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3 questions à Yves Mahiu sur l'accès au droit

Par DROIT&PATRIMOINE

Retour avec Yves Mahiu sur les premières Assises de l’accès aux droits et à la justice organisées par l'institution qu'il préside, la Conférence des bâtonniers, le 19 octobre 2016.

D&P : Vous avez organisé en octobre les premières Assises de l’accès aux droits et à la justice. Pourquoi ?
Y. M. : Le sujet de l’accès au droit est essentiel dans un État de droit et les travaux le concernant, bien souvent rédigés à l’initiative des gouvernements ou du Parlement sont, une fois publiés, soigneusement mis de côté par un État qui reste frileux à consacrer les moyens nécessaires à une politique ambitieuse en la matière.
Nos travaux préalables sur ce thème, et tout particulièrement le rapport sur l’« Accès aux droits et à la Justice » et les 47 propositions qu’il contient, sont à l’origine de ces Assises, et ont pour ambition de faire bouger les lignes, y compris si nécessaire au sein de notre profession. Cette fois-ci, la profession d’avocat ne se place pas en opposition à un projet ou dans la protestation, comme cela a pu être encore le cas à l’automne 2015. Nous entendons être force de proposition. Il s’agissait d’un travail collectif et global pour aborder cette question de l’accès aux droits et à la justice de manière la plus ouverte et concrète possible, sans a priori. Après ce travail au sein de la Conférence, nous avons la volonté d’ouvrir nos réflexions au-delà de la profession d’avocat. En effet, nous ne sommes pas les seuls concernés. Ces assises avaient donc pour but de faire connaitre nos travaux tout autant que d’impliquer l’ensemble des acteurs du monde de la justice – au sens large, y compris les pouvoirs publics –, de les inviter à prendre part à nos réflexions, d’élargir nos perspectives et, nous efforcer de repenser la question différemment.
La Conférence des bâtonniers assume donc sa responsabilité dans ce débat majeur. En effet, elle rassemble les Ordres qui organisent, gèrent et ont la charge de nombreux dispositifs en matière d’accès aux droits et à la justice. Elle doit donc être force de proposition. Elle poursuit ce travail aux fins d’amender et de compléter ses propositions, avec l’ensemble des acteurs. Ces Assises ont permis de confronter ces propositions à certaines réalités. C’est désormais une phase de travail d’amendement, sur la base des échanges intervenus lors de cette journée, qui s’ouvre à nous pour les mois à venir.

D&P : Que retenez-vous de ces Assises ?
Y. M. : Je retiens en premier lieu l’adhésion qu’a générée ce projet. Non seulement de la part des bâtonniers qui se sont déplacés en nombre mais au-delà, comme nous le souhaitions, de la part des autres professionnels de la justice qui se sont mobilisés. Magistrats, responsables du milieu associatif, parlementaires, partenaires européens, représentants de la Chancellerie, de la Cour des comptes, etc., tous ont répondu présents à notre appel et nous ont permis d’animer et d’enrichir les débats.
Cette journée a été couronnée de succès. Riches des échanges, nous poursuivons le travail, toujours avec ce groupe de réflexion de 19 bâtonniers et anciens bâtonniers présidé par Jean-Luc Forget, qui va reprendre son bâton de pèlerin pour affiner nos propositions.
Je retiens également de nos échanges lors de ces Assises que la sauvegarde de l’accès aux droits passe inévitablement par nous, avocats. Cet accès aux droits et à la justice est en permanence remis en question et altéré par d’infimes décisions politiques qui finissent, à la longue, par le mettre à mal. Non toujours de manière volontaire mais parfois par négligence. L’accès aux droits et à la justice n’est jamais une priorité alors qu’elle devrait pourtant l’être pour tous et en tout temps. Plus encore aujourd’hui dans un État de droit perturbé. Il est de notre devoir de rester vigilants. Nous sommes, à notre manière, les gardiens de ce temple. Et, en ce sens, nous avons le devoir de poursuivre nos travaux et de leur donner une issue positive et des retombées concrètes.

D&P : Que pensez-vous du projet de budget de la Justice 2017 s’agissant de l’aide juridictionnelle ?
Y. M. : Si nous nous devons de saluer la revalorisation tant attendue de l’UV de l’aide juridictionnelle à 32 euros, nous ne pouvons pas, pour autant, nous en satisfaire. La question de l’accès au droit et des moyens alloués à la justice est, bien entendu, beaucoup plus complexe que la seule question du montant de l’UV. L’avocat n’est pas qu’un professionnel marchand que l’on indemnise pour service rendu, au bon vouloir de l’État. Cette revalorisation, même si nous l’accueillons positivement n’est finalement qu’un préalable.
Il faut envisager cette question et l’enjeu majeur qu’est l’accès aux droits et à la justice de manière globale et y proposer des solutions plurifactorielles. L’objectif de ces Assises était justement d’aller bien au-delà de la seule question de la rétribution des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle pour réfléchir à améliorer cet accès avec des propositions très concrètes et immédiatement applicables. C’est parfaitement faisable. Certaines de ces propositions ont déjà été mises en place dans plusieurs barreaux. D’autres solutions demandent une réflexion plus large impliquant d’autres acteurs du monde de la justice. Dans tous les cas, même si la question de la valorisation de l’aide juridictionnelle au sein du budget de la justice est centrale, elle ne saurait suffire. Et ce d’autant plus que des incertitudes concernant son financement à long terme perdurent et nous laisse dans le flou et dans une situation plus qu’incertaine.
Si le budget consacré par l’État à l’accès au droit et à la justice (ce fameux programme 101) au sein du projet de loi de finances est en augmentation par rapport à 2016, tout comme les crédits alloués à l’aide juridictionnelle, celui-ci reste bien trop faible, voire ridicule, au regard des enjeux, alors que dans le même temps l’État assume des choix budgétaires à concurrence de sommes considérables au bénéfice d’autres politiques. En consacrant un budget aussi faible à la justice, l’État renonce à exercer une fonction régalienne et à assumer une solidarité qui lui incombe.
Lors des Assises, je soulignais qu’en 2014, l’État avait consacré 64 euros par habitant à la justice. C’est deux fois moins que la redevance audiovisuelle. Il n’a guère augmenté depuis et ne devrait pas atteindre les 100 euros annuels par habitant en 2017. En ce sens, nous ne pouvons nous satisfaire de ce projet de budget, même s’il va dans le bon sens.

Propos recueillis par Clémentine Delzanno




Interview publiée dans Droit & patrimoine l’Hebdo 2016, n° 1078 (21 nov. 2016)
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