Faut-il avoir peur du secret des affaires?
Par Pierre Berlioz, Professeur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, directeur du CEJESCO (Centre d’études juridiques sur l’efficacité des systèmes continentaux), et Jean-Marie Garinot, Maître de conférences à l’Université de Bourgogne (CREDIMI)
Alors que l’on croyait la protection du secret des affaires proche, une incroyable levée de boucliers l’a subitement tuée dans l’œuf. Pourtant, la question avait été travaillée de longue date. Dès juin 2013, l’élaboration du texte avait été initiée par M. Urvoas, président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, dans le cadre d’une coproduction inédite entre les pouvoirs législatif et exécutif. C’est cette proposition, déposée en juillet 2014 à l’Assemblée, et dont certains médias s’étaient alors fait l’écho, qui a été insérée par amendement dans le projet de loi « Macron » par la commission spéciale chargée de l’examiner, à la quasi-unanimité. Mais une coalition inédite de journalistes, accompagnés d’ONG, a obtenu du Gouvernement son retrait, au nom des libertés fondamentales.
Cette vive et soudaine hostilité repose cependant sur un malentendu. Le texte proposé n’était pas plus attentatoire aux libertés d’expression et de la presse que ne l’est la protection de la vie privée. Il l’était même encore moins. Nulle part l’article 9 du code civil ne préserve ces libertés. Mais parce qu’elles sont issues d’un texte de valeur supra-législative, la jurisprudence énonce avec fermeté que la protection cesse « chaque fois que le public a un intérêt légitime à être informé ». La proposition quant à elle intégrait cette jurisprudence en prévoyant expressément que le secret des affaires trouvait sa limite dans la protection « d’un intérêt supérieur ». De même, elle garantissait expressément l’immunité de la personne révélant des faits illicites aux autorités publiques et l’inopposabilité du secret des affaires à ces mêmes autorités. Elle modifiait également la loi de 1881, pour protéger les journalistes poursuivis pour diffamation.
Retirer ce texte compromet alors sans raison la sauvegarde du patrimoine informationnel des entreprises françaises. L’innovation est un facteur de croissance qu’il convient de protéger efficacement. Or en la matière notre droit souffre de faiblesses. Certes, les tribunaux ont pu, sur le fondement du droit commun, assurer une certaine protection. Mais issue de textes divers et d’une jurisprudence touffue, elle n’est accessible qu’à ceux qui ont l’expertise nécessaire à sa mise en œuvre ou les moyens de se l’offrir. En toute hypothèse, faute de texte, le procès est parfois détourné pour accaparer légalement des informations confidentielles. Et le vol d’information ne peut être sanctionné, car l’incrimination n’est pas adaptée aux choses incorporelles.
Les amendements insérés dans la loi « Macron » avaient pour ambition de mettre fin à cette insécurité juridique et de protéger nos entreprises, dans le respect des libertés fondamentales. Il est regrettable que cela n’ait pas été compris. Espérons que cela le sera lors de la discussion du projet de directive européenne relative aux informations commerciales confidentielles.
Par Pierre Berlioz, Professeur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, directeur du CEJESCO (Centre d’études juridiques sur l’efficacité des systèmes continentaux), et Jean-Marie Garinot, Maître de conférences à l’Université de Bourgogne (CREDIMI)
Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 245, p. 16 (mars 2015)