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Pour une classification fonctionnelle des opérations sur créances dans le nouveau régime général des obligations

Par DROIT&PATRIMOINE

Le régime général des obligations est en passe d’être profondément réformé. La présente contribution présente les grandes lignes du nouveau droit des opérations sur créances en invitant à distinguer entre les fonctions translative (cession, subrogation), substitutive (novation), adjonctive (délégation imparfaite) ou extinctive (paiement, compensation, etc.) de ces opérations. [1]

Par Philippe Dupichot, Professeur à l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), Secrétaire général de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française

 

C’est une gageure de traiter de la réforme du droit des opérations sur créances à la fin d’une journée si riche.

 

Je serai donc bref et ne poserai ici que deux questions en guise d’introduction.

 

Pourquoi réformer le droit des opérations sur créances ?

 

Parce qu’ainsi qu’Eugène Gaudemet l’a amplement démontré, la créance est aujourd’hui un bien et pas seulement un lien ; le vinculum juris a cédé la place à la valeur économique, à la financiarisation de ces actifs particuliers – mobiliers et incorporels – que sont les créances.

 

Or, ces actifs sont aujourd’hui l’objet d’opérations variées entre agents économiques qui les envisagent avant tout comme des biens, et des objets de propriété : les créances s’achètent, se vendent, s’escomptent, se transfèrent en garantie à titre fiduciaire, font l’objet d’affacturages, etc. Ainsi que le relevait Hervé Synvet dans l’exposé des motifs de l’avant-projet « Catala » de réforme des obligations, « la circulation des créances constitue une partie non négligeable de l’économie moderne. Elle relève de l’activité quotidienne des professionnels de l’argent et du crédit. Ceux-ci ont un besoin impératif d’efficacité, de sécurité et de rapidité ».

 

Le Code civil français de 1804 doit donc être rénové en profondeur, lui qui n’intègre guère cette dimension de « créance-bien ».

 

Comment réformer le droit des opérations sur créances ?

 

La question revêt une double dimension, substantielle et formelle.

 

Au plan du fond, le droit des opérations sur créances doit être modernisé, simplifié et précisé. Il est en effet insuffisamment précis sur des questions fondamentales. Ainsi, quel est le sort des exceptions (opposabilité, inopposabilité) ? Quelles garanties sont dues au cessionnaire ? Quelles fonctions des institutions polyvalentes ? Etc. Et il ne connaît ni de la cession de contrat ni de la cession de dette.

 

En un mot comme en mille, il doit être rendu plus efficient, plus intelligible, « business friendly » !

 

L’unanimité se fait sur ce point.

 

Au plan de la forme, le siège des opérations sur créances doit se retrouver dans le Code civil ; or, un glissement s’est opéré du Code civil vers les lois spéciales et codes spéciaux – Code monétaire et financier, en particulier – qui ne s’est pas démenti depuis la loi « Dailly » n° 81-1 du 2 janvier 1981 (JO 3 janv.). Après s’être vidé au profit des lois et codes spéciaux, le Code civil doit retrouver son rôle de matrice.

 

Mais plusieurs questions subséquentes se posent aussitôt sur lesquelles cette belle unanimité se brise en fonction des auteurs et des projets de réforme « concurrents ».

 

Doit-on seulement parler de droit des opérations sur créances et y consacrer une subdivision dédiée, éclatante ?

 

Tel fut le choix de l’avant-projet « Catala » en date du 22 septembre 2005 dont je partage pleinement la philosophie : réputé volontiers conservateur et classique, cet avant-projet a pourtant fait œuvre de rupture en la forme sur ce point et Pierre Catala le relevait lui-même. À l’initiative d’Hervé Synvet, père semble-t-il de l’expression « opérations sur créances » – qu’il donna même en sujet de leçon de vingt-quatre heures lorsqu’il fut membre d’un jury d’agrégation –, il consacre aux opérations sur créances un chapitre 6 qui leur est spécialement dédié, gros des quatre institutions phares que l’on étudiera ici : la cession de créance, détachée de la vente ; la subrogation personnelle, éloignée du paiement ; la novation, pareillement détachée de l’extinction des obligations ; la délégation, précisée et distinguée de la novation.

 

Doit-on au contraire fondre celles-ci dans une subdivision plus large consacrée au régime général des obligations (ou « RGO »), aux contours beaucoup plus vastes ?

 

La question se pose car les opérations sur créances (de opéra : travail, œuvre) ne sont qu’une dimension, étroite et dynamique, d’un RGO, plus vaste et parfois statique : terme, condition (modalités de l’obligation), solidarité ou indivisibilité (obligations plurales) en sont par exemple exclus.

 

Telle est plutôt la philosophie du projet « Terré », présenté en janvier 2013 ; les travaux du groupe « Terré », réputés plus modernes, sont toutefois restés plus conservateurs, ne serait-ce que sur le plan retenu[2].

 

Or, le législateur semble, en l’état de l’avant-projet gouvernemental en date du 23 octobre 2013 (ci-après « l’avant-projet ») et plus encore du projet d’ordonnance du 25 février 2015 (ci-après « le projet »), avoir choisi cette seconde voie.

 

« Ciment du droit privé » d’après un colloque récent[3], le RGO s’y déploierait suivant un Titre IV dédié, intitulé « Du régime général des obligations », et (maladroitement…) découpé en chapitres : 1 (modalités de l’obligation) ; 2 (extinction) ; 3 (actions ouvertes au créancier) ; 4 (modification du rapport d’obligation) ; 5 (restitutions).

 

Les inconvénients d’une telle présentation tiennent à une insuffisante mise en lumière des opérations sur créances : celles-ci n’apparaissent qu’incidemment dans le Chapitre IV (« La modification du rapport d’obligation »), et ce dans une section 1 « Les opérations translatives » de l’avant-projet, inopportunément supprimée dans le projet d’ordonnance... Une telle structure n’est pas satisfaisante : les opérations translatives conservent en effet les droits transmis en application de la règle « Nemo plus juris » ; partant, elles sont gouvernées par un principe d’opposabilité des exceptions en tant qu’elles transfèrent le rapport à un nouveau créancier (un nouveau débiteur ou un nouveau contractant selon le cas) sans autrement le modifier.

 

L’avant-projet fait œuvre de synthèse entre les travaux du groupe présidé par Pierre Catala (qui ne parle pas de RGO en général) et du groupe « Terré » de 2013 (RGO et sans mention des opérations sur créances), en ne fâchant personne, quitte à mécontenter tout le monde…

 

On présentera très succinctement les dispositions de l’avant-projet de réforme intéressant les opérations sur créances en en défendant une classification fonctionnelle et opératoire.

 

Ces opérations fondamentales nous paraissent en effet répondre à quatre fonctions lesquelles façonnent largement leur régime juridique : transmission, substitution, adjonction ou extinction d’une obligation. Le paiement, la remise de dette, la compensation participent ainsi des opérations extinctives sur créances. On s’intéressera ici aux trois premières fonctions, soit aux opérations :

 

– translatives d’abord (I) ;

– substitutives ensuite (II) ;

– adjonctives enfin (III).

 

 

I – La réforme du droit des opérations translatives

 

Les opérations translatives apparaissaient dans une section 1 éponyme de l’avant-projet traitant ensemble des cessions de créance, de dette et de contrat. Cette subdivision – et donc la référence même aux opérations translatives – a toutefois disparu du projet d’ordonnance en date du 25 février 2015 ce qui est éminemment regrettable. Il n’en reste pas moins que la matière est riche en innovations, le Code civil ne connaissant pour l’heure ni de la cession de dette ni de la cession de contrat qui sont en passe d’être consacrées.

 

On distinguera suivant l’objet de la transmission, et donc suivant que le transfert porte sur une créance (actif, A), une dette (passif, B) ou un contrat (actif et passif, C).

 

A – Transfert d’une créance : cession et subrogation

 

On envisagera ici la cession de créance, certes (1°), et la subrogation personnelle dont la nature de paiement translatif de créance apparaît insuffisamment dans l’avant-projet (2°).

 

1°/ La cession de créance

 

Un premier facteur de modernisation tient à ce que la cession serait envisagée, non plus comme une variété de vente, mais de façon abstraite et générale comme « un contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire » : l’inspiration du projet « Catala » est sur ce point évidente.

 

Tout acte à titre particulier pourrait donc être propre à cette fin puisque disparaîtrait toute référence au prix et que le transfert de créance transcenderait ainsi le canevas de la vente.

 

Cette définition large a vocation à concerner tous les transferts de propriété d’une créance à titre particulier, et ce quelle qu’en soit la contrepartie : soit l’échange de créance (transfert contre transfert), la cession fiduciaire (transfert à titre de sûreté), l’apport en société de créance (transfert contre droits sociaux), la dation en paiement (transfert à titre de paiement), ou encore la donation de créance (transfert à titre de libéralité).

 

Un deuxième élément de modernisation est la consécration de la possibilité de céder des fractions de créances (tout ou partie) ou des créances futures, étant précisé que « le transfert d’une créance future n’a lieu qu’au jour de sa naissance, tant entre les parties qu’entre les tiers » (art. 1334 al. 3 du projet). Cet énoncé doit être rapproché de la formulation, à la tournure certes plus positive, qui a cours en matière de nantissement (C. civ., art. 2357 : « Lorsque le nantissement a pour objet une créance future, le créancier nanti acquiert un droit sur la créance dès la naissance de celle-ci »).

 

Une autre nouveauté est l’abandon du trop célèbre article 1690 du Code civil. L’exigence d’une notification par acte extrajudiciaire (ou son substitut qu’est l’acceptation du débiteur dans un acte authentique) constituait une formalité dont la lourdeur était inadaptée et décourageante. Le système proposé est profondément différent, qui proclame une opposabilité immédiate aux tiers, sauf naturellement au principal intéressé à qui la cession sera notifiée par tous moyens ou qui pourra comme aujourd’hui l’« accepter ». On retrouvera ici la patine des textes préparés par l’Association Henri Capitant en vue de la réforme du nantissement de créance réalisée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 (JO 24 mars) et dont le nouveau transfert de créance semble s’être inspiré : l’histoire bégaie et à nouveau, la solennité d’une règle de forme (la cession devant « être constatée par écrit à peine de nullité ») chasse l’exploit d’huissier exigé autrefois pour la validité du nantissement et encore aujourd’hui pour l’opposabilité de la cession.

 

Seraient enfin précisés :

 

– les exceptions opposables avec un principe d’opposabilité des exceptions par le débiteur cédé, qui trouve sa justification dans la règle « Nemo plus juris » et dans l’effet relatif des conventions (C. civ., art. 1165) : le débiteur cédé n’étant pas partie au transfert (« Le consentement du débiteur n’est pas requis, à moins que la personne du créancier soit pour lui déterminante[4] ou que la créance ait été stipulée incessible », art. 1332 al. 4 du projet), il ne saurait donc pâtir de ce dernier et perdre contre son gré des moyens de défense dont il disposait antérieurement ;

 

– la garantie due par le cédant au cessionnaire, à la faveur de solutions qui varient au gré de la volonté du cédant : si, supplétivement, le cédant ne garantit que l’existence de la créance et des accessoires (au premier chef des sûretés) qui l’assortissent (niveau 1), il peut étendre conventionnellement sa garantie : celle-ci ne s’entendra alors que d’une solvabilité présente garantie dans la limite du prix de cession reçu (niveau 2), sauf à ce que le cédant ait expressément couvert la solvabilité future (niveau 3) ;

 

– et le concours entre cessionnaires successifs d’une créance résolu en faveur du premier en date par application de la règle « Prior tempore potior jure », principe dérivé du droit de la cession « Dailly ».

 

C’est là un système d’autant plus adapté à la pratique bancaire que le retrait litigieux aurait disparu en l’état, à moins qu’il ne s’agisse là d’un oubli : ce serait là une aubaine pour des cessionnaires « spéculateurs » qui ne pourraient plus se voir opposer le droit de retrait du débiteur cédé au prix offert par eux, par hypothèse inférieur au nominal de la créance litigieuse cédée (comp. C. civ., art. 1699 actuel).

 

2°/ La subrogation personnelle

 

La subrogation personnelle serait envisagée au titre de l’extinction de l’obligation : certes justifiée par la considération que le transfert de créance accompagne le paiement fait par un tiers non tenu à la dette, pareille présentation nous semble toutefois insuffisamment moderne. S’il s’agit certes d’une opération extinctive vis-à-vis du seul subrogeant, la subrogation personnelle est avant tout une opération translative de créance.

 

Jacques Mestre l’a fort bien démontré dans sa thèse[5] : la subrogation est un paiement translatif de créance et de ses accessoires que sont notamment les sûretés ; siège de l’affacturage, elle est une institution concurrente aujourd’hui de la cession dont elle mériterait d’être rapprochée dans le plan d’un RGO rénové.

 

Cet effet translatif de la subrogation personnelle est d’ailleurs justement mis en exergue au plan du régime : « La subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne de celui-ci » (art. 1324-3 du projet).

 

Sur cette institution, les innovations vont bon train :

 

– il n’y aurait d’abord plus de liste des cas de subrogation légale mais un principe général inféré d’une jurisprudence qui n’a eu de cesse d’en étendre le domaine (art. 1324 du projet : « La subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette ») ;

 

– ensuite, la subrogation conventionnelle ex parte creditoris disparaîtrait, très inopportunément : une telle suppression pourrait s’expliquer tant par la libération de la cession de créance nouvelle que par la consécration de ce principe général de subrogation légale ; elle n’en serait pas moins regrettable car elle méconnaît la volonté du créancier subrogé ou du factor d’être conventionnellement rassuré quant à sa qualité de nouveau créancier subrogé dans la créance et dans ses sûretés, et ce par-delà la seule subrogation légale ; il importe donc que le législateur ressuscite la subrogation conventionnelle consentie par le créancier ;

 

– enfin, ce « bienfait de l’histoire » qu’était la subrogation ex parte debitoris imposée au créancier serait supprimé : si la dette n’est pas échue ou si le terme n’a pas été stipulé en sa faveur, le débiteur ne pourra plus imposer le remboursement à son créancier sans son concours ; c’était déjà le vœu du groupe « Catala » que de limiter les conditions auxquelles le débiteur peut imposer la subrogation au profit d’un nouveau prêteur, appelé à « refinancer » l’opération (à un taux naturellement plus favorable). Le respect de la force obligatoire des conventions a paru devoir l’emporter sur ce qui a pu apparaître, par le passé, comme une expropriation inique du créancier initial pour cause d’utilité privée.

 

Toutefois, et sous ces notables réserves, l’avant-projet se livre pour l’essentiel à une habile consolidation du droit positif :

 

– conséquence directe du principe de conservation des droits (« Nemo plus juris »), l’opposabilité des exceptions serait opportunément énoncée (art. 1324-4 al. 2 et 3 du projet : « Le débiteur peut opposer au créancier subrogé les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, ou la compensation de dettes connexes. Il peut également lui opposer les exceptions nées de ses rapports avec le subrogeant avant que la subrogation lui soit devenue opposable, telles que l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes ») ; c’est là en effet la marque des opérations translatives ;

 

– l’opposabilité immédiate quasi erga omnes de la subrogation le serait également (art. 1324-4 al. 2 du projet: « La subrogation est opposable aux tiers dès le paiement qui la produit ») ; l’opposabilité au débiteur impliquerait au contraire qu’il fasse l’objet d’une notification ;

 

– enfin, serait logiquement reconduite la règle suivant laquelle la subrogation ne peut nuire au créancier qui n’a été payé qu’en partie (« Nemo contra se subrograre censetur » ; art. 1324-2 al. 1 du projet) et qu’elle ne joue que dans la limite du paiement (art. 1324-3 al. 1 du projet). Toutefois, la doctrine gouvernementale ne paraît pas forgée pleinement sur le droit du subrogé aux intérêts (taux légal ou taux conventionnel), la mention de la nature de ce taux figurant entre crochets… Espérons toutefois que sera consacré le transfert au subrogé du taux de l’intérêt conventionnel qui seul s’accorde avec la nature translative de créance du dispositif.

 

On émettra toutefois le vœu que la jurisprudence permettant de convenir d’une subrogation non concomitante du paiement et antérieure à celui-ci soit reprise (comp. a fortiori avec la novation par anticipation de l’article 1345 du projet).

 

B – Transfert d’une dette

 

Défendue par le projet « Terré », la cession par un débiteur de sa dette ferait une entrée remarquée dans ce Code civil réformé. Plus, la restriction figurant dans l’avant-projet et tenant à la nécessité d’un accord du créancier (article 241 de l’avant-projet) a disparu du projet d’ordonnance lequel énonce désormais sans autre condition qu’« un débiteur peut céder sa dette à une autre personne » (art. 1338 al. 1 du projet) : d’apparat dans l’avant-projet, la consécration de la cession de dette devient réalité dans le projet.

 

Certes, le débiteur cédant ne sera pas libéré sans que le créancier cédé y consente expressément (art. 1338 al. 2 du projet). Le créancier cédé gagne un débiteur en la personne du cessionnaire de dette, sans perdre le débiteur qu’il s’était choisi : la cession de dette imposée au créancier ne saurait donc être qu’« imparfaite ». C’est là le principal refuge désormais du principe suivant lequel un créancier ne saurait se voir imposer un changement de débiteur. D’où le principe supplétif suivant lequel le « cédant est simplement garant des dettes du cessionnaire » (art. 1338 al. 2 du projet). Toutefois, en cas de consentement exprès du créancier cédé à la libération du cédant, il y aura au contraire cession « parfaite » de dette, dégagée cette fois de la gangue de la novation par changement de débiteur et de la délégation parfaite.

 

Pour le reste, c’est à nouveau la nature translative de la cession de dette qui commandera le double principe d’opposabilité par le cessionnaire au créancier cédé des exceptions relatives à la dette transmise (art. 1339 du projet) et de survie des garanties (art. 1339-1 al. 1 du projet).

 

C – Transfert d’un contrat

 

L’introduction d’une cession de dette (aspect passif) aux côtés de la cession de créance (aspect actif) a créé un contexte propice à la reconnaissance de la cession de la position contractuelle elle-même, active et passive. La cession de contrat devrait donc suivant toute vraisemblance faire son entrée dans le nouveau Code civil.

 

Les textes résultant de l’avant-projet se ressentent toutefois des divergences doctrinales entre tenants d’une cession de la qualité de contractant sans l’accord du contractant cédé (Laurent Aynès) et auteurs niant l’originalité de la cession de contrat pour n’y voir que la succession de deux contrats de même objet dont le second se substitue au premier avec l’accord du contractant cédé (Christophe Jamin et Marc Billiau).

 

Aussi, la cession de contrat fut-elle, dans un premier temps, retenue à regret et au prix d’une formulation négative : « un contractant ne peut, sans l’accord de son cocontractant, céder à un tiers sa qualité de partie au contrat », indiquait en effet l’avant-projet (art. 244). Sensible à d’informelles critiques sur ce point, la Chancellerie a retenu une formulation plus heureuse à l’article 1340 du projet d’ordonnance : voici donc qu’« un contractant peut, avec l’accord de son cocontractant, céder à un tiers sa qualité de partie au contrat », positivement cette fois. L’exigence d’un consentement du contractant se trouverait dûment consolidée et le droit de la cession de contrat utilement précisé, à la faveur notamment d’un élégant renvoi, « en tant que de besoin », aux règles de la cession de créance et de la jeune cession de dette (art. 1340, al. 4 du projet).

 

Et l’on ne s’étonnera pas d’identifier ici à nouveau plusieurs niveaux de garantie : si, supplétivement, le cédant reste garant des dettes du cessionnaire (niveau 1), il peut s’en trouver déchargé pour l’avenir (niveau 2 ; voire – au prix d’une stipulation expresse et novatoire – pour le passé, niveau 3 ?).

 

 

II – La réforme du droit des opérations substitutives : la novation

 

Les opérations sur créances (ou, plus généralement ici, les opérations sur obligations) peuvent également revêtir une fonction substitutive : une obligation nouvelle est alors substituée à une obligation préexistante qui disparaît, non sans avoir servi de cause à ladite substitution.

 

On reconnaîtra ici aisément l’institution de la novation dont la finalité substitutive avait été nettement mise en exergue dans le projet « Catala » (art. 1265 : « la novation est une convention qui a pour objet de substituer à une obligation qu’elle éteint, une obligation différente qu’elle crée »). Cette finalité substitutive innerve en effet les trois espèces de novation visées à l’article 1271 actuel du Code civil lequel dispose, pour mémoire, que : « La novation s’opère de trois manières :

 

1° Lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l’ancienne, laquelle est éteinte ;

2° Lorsqu’un nouveau débiteur est substitué à l’ancien qui est déchargé par le créancier ;

3° Lorsque, par l’effet d’un nouvel engagement, un nouveau créancier est substitué à l’ancien, envers lequel le débiteur se trouve déchargé »[6].

 

La novation recevrait une définition lui faisant encore défaut à ce jour, celle d’« un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée » (art. 1341 al. 1er du projet).

 

Le droit positif de la novation serait largement inchangé quant aux conditions cardinales de l’institution novatoire :

 

– la trilogie des espèces novatoires - caractéristique de l’exigence d’un aliquid novi - ne serait aucunement affectée puisque celle-ci pourra toujours opérer « par substitution d’obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier » (art. 1341 al. 2 du projet) ;

 

– l’exigence d’une volonté de nover dépourvue d’équivoque – animus novandi – serait pareillement reconduite : « La novation ne se présume pas ; la volonté de l’opérer doit résulter clairement de l’acte. La preuve peut en être apportée par tout moyen » (art. 1342 du projet).

 

C’est l’un des avantages d’une classification fonctionnelle des opérations sur obligations que de mieux dessiner le régime des exceptions. Or, à la différence des opérations translatives, les opérations substitutives sont en principe gouvernées par une inopposabilité des exceptions tenant à la créance éteinte, et ce à l’exception notable de celles tenant à la nullité de l’obligation ancienne ou de celle qui lui est substituée (comp. art. 1343 du projet : « la novation n’a lieu que si l’obligation ancienne et l’obligation nouvelle sont l’une et l’autre valables ») : sous cette réserve classique, les exceptions tenant à l’obligation d’occasion ainsi éteinte ne sauraient entacher une obligation neuve et, partant, encore vierge de tous vices. Sans doute serait-il opportun toutefois que cette inopposabilité soit affirmée plus lisiblement dans le futur RGO.

 

C’est au contraire expressément que serait affirmé le principe d’une disparition des accessoires de la créance novée et donc des sûretés la garantissant (art. 1346 al. 1er du projet : « L’extinction de l’obligation ancienne s’étend à tous ses accessoires » ; art. 1347 al. 2 : « La novation convenue à l’égard du débiteur principal libère les cautions », etc.) : on sait que la novation est souvent pour cette raison le cauchemar de tout créancier. Que ce dernier se rassure cependant : les indispensables mécanismes de réserve des sûretés réelles prévus aux articles 1278 et 1279 actuels du Code civil seraient repris synthétiquement (trop synthétiquement ?). En effet et par exception à cette disparition des sûretés, l’article 1346 alinéa 2 du projet confirme que « les sûretés réelles d’origine peuvent être réservées pour la garantie de la nouvelle obligation avec le consentement des titulaires des droits grevés ».

 

Deux innovations remarquables retiendront au contraire toute l’attention.

 

La première, inspirée par l’article 1270, alinéa 1er, du projet « Catala », consacrerait une ingénieuse et attractive novation par anticipation. L’article 1345 du projet dispose en effet que « la novation par la substitution d’un nouveau créancier peut avoir lieu si le débiteur a, par avance, accepté que le nouveau créancier soit désigné par le premier ». Cette souplesse est bienvenue et gage d’efficience : il serait alors loisible aux professionnels d’utiliser la novation comme vecteur d’opérations de refinancement, en obtenant le consentement de l’emprunteur à une future novation (ainsi qu’à la réserve des sûretés réelles) dès la convention de crédit initiale.

 

La seconde autoriserait ce qu’il convient d’appeler une « novation-confirmation » d’une obligation viciée, c’est-à-dire celle ayant « pour objet déclaré de substituer un engagement valable à un engagement entaché d’un vice » (art. 1343 du projet in fine). Exception innovante à l’exigence classique de validité de l’obligation novée, ce nouveau dispositif séduira les contractants par sa simplicité et sa sécurité : il leur sera en effet possible de confirmer, en tant que de besoin, d’éventuelles irrégularités tenant à l’obligation ancienne et de faire ainsi « d’une pierre deux coups ».

 

 

III – La réforme du droit des opérations adjonctives : la délégation imparfaite

 

Les opérations sur créances revêtent enfin une fonction adjonctive lorsqu’une obligation nouvelle est adjointe, sans substitution, à une obligation de base, et ce dans le cadre d’une convention triangulaire : on reconnaîtra ici la seule délégation imparfaite, la délégation parfaite ou novatoire relevant au contraire des opérations substitutives (substitution parfaite de débiteur[7]). Or, conformément au vœu émis par Pierre Catala, « la délégation, instrument bancaire de premier plan, se détache de la novation pour devenir un mécanisme autonome et fortement charpenté » à la faveur des articles 1348 et suivants du projet d’ordonnance.

 

La délégation imparfaite vit en effet aujourd’hui dans l’ombre de la novation, et en particulier de la délégation novatoire ou novation par changement de débiteur dont on peine à la distinguer (art. 1275 actuel : « La délégation par laquelle un débiteur donne au créancier un autre débiteur qui s’oblige envers le créancier, n’opère point de novation, si le créancier n’a expressément déclaré qu’il entendait décharger son débiteur qui a fait la délégation »). Cela est d’autant plus regrettable que la délégation imparfaite est d’un usage extraordinairement répandu et d’une plasticité inégalée. On se félicitera donc qu’un nouvel article 1348 du projet la définisse suivant une veine classique comme « l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur ». Convention tripartite, la délégation adjoint aux relations généralement préexistantes entre délégant et délégataire un nouveau rapport obligationnel d’intensité variable (délégation certaine ou incertaine…) entre délégué et délégataire : la délégation imparfaite « donne au délégataire un second débiteur », est-il ainsi affirmé sans détour à l’article 1350 du projet.

 

La liberté contractuelle des protagonistes pourra pleinement s’exercer, et ce particulièrement en faveur de la détermination de l’objet de l’obligation du délégué.

 

Toutefois, en l’absence de volonté contraire, l’adjonction d’une obligation neuve et immaculée commande ici encore de retenir un principe – supplétif – d’inopposabilité des exceptions. Aussi, le régime des exceptions serait-il réglé en faveur de l’affirmation supplétive d’une double inopposabilité par le délégué des exceptions tenant à son rapport avec le délégant ainsi que de celles tenant au rapport entre le délégant et le délégataire (art. 1348, al. 2 du projet : « Le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire »). Libre donc aux parties de réintroduire tout ou partie des exceptions tenant à l’un ou à l’autre rapport, ce qui sera fréquent en cas de délégation de locataire à titre de garantie.

 

Et l’on sera rassuré de lire que le délégué ne sera nullement exposé à payer deux fois : en effet, le paiement par l’un des deux débiteurs, délégant ou délégué, libérera l’autre à due concurrence (art. 1350, al. 2 du projet) tandis que le délégataire continuera de bénéficier d’une indisponibilité de la créance déléguée du chef du délégant (art. 1351 du projet).

 

Conclusion. – L’avant-projet hier, le projet d’ordonnance aujourd’hui sont porteurs de grands espoirs : à peine affectés par quelques imperfections que la phase de consultation actuelle devrait permettre de corriger, ils dessinent un droit des opérations sur créances plus sûr et plus efficient. On formera ici le vœu quelque peu naïf que le législateur s’inspire de cette distinction entre les opérations translative, substitutive, adjonctive et extinctive d’obligations afin de renforcer la lisibilité et le rayonnement d’une matière aussi aride que fondamentale…

[1] La forme orale de cette contribution présentée lors de Journées internationales de l’Association Henri Capitant consacrées à l’avant-projet du 23 octobre 2013 a été conservée (Istanbul, 31 mars 2014 ; le Caire, 24 juin 2014) ; elle a toutefois été actualisée à la suite de la parution du projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations en date du 25 février 2015 (ci-après « le projet ») lequel est, à quelques exceptions près, la reprise de l’avant-projet du 23 octobre 2013.

[2] F. Terré (dir.), Pour une réforme du régime général des obligations, Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », avr. 2013.

[3] Colloque tenu le 7 novembre 2013 à la Faculté de droit de l’Université d’Angers.

[4] Cette référence nouvelle au caractère déterminant de la personne du créancier paraît dangereuse et devrait être abandonnée.

[5] J. Mestre, La subrogation personnelle, préf. P. Kayser, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé, t. 160, 1979.

[6] Nous soulignons.

[7] La nouvelle cession de dette parfaite (libération du cédant) se distingue de la délégation parfaite par changement de débiteur en ce que la première est régie par une opposabilité des exceptions à la différence de la seconde ; cette différence illustre à nouveau le caractère opératoire de la distinction entre opérations translatives et substitutives.

Par Philippe Dupichot, Professeur à l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), Secrétaire général de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française

Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 246, p. 20 (avr. 2015)
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