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"Je n’arrive pas à comprendre comment un avocat peut être salarié en entreprise"

Par Frederic Hastings


Entretien avec Jérôme Gavaudan, président de la Conférence des Bâtonniers. En fonction depuis le 1er janvier 2018, le nouveau président dévoile ses priorités et ses positions en particulier sur la carte judiciaire.

Quelles sont vos priorités à la tête de la Conférence des Bâtonniers ?

Je crois qu’il faut rester dans une modestie fonctionnelle. Élu pour deux ans, le président de la Conférence des Bâtonniers doit s’inscrire entre son prédécesseur et son successeur. Ma priorité est d’être dans la continuité tout en faisant progresser la Conférence. Son rôle est d’être au service des Bâtonniers de province, des membres des conseils de l’Ordre et des Ordres. Mon ambition est de booster les services que nous leur rendons dans la formation en créant de nouveaux modules. Je pense par exemple à un module Communication. Les Bâtonniers sont en demande de formation en matière de communication externe vis-à-vis des pouvoirs publics et de communication interne au sein de leurs Barreaux. Une personne qui est à la tête d’un Ordre doit être en capacité de trouver les bons mots. Je pense aussi à un module Numérique afin de faire avancer les Ordres dans la modernisation des équipements.

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Comment allez-vous opérer concrètement ?

Nous venons de créer « Barreaux Data System », une société de développement de services. Cette société est destinée à accueillir les services de la Conférence mais également ceux que la profession pourrait offrir aux avocats. Par exemple, intégrer en avril 2018, dans le cadre du règlement général de l’Union européenne sur la protection des données (RGPD), le délégué à la protection des données personnelles dans les Ordres et dans les cabinets. La société abritera ce délégué, organe indépendant, qui pourra être désigné par les Ordres et les avocats des Barreaux. Nous offrirons ainsi un service mutualisé.

Je vois les relations avec le CNB et le Barreau de Paris au beau fixe

Comment voyez-vous vos relations en 2018 avec le CNB et le Barreau de Paris ?

Je vois les relations avec le CNB et le Barreau de Paris au beau fixe. Mes relations personnelles avec le nouveau Bâtonnier de Paris Marie-Aimée Peyron sont toujours cordiales et franches. Nous nous connaissons depuis longtemps et venons de passer trois ans ensemble au bureau national du CNB. Pour les deux années à venir, nous comptons être des vice-présidents utiles du CNB. Nous partageons également les valeurs de l’ordinalité avec le Barreau de Paris. Il n’existe pas non plus de problème avec le CNB. Pour moi, les choses sont claires. Le CNB est l’institution représentative de la profession. La Conférence y a un rôle important. Elle l’exprime par la voie de son collège ordinal. Il n’existe pas de concurrence directe ou indirecte avec le CNB. Je me suis toujours entendu avec la nouvelle présidente du CNB Christiane Feral-Schuhl dans sa vision de moderniser la profession d’avocat en tenant sur les valeurs fondamentales : l’indépendance, le secret, le rattachement à un Ordre des avocats. Nous avons même été Bâtonniers une année ensemble : elle à Paris et moi à Marseille. Nous avions travaillé sur le développement du RPVA (Réseau Privé Virtuel des Avocats) afin d’harmoniser les systèmes de communication entre Paris et la province. Je suis attentif à sa volonté de lancer des États Généraux de la profession.

Avez-vous des inquiétudes sur les cinq chantiers menés par la ministre de la Justice ?

Je n’ai pas d’inquiétude. En réalité, j’avais plutôt une incompréhension et une absence de visibilité, source d’inquiétudes dans les Barreaux, sur ce que voulait faire la ministre. Avec l’ancien président de la Conférence Yves Mahiu, je l’ai rencontrée le 14 décembre. L’entretien a été constructif. J’ai compris qu’elle ne souhaitait pas de passage en force sur aucun des sujets et qu’elle s’inscrivait dans la Justice du XXIe siècle. Elle veut en réalité aboutir dans la concertation. À l’issue du cycle actuel qui doit s’achever le 15 janvier 2018, elle entend lancer un cycle de concertation pour un projet de loi sur les cinq chantiers déposé au Parlement à la fin du printemps 2018. Je me félicite de cette clarification et lui ai assuré que la Conférence serait un partenaire constructif dans ce cadre. Nous restons toutefois vigilants.

Vous a-t-elle rassuré sur la carte judiciaire ?

La ministre a précisé sa pensée. Elle nous a dit que lorsqu’elle envisageait l’absence de fermeture de site, le gouvernement parlait bien d’absence de suppression de juridiction. Quant aux cours d’appel, elle nous a indiqué que sa conviction n’était pas arrêtée. Ce qui est apparu rassurant. La ministre ne semble pas comprendre les grèves dans les Barreaux qui sont inquiets en raison de l’absence de visibilité du gouvernement sur la justice. Mais la Conférence ne décide pas à la place des Bâtonniers et des Barreaux. Elle est en revanche l’interlocuteur privilégié pour faire le point avec le ministre de la situation, pointer les difficultés et lever les ambiguïtés. La Conférence n’est pas dans le refus de toute évolution. Toutefois, le numérique ne doit pas permettre la suppression de juridictions. Il facilite l’accès au juge et fluidifie le processus procédural. En revanche, le fait de communiquer par voie électronique ne peut justifier l’éloignement d’un tribunal. Car la justice doit être rendue à proximité du justiciable.

Voulez-vous encourager l’interprofessionnalité sur le terrain ?

La position de la Conférence n’a pas été d’encourager l’interprofessionnalité ni de l’empêcher. Il doit y avoir des évolutions de la profession mais tout en préservant le socle qu’est le Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat et ses principes essentiels. La difficulté est de savoir comment le conflit d’intérêts en travaillant avec d’autres professions doit être géré et écarté, et comment le secret professionnel doit être préservé ainsi que les garanties accordées à l’avocat. La Conférence y travaille. Puis les difficultés sont résolues au sein de la Commission Règles et Usages du CNB.

Êtes-vous favorable à la transformation du tribunal de commerce en tribunal des affaires économiques ?

La Conférence est prête à réfléchir à cette question. Mais celle-ci doit s’inscrire dans un travail plus général de réorganisation des juridictions.

Quelle est votre position sur le juriste d’entreprise ? Pourrait-il devenir avocat en entreprise ?

Non. Je n’arrive pas à comprendre comment un avocat puisse être salarié en entreprise. Car la définition juridique du contrat de travail est le lien de subordination. Or, l’avocat est par essence indépendant et libre. Il n’a pas de lien et n’est pas subordonné. Rien n’empêche en revanche de réfléchir sur la question de l’attractivité et de la compétitivité du droit Français par rapport au droit anglo-saxon.

La ministre nous a dit que lorsqu’elle envisageait l’absence de fermeture de site, le gouvernement parlait bien d’absence de suppression de juridiction

Que pensez-vous du Grenelle du Droit organisé en 2017 par l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) et le Cercle Montesquieu ?

Je suis prêt à m’inscrire dans la démarche du Grenelle du Droit prévu en 2018. Je ne suis pas opposé à un développement économique de l’activité des juristes. Je ne distingue pas le juriste non avocat du juriste avocat. Nous sommes d’abord tous juristes. Mais à la profession d’avocat, sont attachées me semble-t-il des valeurs qui ne sont pas forcément partagées par des juristes qui n’auraient qu’une vision de développement économique ou de fluidité de leurs relations de travail juridique. Or, je suis persuadé que le maintien et le respect des règles essentielles de la profession d’avocat nous favorisent économiquement.

Spécialiste du droit du travail, comment réagissez- vous à la volonté du Président Macron de redéfinir l’intérêt social de l’entreprise ?

En soi, l’idée de la participation des salariés n’est pas nouvelle. Si elle permet de fluidifier les relations de travail dans l’entreprise, je n’y vois pas d’inconvénient. En revanche, si l’objectif est d’abolir les lois protectrices du travail, l’idée est alors beaucoup moins intéressante.

Croyez-vous à un recours plus important aux modes amiables de résolution des différends ?

Nous avons le sentiment que l’on nous parle des modes amiables de résolution des différends (MARD) dans un souci d’économie budgétaire. Or, ce n’est pas en soi leur objectif. Les avocats sont en capacité de gérer les procédures collaboratives et de mettre en place des médiations. Mais ils le font dans le souci de la résolution du différend. L’idée de déjudiciariser via les MARD est en réalité un transfert de charges de l’État vers les avocats. Nous acceptons ce surcoût. Mais l’État doit en tenir compte dans l’organisation générale des juridictions.

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