Des notaires zébrés de conseil
Des zèbres, des notaires et du conseil gratuit. Tels sont les ingrédients du mouvement Conseil du coin lancé par un notaire de province. Reportage.
Un notaire zébré avec une écharpe rouge au café d’en bas. C’est l’opération entreprise par les notaires à travers toute la France sous l’appellation « Conseil du coin ». Une initiative spontanée initiée loin des instances de la profession par Vincent Chauveau, notaire à Savenay, et partie de Twitter. Mais que vient faire le zèbre dans l’histoire ? L’explication réside dans l’appartenance de Conseil du coin au mouvement civique Bleu Blanc Zèbre (BBZ) lancé par l’écrivain Alexandre Jardin en mars 2014. Leitmotiv de BBZ : « Avec Les Zèbres, prenez-vous en main, gouvernez vous-même ! (…) Bleu Blanc Zèbre n’est pas un think-tank mais un do-tank déjà responsable de la France ». En bref, il s’agit d’agir au lieu de subir. Une donnée que les notaires ont bien saisi. « Nous avons été déçus par le manque de relais de la manifestation du 10 décembre 2014 », explique Vincent Chauveau avant d’ajouter qu’« aller dans les bistrots, c’est la technique des hommes politiques ». D’où l’idée d’inviter ses confrères à dispenser des conseils gratuits chaque premier samedi du mois dans des cafés. Une manière de montrer aux citoyens ce qu’ils font toute l’année dans leurs offices. « Nous allons vers les gens pour leur montrer que nous sommes bourgeois, certainement, mais inaccessibles, certainement pas », affirme-t-il.
En dehors de ce rendez-vous mensuel qui a débuté en janvier, Vincent Chauveau a organisé une opération « Conseil du coin » le 22 janvier dans les cafés parisiens, où 200 notaires venus de toute la France ont répondu présents, et marseillais. Pour l’organisation de ces conseils, comment cela c’est-il passé ? « Chaque notaire a cherché un café dans les pages jaunes et appelé le gérant » pour lui demander s’il pouvait venir, détaille Vincent Chauveau. Précisons que la date n’était pas choisie au hasard car ce jour-là aurait dû avoir lieu la manifestation organisée par l’Union nationale des professions libérales et annulée en raison des « événements tragiques qui ont endeuillé la nation au début de l’année ». Or « Conseil du coin devait venir en appui », précise son initiateur.
Premier café
Sur le terrain, rendez-vous à « La nouvelle constellation », dans le quartier de Barbès, où étaient présents Vincent Chauveau et deux confrères. Yann Kerambrun, notaire à Pontchateau, relate le premier Conseil du coin auquel il a participé le 3 janvier : « une dame de 80 ans a réussi à convaincre son époux de venir prendre conseil auprès d’un notaire alors qu’il était très réticent à l’idée de passer la porte d’un office notarial, c’est le cas de beaucoup de gens ». Un cas qui conforte les notaires dans leur action. « Demain, si nous n’avons pas la sécurité du tarif, le conseil ne pourra pas rester gratuit », s’inquiète Pascale Burgaud, notaire à Andernos-les-Bains. Vincent Chauveau confirme : « le conseil deviendra l’option payante et le Français lambda qui n’aura pas les moyens de payer pour en avoir n’aura plus accès au droit ». Pour autant, tous trois sont unanimes sur la nécessite de réformer leur profession. « Il faut augmenter le nombre de notaires mais la seule réforme possible est d’imposer des notaires associés en fonction du chiffre d’affaires, cela permet de moraliser », avance Yann Kerambrun.
Deuxième café
Après deux changements de lignes de métro, nous voici près de la place de la Nation au Dumas café. Interrogé sur la présence de notaires dans son établissement, le gérant glisse que « c’était tout naturel de les accueillir comme ça à titre gracieux ». Fabienne Magnan, dont l’étude est voisine, explique que c’est la deuxième fois qu’elle participe au Conseil du coin. Sur quoi portent les questions au café ? « C’est très varié, j’ai par exemple eu des questions pour de la philanthropie ou une cession de fonds de commerce », mentionne-t-elle. À ses côtés, trois confrères ardéchois qui sont venus la rencontrer « physiquement » après avoir noué connaissance sur les réseaux sociaux. « Le seul point positif de cette réforme est qu’elle a créé une confraternité encore plus forte », se félicite ainsi Cilia Pechoux, notaire à Privas. Mais elle est très inquiète : « nos clients font partie de nos vies et nous faisons partie de la leur. Si la réforme passe, nous allons perdre notre âme car ce sera la rentabilité et c’est tout ! ». De plus, la « perte de rentabilité » est déjà « énorme » avec la loi « Alur », relève Fabienne Magnan avant de préciser que « 99 % des ventes se font par cette loi. Pour signer la vente définitive, il faut compter cinq mois ». Là où il en fallait trois avant. Pour faire face, son office, qui fait partie de la démarche qualité mise en place par le Conseil supérieur du notariat, a dû créer le 1er janvier un service avant-contrats pour collecter les pièces.
Clémentine Delzanno
Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 244, p. 12 (Févr. 2015)