléphoniques et les surveillances des communications électroniques sont donc contagieuses. Outre-manche, le Bar Council et la Law Society ont effectué une déclaration commune le 9 décembre 2014, veille de la première journée européenne des avocats. Partant du constat que depuis plusieurs années les règles pour protéger le secret professionnel de la surveillance et de la captation des communications par l’État sont insuffisantes, ils relèvent notamment dans leur déclaration qu’il est du devoir de chaque avocat de préserver et de protéger la confidentialité de ses clients. Le Bar Council et la Law Society notent par ailleurs que l’utilisation des méthodes de surveillance devrait être encadrée par une législation solide et transparente ainsi que par des garanties procédurales et technologiques visant à protéger la confidentialité de la relation avocat-client.
La technologie pour effectuer des écoutes massives devient de moins en moins chère et par voie de conséquence, se trouvera un jour ou l’autre à la portée de tous
En France, l’année 2014 a été marquée par la révélation des écoutes téléphoniques, durant plusieurs mois, et de la retranscription des conversations entre l’avocat Thierry Herzog et l’un de ses clients, Nicolas Sarkozy. Révélation qui a fait réagir les instances représentatives mais aussi les syndicats de la profession. Le 10 mars 2014, le Syndicat des avocats de France « déplor[ait] et dénonc[ait] ces atteintes incompatibles avec une justice démocratique à laquelle doivent être pleinement associés les avocats ». La Fédération nationale des unions de jeunes avocats, le 10 mars également, déplorait quant à elle que « les retranscriptions d’écoutes téléphoniques concernant un avocat dans l’exercice de ses fonctions ne soient pas soumises au même régime que la saisie des correspondances dans les cabinets d’avocats, saisie à laquelle le bâtonnier peut s’opposer dès l’origine ». Dans le même sens, la Confédération nationale des avocats, le 11 mars, relevait qu’« en matière d’écoutes téléphoniques il n’y a pas de garantie suffisante, le juge d’instruction qui a ordonné cette mesure apprécie seul ensuite la pertinence sans aucun débat, en présence du bâtonnier, devant un autre magistrat ». Du côté institutionnel, le barreau de Paris pointait entre autres qu’« il y a une différence entre le fait de mettre sur écoute un avocat soupçonné d’avoir commis un délit et celui de profiter d’écoutes ordonnées à d’autres fins pour glaner des informations sans rapport avec l’enquête initiale ». Pour sa part, la Conférence des bâtonniers dressait le constat que « le recours aux écoutes téléphoniques et aux perquisitions dans les cabinets d’avocats [devenaient] un procédé systématique dans la recherche des preuves » alors que cette « dérive (...) porte atteinte au secret professionnel et ainsi aux droits de tout citoyen de se défendre et d’être défendu ». Pour contrer cette « dérive » et faire valoir leurs arguments, les bâtonnier et vice-bâtonnier de Paris ainsi que les présidents du Conseil national des barreaux et de la Conférence des bâtonniers avaient été reçus par le président de la République le 20 mars 2014. Ils avaient alors proposé à François Hollande d’améliorer le régime juridique des interceptions des communications décidées par un juge d’instruction à l’égard des citoyens et « en particulier des avocats ». Comment ? En modifiant le Code de procédure pénale de sorte que, par exemple, « la décision motivée du juge d’intercepter les conversations d’un avocat ne [puisse] être prise que s’il existe, préalablement à la mesure, des indices graves et concordants laissant présumer que l’avocat participe ou a participé à la commission d’un crime ou d’un délit et qu’il s’agit de l’unique moyen d’en établir la preuve ». Mais depuis ce rendez-vous, rien n’a été modifié dans les textes et aucune mesure n’a été prise par le gouvernement. Pourtant les avocats ont toujours des idées pour faire évoluer le système. Par exemple, Vincent Nioré, avocat, coordinateur des délégués du bâtonnier de Paris aux contestations des perquisitions au cabinet et au domicile de l’avocat, estime que « la réforme devrait permettre que le bâtonnier puisse, dès la notification du placement sur écoutes, saisir de sa contestation le juge des libertés et de la détention comme c’est déjà le cas en matière de perquisitions chez l’avocat ». Ou « en reprenant une idée du professeur Didier Rebut, il est indispensable de confier la responsabilité de placer un avocat sur écoutes à un juge autre que celui en charge de l’enquête ».
Depuis combien de temps ces « dérives » existent-elles ? « En général, les affaires sont récentes car elles sont liées à de la surveillance électronique de masse », relève Hugo Roebroeck, directeur des relations extérieures au CCBE. Il ajoute qu’« il y a encore deux-trois ans, seule la NSA [Agence de sécurité nationale américaine, ndlr] avait les moyens financiers de le faire ». Mais aujourd’hui, le hic, c’est que la technologie pour effectuer des écoutes massives devient de moins en moins chère et par voie de conséquence, se trouvera un jour ou l’autre davantage à la portée non seulement des États mais aussi des entreprises et des citoyens. « L’idée consistant à dire “je n’ai rien à me reprocher” est dépassée », selon Hugo Roebroeck, car « demain, un assureur pourra tout savoir sur ses assurés, de même pour une chaîne de supermarchés vis-à-vis de ses clients ». Conclusion : « un cadre législatif est nécessaire car ce n’est pas parce que les moyens existent qu’il faut lire les courriels de tout le monde », avance Hugo Roebroeck.
La fin de l’État de droit ?
Avec la multiplication des écoutes téléphoniques et de la surveillance des communications électroniques, la confiance que placent les clients dans leur avocat pourrait à la longue s’éroder, si ce n’est pas déjà le cas pour les cabinets en ayant fait l’objet et pour qui l’affaire est connue sur la place publique. « Pour certains, il est acceptable que l’État surveille ses citoyens mais pour le CCBE, c’est une menace à l’État de droit car les atteintes au secret professionnel de l’avocat et aux données personnelles sont opportunistes », argue Hugo Roebroeck. Il glisse qu’« aux États-Unis, un mouvement est en train de naître pour favoriser la connaissance par les citoyens de la protection des données et développer le chiffrement de celles-ci ». Aux yeux de Louis-Georges Barret, président de la Confédération nationale des avocats, « la difficulté est celle du compromis entre la nécessaire protection du citoyen et le droit de la défense ». Or « en atténuant directement le secret des correspondances, on va directement atteindre la liberté d’expression », analyse Louis-Georges Barret. Par conséquent, pour lui, il faut « fixer des règles au niveau européen en matière de secret des correspondances et d’écoutes téléphoniques ».
« Le moment est venu que la Commission enquête et demande aux tribunaux une définition claire de la sécurité nationale »
Débats au Parlement européen
Si le développement de la surveillance électronique de masse et des écoutes téléphoniques inquiète les avocats, il interpelle aussi le Parlement européen qui s’est à plusieurs reprises saisi de la question, notamment dans sa résolution du 12 mars 2014 sur le programme de surveillance de la NSA, les organismes de surveillance dans divers États membres et les incidences sur les droits fondamentaux des citoyens européens et sur la coopération transatlantique en matière de justice et d’affaires intérieures. Entre autres choses, le Parlement européen y « condamne le recueil à grande échelle, systémique et aveugle des données à caractère personnel de personnes innocentes, qui comprennent souvent des informations personnelles intimes ». Par ailleurs, dans cette résolution, l’institution « souligne que les systèmes de surveillance de masse sans discernement mis en place par les services de renseignement constituent une grave entrave aux droits fondamentaux des citoyens » et que « le respect de la vie privée n’est pas un droit de luxe, mais constitue la pierre angulaire de toute société libre et démocratique ». Le 13 janvier 2015, les députés européens ont débattu plus précisément de la surveillance des avocats dans l’Union européenne après une question posée par la députée Judith Sargentini à la suite des écoutes dont a fait l’objet le cabinet Prakken d’Oliveira. D’emblée, la présidente en exercice du Conseil, Zanda Kalnina-Lukasevica, a précisé que « la présidence du Conseil n’[était] pas en mesure de faire quelque commentaire que ce soit sur des allégations que les services de renseignement d’un État membre effectuent une surveillance secrète d’un cabinet d’avocat et de ses clients ». En outre, elle a argué que les actions menées par les services de renseignements nationaux pour sauvegarder la sécurité et la sûreté nationale relèvent « de la responsabilité des États membres ». Lui succédant au micro, la commissaire à la Justice, Vera Jourova, a également affirmé que cette question relevait de la compétence des États membres. Aux yeux de certains observateurs, la position fermée du Conseil et de la Commission européenne devraient évoluer au cours des mois à venir. Louis-Georges Barret le dit clairement : « le Conseil et la Commission européenne vont être obligés de se saisir de cette question car les dossiers des avocats sont très souvent internationaux et le secret professionnel doit être protégé dans l’ensemble des États membres ».
Lors des débats ce 13 janvier, les députés n’ont pour leur part pas caché leur inquiétude. Parmi eux, Cecilia Wikström a relevé que « l’un des piliers de notre État de droit est le fait d’être sûr de pouvoir parler en toute confidentialité avec son avocat. L’article 4 de la directive de 2013 [Dir. no 2013/48/UE, 22 oct. 2013, ndlr] le garantit et les droits fondamentaux aussi ». Et elle a dénoncé que « si nos services de renseignement collectent des informations à propos des communications entre les avocats et leurs clients, cela signifie que ces droits de base ne sont plus respectés et donc que l’État de droit est suspendu ». L’auteur de la question, Judith Sargentini, a quant à elle assuré que « les Européens veulent des autorités en qui ils peuvent avoir confiance or ces scandales de la surveillance des avocats enfreignent cette confiance » car elle est « impensable ». Jan Philipp Albrecht a de son côté noté que ce n’était « pas la première fois qu’un État membre se cache derrière le principe de sécurité nationale » et il a averti que « le moment [était] venu que la Commission enquête et demande aux tribunaux une définition claire de la sécurité nationale ».
Exemple avec l’avocat d’Edward Snowden
Difficile d’avoir pour client quelqu’un d’aussi connu et recherché qu’Edward Snowden, ancien agent de la NSA ayant révélé en juin 2013 la surveillance des communications électroniques effectuées par les États-Unis. Pourtant, cette mission l’avocat américain Ben Wizner l’a acceptée. Comment fait-il pour échanger de manière sécurisée avec son client ? Telle est l’une des questions que le CCBE lui a posée dans le cadre de sa première journée européenne des avocats. Réponse : « il n’existe certainement aucune précaution assez suffisante pour garantir la confidentialité de nos communications ». Pour dialoguer de manière cryptée, il explique qu’ils utilisent « un programme appelé “Tails” » mais « il est nécessaire d’être en ligne pour l’utiliser » et « ce n’est pas le moyen de communication le plus efficace ». De plus, Ben Wizner indique au CCBE qu’« il y aura toujours des sujets impossibles à aborder, même en utilisant les moyens les mieux protégés ».
Solutions par défaut
Pour parer aux risques d’écoutes téléphoniques et de surveillance des communications électroniques, Hugo Roebroeck liste quelques solutions : « chiffrer les messages, ne pas dire au téléphone des choses qui pourraient être utilisées contre le client, suivre les recommandations du CCBE sur l’utilisation du cloud et avoir une adresse de courrier électronique par un opérateur payant ». Autant de protections qui ont des coûts pour les avocats.
Par Clémentine Delzanno, chef de rubrique
Article publié dans Dr. & Patr. 2015, n° 244, p. 6 (févr. 2015)
Cet article a reçu la palme du Meilleur article, catégorie – de 10 000 exemplaires, au Palmarès de la presse pro 2015